Conclusion de la première partie
A la lumière de ce qui précède, notre
objectif ici n'est pas de faire un exposé exhaustif sur le culte des
ancêtres dans ses tenants et ses aboutissants, seulement regarder des
aspects importants et nécessaires à sa compréhension et
à son étude. Par ailleurs, cet exposé nous permet de voir
que le culte des ancêtres demeure un culte prédominant dans les
sociétés traditionnelles gabonaises ; et dont les reliques jouent
un rôle de premier choix. L'exemple des crânes humains en est la
parfaite illustration puisqu'ils « étaient, en effet, le
siège ou le réceptacle de la capacité d'action de
l'individu ».178
En nous focalisant sur les reliques et le culte des
ancêtres, nous avons voulu, par là, choisir de revisiter
l'époque coloniale, sinon l'époque précoloniale, pour
comprendre d'une part les fondements du pouvoir de certains individus, en
l'occurrence les chefs de familles, de clans, de lignages etc., en relation
étroite avec le sacré, le religieux. Mais surtout, de voir que
cette période précoloniale et coloniale nous révèle
la « domination du religieux, du sacré sur la société
toute entière [...] L'arrivée des occidentaux au
XVème siècle va changer la société
gabonaise ».179 Il s'agit ici de voir l'influence de la
période coloniale sur la société lignagère
gabonaise ; qui subit surtout la domination du pouvoir religieux, donc du
christianisme ; par la criminalisation des reliques et l'ordonnancement de la
destruction des autels reliquaires en collaboration avec l'administration
coloniale de l'époque.
D'où la désorganisation de la logique de la
reproduction familiale et collective ; mieux encore, « la loi coloniale
provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction sociale
basée sur le deuil et la collecte des reliques ».180 En
somme, « les transformations progressives des relations entre
sphère spirituelle et reproduction lignagère, inaugurées
localement
178 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe dit pahouin
(Fang-Boulou-Béti), op.cit., p.111.
179 Davy Willis KOUMBI-OVENGA, op.cit., p.82.
180 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, in Mama Africa : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan,
2005, p.8.
par la compétition coloniale autour de la mort, du
corps et du sacré »181 ont conduit à une reformulation du
sacré, donc à une crise de celui-ci induite par l'arrivée
de l'administration coloniale et tous ses corollaires ; crise du sacré
qui se poursuit encore de nos jour au Gabon.
En résumé de cette première partie, le
chapitre premier nous a permis de revisiter le rapport entre la période
coloniale et la question relative aux reliques. Le second chapitre quant
à lui, s'est efforcé de nous présenter le rôle
joué par les reliques dans les sociétés traditionnelles
gabonaises et enfin, le dernier chapitre se focalise sur cette longue crise du
sacré. Ce dernier chapitre nous permet d'entrevoir quelques
éléments capables de nous renseigner, autant que faire ce peu,
pour comprendre la situation actuelle du sacré au Gabon dans toute sa
complexité, à l'arrivée de la colonisation.
181Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, ibid., p.8.
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![](Le-marche-des-restes-humains-Etude-sur-le-fetichisme-politique--Libreville9.png)
Introduction de la deuxième
partie
« L'imaginaire (...) éclaire le
phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »182 De plus, « Le sociologue a la
particularité, qui n'a rien d'un privilège, d'être celui
qui a pour tâche de dire les choses du monde social, et de les dire
autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial
même, en cela ».183 Par ailleurs, « le
sociologue n'observe pas la réalité sociale, mais des pratiques
[...] Entre lui et son objet d'étude s'interpose un ensemble
d'interprétations et d'interventions ».184
Si nous avons choisi ce sujet, ce n'est pas pour faire
l'apologie de la sorcellerie, précisément du fétichisme,
mais plutôt pour tenter d'expliquer son mécanisme de
fonctionnement et ses interprétations au Gabon durant certaines
périodes. Car le fétichisme est périodique,
c'est-à-dire qu'il se manifeste qu'en périodes
électorales, lors des nominations, ou au sortir de celles-ci et a des
manifestations diverses. Au Gabon en général, à Libreville
en particulier, le constat que nous impose l'observation de la
réalité montre que les parents découvrent le plus souvent
que les tombes de leurs défunts sont toujours profanées. Cette
pratique prend de l'ampleur à Libreville et fait la « une »
des journaux185 chaque année et ce, en périodes
d'avant et / ou après les élections politiques.186
En effet, il ne se passe plus une fête de Toussaint sans
que les parents, quand ceux-ci se rendent dans les différents
cimetières de Libreville187, pour l'assainissement des
tombes, constatent ce phénomène. Par ailleurs, il n'est plus rare
d'entendre, en ville comme en banlieue, que la profanation des tombes à
Libreville est l'apanage des hommes politiques actuels (les
députés, les sénateurs, les ministres, les maires etc.)
moyennant de fortes sommes d'argent, parce qu'ils seraient à la
182 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
Paris, Balland, 1992, p.14.
