Section 2 : Le fétichisme politique à
Libreville
Le fétichisme politique que nous décrivons ici
met certes en avant la relation entre mandant et mandataire mais se
décline d'une autre manière dû à la
contextualisation. Pierre BOURDIEU206 parle du fétichisme
politique pour montrer la délégation du pouvoir du mandant,
c'est-à-dire le peuple, au mandataire : l'entrepreneur politique.
En effet, « la criminalisation populaire des mandataires
ou de manière générale, de tout homme politique,
soupçonnés ou accusés d'attenter pour des raisons et par
des moyens fétichistes , mais aussi par la violence physique, à
l'intégrité physique des mandants, est un phénomène
ordinaire au Gabon. Cette criminalité se caractérise par des
« meurtres rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant
une logique de redoublement symbolique, des « sacrifices rituels
». L'objectif étant de prélever des organes humains
appelés significativement « pièces
détachées » : langues, mains, oreilles, crânes,
coeurs, organes génitaux [...] Aussi bien pendant les périodes
électorales qu'entre deux élections, des témoignages de
familles, des observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse
permettent de se rendre compte de la réalité de
206 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Les Editions
de Minuit, (coll. « Le Sens Commun »), 1987, 228p.
ces « crimes » ou « sacrifices rituels ».
Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités et l'on
évoque toujours soit par des allusions, soit ouvertement des hommes
politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du pouvoir
».207
Dans la même perspective les entretiens208,
que nous avons pu avoir avec trente familles victimes des profanations des
tombes à Mindoubé, confirment que « ce sont les hommes
politiques qui passent la plupart de leur temps à féticher et
à casser les tombes de nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs
campagnes. S'ils le font c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter,
ce sont des criminels, des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect
des morts. On espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont
mourir, ils vont être enterrés dans les nuages et non pas à
Mindoubé, car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et
s'attaquer à ceux qui ne peuvent plus se défendre
».209
En résumé, le fétichisme politique dont
nous rendons compte à Libreville est « entendu dans le contexte
africain comme usage ou commerce des /ou avec les « pièces
détachées » réalisé par les hommes
politiques ; il y a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En
fait, les usages politico-criminels des « pièces
détachées » servent ici à réaliser la
transfiguration du rapport politique qui est au principe de la production des
mandataires comme fétiches ».210
207 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3.
208 Extraits d'entretiens avec les familles victimes le
1er novembre 2007 à Mindoubé des profanations des
tombes.
209 Extrait de l'entretien avec ces familles à
Mindoubé en novembre 2007.
210 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon, op.cit., p.5.
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