Chapitre I : Période coloniale et approche
anthropologique des reliques
Avant d'entrer dans le vif du sujet, un effort de
clarification des concepts s'impose à nous. En effet, parler de la
question des pratiques reliquaires (en période précoloniale) au
Gabon, c'est convoquer explicitement la notion de culture. Aussi, pour rester
fidèles à DURKHEIM, « la première démarche du
sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite,
afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question
».120On peut partir de la définition d'Edward TYLOR et
celle de Ruth BENEDICT, TYLOR nous propose une définition qui va devenir
classique de la culture comme « ce tout complexe qui inclut la
connaissance, la croyance, l'art, les choses morales, la loi, la coutume et
toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par l'homme en tant que
membre de la société ».121
Pour sa part, Ruth BENEDICT et l'école culturaliste
américaine pensent plutôt qu'«une culture n'est pas
déterminée par des éléments objectifs mais par les
attitudes devant la vie, par le comportement affectif des membres qui la
supportent ».122 Ce que nous pouvons retenir c'est que la
culture est un « tout » c'est-à-dire envisagée
probablement comme un « fait social total » chez MAUSS.
Justement, dans cette perspective, le culte des ancêtres, à
travers les reliques au Gabon doit être envisagé comme
phénomène social total. En ce sens, « il est religieux,
mythologique, parce que les chefs incarnent les ancêtres et les dieux ;
il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les
raisons et les efforts de ces transactions énormes. Il est aussi un
phénomène de morphologie sociale ; la réunion des tribus,
des clans et des familles, un phénomène esthétique, par
les fêtes qui s'y déroulent (...) »123
120 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, op.cit., p.34.
121 Gilles FERREOLES et al, Dictionnaire de Sociologie,
Paris, 3ème éd., Armand Colin, 2004, p.40.
122 Ibid., p.41.
123 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie,
Paris, 2ème éd., (coll. « Cursus série
Sociologie »), Armand Colin, 1998, p.114.
De facto, le culte des ancêtres apparaît alors
comme un phénomène collectif mettant en branle la
société globale et pas uniquement certains groupes, mais la
totalité de ses institutions. Il touche donc toutes les sphères
de la société, de la réalité sociale et ne peut se
comprendre qu'en les mettant en relation. Le schéma qui suit, se propose
de résumer le culte des ancêtres comme phénomène
social total :
Tableau n°5 : Schématisation du culte des
ancêtres en tant que phénomène social total
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- Obligation de cultes - Interdits
Dimension culturelle
Dimension religieuse
- Distinction sacré/profane
Culte des ancêtres : Byéri,
Melane,
Ndjobi, Agombénèrô,
Malumbi, Bwiti.
-Production de la richesse -Economie lignagère
Dimension économique
Dimension politique
- Pouvoir -Le droit
- Protections familiales -La
solidaritémécanique : le lignage
Dimension sociale
Ce schéma récapitule le culte des
ancêtres, ayant son influence dans toutes les sphères, dimensions
de la société gabonaise. Ce qui nous laisse à penser que
les différentes dimensions sont dépendantes.
Il faut rappeler que le culte des ancêtres nous permet
de voir comment se structurent le pouvoir et l'ensemble des
représentations sociales qui gravitent autour de ce culte. De plus, il
nous permet de lire une influence rétroactive sur le
phénomène que nous étudions.
Section 1 : La question des pratiques reliquaires
(périodes précoloniale)
1. Une diversité des cultes des ancêtres au
Gabon.
« Autant de langues gabonaises autant de cultures »
donc il est probable qu'il existe une diversité des cultes des
ancêtres au Gabon. Chez les Fang, on parle du « Byéri »
ou du « Melan »124 ; d'« Agombé
nèrô » chez les Myènè, du « Malumbi »
chez les Eshira ou encore du « Ndjobi » chez les Adouma, les Massango
et les Obamba ou encore du Bwiti chez les Mitsogho. Il va de soi que ce qui est
au fondement de ces différents cultes des ancêtres demeure les
reliques ou ossements humains ; en particulier ceux d'un chef de village,
considéré parfois comme charismatique. Par ossements humains, il
y a lieu de préciser qu'il peut s'agir de crâne, doigts,
fémur (gauche parfois), avant-bras gauche, dents, coeur, foie, cheveux,
etc., susceptibles d'avoir appartenu à un chef de village (illustre) ou
un individu d'une famille qui s'est démarqué de son vivant par
des actes de bravoure etc.
Rappelons que le Byéri, le Melan, l'Agombé
nèrô, le Malumbi, le Ndjobi ou le Bwiti etc., ont un trait commun
fondamental : celui du « culte rendu aux morts, la garde de leurs
ossements, la soumission à des interdits et à un rite de passage
».125 Ne pouvant travailler sur tous ces différents
cultes des ancêtres à la fois, nous nous focaliserons sur le culte
du Byéri, qui nous permettra de faire une
généralisation.
124 Davy Willis KOUMBI OVENGA, op.cit. pp.60-61.
125 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda-Walker,
(coll. « Hommes et sociétés »), 2005,
p.146.
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