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Le marché des restes humains. Etude sur le fétichisme politique à  Libreville

( Télécharger le fichier original )
par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo Libreville - Maà®trise en sociologie de la connaissance 2008
  

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2.Les profanations des tombes

La profanation se définit comme cet acte qui consiste à violer le caractère sacré d'un lieu, d'un objet ; c'est même le dégrader, l'avilir. Ces actes ont été constaté à Mindoubé sont périodiques ; c'est-à-dire qu'ils s'observent à la veille des consultations électorales. D'où, il est évident qu'il y a une relation étroite entre le pouvoir et les profanations des tombes, donc le fétichisme au Gabon. Et comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, c'est cette part de l'imaginaire qui nous permet de comprendre le sens profond que ces profanations des tombes produisent pour le politique. Ce qui nous permet de dire avec BALANDIER que « L'imaginaire (...) éclaire le phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est constitutif... »200 ; constituant finalement « une violence du fétichisme mais aussi une violence de l'imaginaire ».201 Pour étayer nos propos nous proposons ici une série de photos qui témoignent des profanations des tombes.

200 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, op.cit., p.14.

201 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.7.

La photo n°1 intitulée « La veste rouge »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Elle illustre bien le type de stratégies adoptées par les mandataires à l'orée des élections politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a été vidée de son contenu. Il ne reste plus que la veste rouge et le crâne fracassé. De plus, il ne reste plus qu'une partie de la mâchoire. Il y a lieu de préciser qu'a Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits dans le marché économique202.

202 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent à Akébé dans un prêt à porté. En février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à Mindoubé en novembre 2007.

On peut aussi montrer la photo n°2 : « La tombe sans carreaux »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Une première remarque s'impose, celle de dire que toutes les tombes profanées n'ont pas été carrelées ; facteur qui peut aussi en partie expliquer les cassures. Les photos n°2 et 3 font partie de la majorité des tombes profanées et qui ressemblent à celles-ci.

Photo n°3 : «Tombes dans les hautes herbes»

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Photo n°4 « la tombe Goumabika »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Cette image témoigne des diverses méthodes des profanateurs pour opérer. Sur le site, on s'est rendu compte que toutes les tombes profanées n'avaient pas de carreaux, ce qui, aux dire du gardien du cimetière présent sur le site durant tout notre séjour, a permis aux profanateurs d'opérer. A titre d'information, cette tombe est vide de son contenu, le corps du défunt a été dérobé. Il a été enterré depuis Juillet 1993, donc 14 ans qu'il est mort. D'après l'unique profanateur que nous avons pu rencontré lors de nos investigations, il ressort que le crâne de ce défunt est « fin prêt pour le travail »203 et il peut coûter cher. Malheureusement nous n'avons pas pu nous entretenir avec sa famille lors de notre passage en novembre 2007.

203 Propos recueillis lors de notre entretien avec monsieur M.D, ancien profanateur à la solde d'un haut dignitaire de la province du Moyen-Ogooué. Il a fait la prison parce qu'on l'a vu en possession de quelques pièces détachées. Il a été relaxé à la demande de ce haut dignitaire avant les élections législatives de décembre 2001.

Photo n°5 : « Autre manière de profaner »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

La tombe que l'on voit présentement est vide de son contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes. Nous attendons les vacances pour « taper le diable au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brûler en enfer, car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel ».204

Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. A cet effet, nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte du phénomène que nous étudions.

204 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations à Mindoubé le 10 octobre 2006.

Photo n°6 : « La tombe vide »

Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel des « pièces détachées » en périodes électorales. La tombe que nous voyons ci-dessus est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été enterrée a été dérobé par les profanateurs. Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre x mais sans succès. Ayant constaté que la tombe a été visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007, il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables à la traditionnelle c'est-à-dire, « j'attends les vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent ».205

205 Extrait de l'entretien que nous avons eu avec monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des tombes.

Le fétichisme se développe sur la base de la faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables. C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir, aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut une puissance pour rendre justice à la place du "blanc". On « frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les expressions « frapper le diable », ou « fermer le mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'Etat ne peut pas réagir. Le mwiri (société initiatique masculine et secrète des peuples du Sud du Gabon surtout) est convoqué parce qu'étant considéré comme une façon de réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir ; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement pas.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius