2.Les profanations des tombes
La profanation se définit comme cet acte qui consiste
à violer le caractère sacré d'un lieu, d'un objet ; c'est
même le dégrader, l'avilir. Ces actes ont été
constaté à Mindoubé sont périodiques ;
c'est-à-dire qu'ils s'observent à la veille des consultations
électorales. D'où, il est évident qu'il y a une relation
étroite entre le pouvoir et les profanations des tombes, donc le
fétichisme au Gabon. Et comme nous l'avons déjà
évoqué précédemment, c'est cette part de
l'imaginaire qui nous permet de comprendre le sens profond que ces profanations
des tombes produisent pour le politique. Ce qui nous permet de dire avec
BALANDIER que « L'imaginaire (...) éclaire le
phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »200 ; constituant finalement «
une violence du fétichisme mais aussi une violence de l'imaginaire
».201 Pour étayer nos propos nous proposons ici une
série de photos qui témoignent des profanations des tombes.
200 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
op.cit., p.14.
201 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.7.
La photo n°1 intitulée « La veste
rouge »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Elle illustre bien le type de stratégies
adoptées par les mandataires à l'orée des élections
politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a
été vidée de son contenu. Il ne reste plus que la veste
rouge et le crâne fracassé. De plus, il ne reste plus qu'une
partie de la mâchoire. Il y a lieu de préciser qu'a
Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes
humains, mais aussi, les vestes et autres habits des morts, les gerbes de
fleurs sont re-introduits dans le marché
économique202.
202 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des
informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent
à Akébé dans un prêt à porté. En
février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été
enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une
veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis
septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à
Mindoubé en novembre 2007.
On peut aussi montrer la photo n°2 : «
La tombe sans carreaux »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Une première remarque s'impose, celle de dire que
toutes les tombes profanées n'ont pas été carrelées
; facteur qui peut aussi en partie expliquer les cassures. Les photos n°2
et 3 font partie de la majorité des tombes profanées et qui
ressemblent à celles-ci.
Photo n°3 : «Tombes dans les hautes
herbes»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Photo n°4 « la tombe
Goumabika »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette image témoigne des diverses méthodes des
profanateurs pour opérer. Sur le site, on s'est rendu compte que toutes
les tombes profanées n'avaient pas de carreaux, ce qui, aux dire du
gardien du cimetière présent sur le site durant tout notre
séjour, a permis aux profanateurs d'opérer. A titre
d'information, cette tombe est vide de son contenu, le corps du défunt a
été dérobé. Il a été enterré
depuis Juillet 1993, donc 14 ans qu'il est mort. D'après l'unique
profanateur que nous avons pu rencontré lors de nos investigations, il
ressort que le crâne de ce défunt est « fin prêt
pour le travail »203 et il peut coûter cher.
Malheureusement nous n'avons pas pu nous entretenir avec sa famille lors de
notre passage en novembre 2007.
203 Propos recueillis lors de notre entretien avec monsieur
M.D, ancien profanateur à la solde d'un haut dignitaire de la province
du Moyen-Ogooué. Il a fait la prison parce qu'on l'a vu en possession de
quelques pièces détachées. Il a été
relaxé à la demande de ce haut dignitaire avant les
élections législatives de décembre 2001.
Photo n°5 : « Autre manière de profaner
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La tombe que l'on voit présentement est vide de son
contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les
membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne
sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été
clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère
pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de
faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes. Nous attendons
les vacances pour « taper le diable au village et tant pis pour ceux
qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brûler en enfer,
car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel
».204
Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent
le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les
commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. A cet effet,
nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA,
pour mieux rendre compte du phénomène que nous
étudions.
204 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations
à Mindoubé le 10 octobre 2006.
Photo n°6 : « La tombe vide
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné
de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des
profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel des «
pièces détachées » en périodes
électorales. La tombe que nous voyons ci-dessus est vide de son contenu
; le corps de la dame qui a été enterrée a
été dérobé par les profanateurs. Le fils de la
défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et
de la police judiciaire et a porté plainte contre x mais sans
succès. Ayant constaté que la tombe a été
visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007,
il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une
part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment
blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables
à la traditionnelle c'est-à-dire, « j'attends les
vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour
frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par
soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent
».205
205 Extrait de l'entretien que nous avons eu avec monsieur
Guy-Joseph MBOUMBA, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son
identité et profiter de notre canal pour exprimer son
mécontentement par rapport aux profanations des tombes.
Le fétichisme se développe sur la base de la
faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables.
C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir,
aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut
une puissance pour rendre justice à la place du "blanc". On «
frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les
expressions « frapper le diable », ou « fermer le
mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple
lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'Etat ne
peut pas réagir. Le mwiri (société initiatique masculine
et secrète des peuples du Sud du Gabon surtout) est convoqué
parce qu'étant considéré comme une façon de
réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir ;
quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement
pas.
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