Chapitre IV : Les élections politiques à
Libreville et les profanations des tombes
Section 1 : Les élections politiques à
Libreville et les profanations des tombes
1. Les élections politiques à Libreville
Pour bien comprendre le fétichisme politique
observé à Libreville, il est important pour nous de rompre avec
les préjugés du sens commun, et surtout, de considérer
notre fait social comme « une chose » écrit DURKHEIM. En
effet, « face au réel, ce qu'on croît savoir offusque ce
qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture
scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux,
car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la
science, c'est simplement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui
doit contredire un passé ».193
La question des élections politiques constitue
l'occasion où les mandataires (députés, maires,
sénateurs, ministres, etc.) mettent en place toutes sortes de
stratégies et tactiques pour gagner les élections. Parmi elles,
on peut citer le clientélisme électoral, mais surtout les
profanations des tombes, constatées à Mindoubé par
exemple. En fait, les élections permettent la délégation
du pouvoir, c'est-à-dire qu'« une personne donne pouvoir, comme on
dit, à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant
autorise un mandataire à signer à sa place, lui donne une
procuration [...] c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les
intérêts d'une personne ou d'un groupe ».194
Ici, s'opère l'efficacité symbolique du
politique en ce sens que «le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes
et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte
légitimée, à des outils symboliques et à
l'imaginaire ».195
193 Gaston BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique.
Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris,
Librairie philosophique J.VRIN, 2004, p.16.
194 Pierre BOURDIEU, Choses dites, op.cit., p.185.
195 Georges BALANDIER, Le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
Ainsi, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne
peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui
manifestent son existence ».196 L'activité de
symbolisation est particulièrement intense lorsqu'il s'agit de susciter
ou de renforcer les liens sociaux et de légitimer le pouvoir qui
s'exerce au sein des groupes. Il apparaît clair que « la classe ou
les classes qui ont conquis ce pouvoir mettent l'appareil d'Etat au service de
leurs intérêts »197 et la classe dont il s'agit
ici est celle des mandataires, la classe dirigeante.
Il faut tout de même rappeler qu'on assiste à une
montée de la violence liée à ces élections, parce
qu'il y a des crispations autour du pouvoir à garder ou à
conquérir, comme l'écrit Jean Pierre CHRETIEN198. A ce
titre, « la réussite sociale suppose l'accès à la
« bourgeoisie directoriale » ou à ses couloirs. Les
postes politiques et administratifs constituent donc les bases des
différents échelons d'une nomenclatura de
privilégiés qui, par définition, doit en tenir
éloignés d'autres candidats. Cette conception «
consommation » de la chose publique débouche sur la
violence, soit pour entretenir les situations acquises, soit pour les renverser
au profit d'autres groupes frustrés. La rivalité politique prend
donc la forme d'une confrontation de factions, sans autre projet que de se
sentir mieux à même que les autres de « gérer
» le gâteau national, c'està-dire le complexe bureaucratique
hérité de la colonisation ».199
De ce fait, cela se traduit sur le terrain à Libreville
par les profanations des tombes au cimetière de Mindoubé. Les
élections politiques sont chargées du sens de la
légitimation d'un pouvoir mortifère et les profanations des
tombes sont illustratives d'un tel pouvoir. Et si nous sommes en face de ce
pouvoir mortifère, organisé et bâti sur la mort, c'est
qu'il y a a priori recours à de telles pratiques comme moyen, comme
moment de lecture du fétichisme politique.
Après avoir traité de la question des
élections politiques, passons à présent aux profanations
des tombes.
196 Philip BRAUD, Sociologie politique,
8ème édition, Paris, Librairie Générale
de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, p.103.
197 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, op.cit., p.105.
198 Jean-Pierre CHRETIEN, Les racines de la violence
contemporaine en Afrique, pp.12-27 in Politique africaine, «
Violence et pouvoir » ; n°42, Paris, 1991, 163 p.
199 Ibid., p.19.
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