183 Claude JAVEAU, Leçons de sociologie, Paris,
coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre BOURDIEU.
184 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris, coll.
Points, éd. du Seuil, 1974, p.25.
185 Cf. l'Union du 10 Octobre2006, page 6 ; rubrique
Société et Culture ; du 13 et 14 Novembre 2004, rubrique
Société et Culture ; du 26 Avril 2007, rubrique
Société et Culture ; p.7 et de Gabonews du 05
Novembre 2006.
186 Les Législatives, les Locales, les
Présidentielles et les Sénatoriales.
187 Lalala, Mindoubé et Plaine Niger, pour ne citer que
ceux là.
recherche du pouvoir économique, politique et social. A
ce propos, « aussi bien pendant les périodes électorales
qu'entre deux élections, des témoignages de familles, des
observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse permettent de
se rendre compte de la réalité de ces « crimes » ou
« sacrifices rituels ». Des noms des commanditaires et des
exécutants sont cités et l'on évoque toujours soit par
allusions, soit ouvertement des hommes politiques, dont certains sont
directement proches des hauts lieux du pouvoir ».188
Autre fait que nous pouvons signaler, c'est que tous les
cimetières de Libreville sont des sites qui présentent cette
caractéristique de ne pas être sécurisés. En
témoigne, l'absence de clôtures, d'éclairage, de
gardiennage et les hautes herbes, l'insalubrité et leurs localisations
géographiques (hors de la ville c'est-à-dire en banlieue.)
peuvent être retenus comme facteurs rendant compte de ce
phénomène.
Ce qui a donc pour conséquence le fait que « de
jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements
humains foisonnent »189 d'une part ; d'autre part, il est
indéniable que « l'impact des forces occultes sur la politique
nationale est devenu plus manifeste au cours des décennies
».190
A cela, une des interrogations que nous pouvons poser est
celle de savoir si au Gabon, le fétichisme politique n'est pas le
langage du politique lors des consultations électorales ? En
étudiant les profanations des tombes dans les cimetières de
Libreville, il s'agit aussi de visiter la politique d'urbanisation et de
l'habitat à Libreville ; d'autant plus que nous assistons depuis plus de
vingt ans à une occupation anarchique de l'espace urbain par la
population librevilloise. D'où, on observe une population qui a des
difficultés à se loger convenablement. Elle se voit ainsi
contrainte de construire ses habitations soit aux abords ou à
l'intérieur des cimetières.
Tel est donc le cas par exemple du cimetière
d'Ambowè. Les populations, faute de terrains viabilisés s'y sont
installées ; ce que nous
188 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3, citant le
Missamu n°226 du 2 avril 2001, la Griffe n°412 du 3
janvier 2001 ou encore, lire aussi le n°409 du 6 décembre 2000.
189 Ibid., p.4.
190 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques
»), 1995, p.23.
avons appelé des « profanations indirectes »
en ce sens qu'elles ne rendent pas compte du fétichisme politique. A
Ambowè, « la vie a repris le dessus sur la mort ».
Cette situation d'occupation anarchique de l'espace urbain
avait déjà été évoquée par Fortes
Anne Marie DOS SANTOS191 qui, en 1988, posait ce problème
d'aménagement urbain des cimetières à Libreville qui ne
suivait pas l'évolution rapide de la population. « On comprend
alors les problèmes titanesques du Ministère du Plan et de
l'Urbanisme pour mettre en application leur projet de développement
harmonieux de Libreville »192 ; car Libreville n'a pas de plan
d'urbanisme.
Tout au long de cette deuxième partie, nous tenterons
de voir successivement au chapitre IV ; les élections politiques
à Libreville et les profanations des tombes, au chapitre V, le
cimetière de Mindoubé ; théâtre des profanations des
tombes et enfin, le chapitre VI portera essentiellement sur la violence en
postcolonie gabonaise.
191 Fortes Anne Marie DOS SANTOS, Les cimetières
à Libreville face à la croissance spatiale urbaine,
Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Géographie
urbaine, 1988, 82 p.
192 Ibid., p.31.
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