2. Le culte du Byéri : un culte familial
Il s'agit d'un rite qui « consiste à conserver
comme des reliques les os des défunts dans de sortes d'urnes
ornées de sculptures à l'image du mort, puis dans des statuettes
au dos desquelles était ménagée une cavité
».126 « Le Byéri n'est pas, comme on l'a souvent
prétendu, une société initiatique, mais plutôt et
simplement une pratique familiale, un culte rendu aux mânes des
ancêtres afin d'attirer leur protection et d'honorer leur mémoire
».127 Le chef de famille, qui en est le prêtre, transmet
sa fonction à l'un de ses fils. Les femmes et les enfants ne peuvent en
aucun cas ouvrir les « boîtes à Byéri »
qui contiennent les reliques, ni même en regarder le contenu. Le jeune
homme chargé de veiller sur elles est investi de sa nouvelle charge au
moment où il jette pour la première fois son regard sur la
boîte ouverte ; c'est alors qu'il apprendra les rites de ce culte
essentiellement familial, puisque chaque gardien ne peut voir dans les
boîtes cylindriques en écorce, surmontées de statuettes,
que les crânes de ses propres ancêtres.
Dans le même ordre d'idée, « le culte du
Byéri est, répétons-le, un culte familial, donc
privé, qui se pratique à l'intérieur de la case familiale,
dans une chambre retirée. Quand un chef de famille fang choisit un de
ses garçons pour lui donner connaissance du Byéri, il s'agit d'un
jeune homme de 25 à 30 ans, environ, marié, avec des enfants,
afin que la perpétuation du culte puisse être assurée, et
qu'il juge digne de garder les reliques de famille et d'en transmettre le culte
aux descendants ».128 De plus, et c'est un point de
départ important, « chaque jeune homme n'a le droit de voir que les
crânes de ses propres ancêtres. Il n'est jamais permis de lui
montrer ceux des autres familles...car c'est de cette façon que le
Byéri garde son culte familial et individuel ».129
D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au
culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent
à être liés
126 Le Million. Encyclopédie de tous les pays du
monde, volume XI, Afrique Occidentale, Centrale Equatoriale et Australe,
Paris, Grande Batelière, p.236.
127 Ibid., p.237.
128 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, op.cit.,
p.147.
129 Ibid., p.149.
au destin des humains visibles ».130 Sans
oublier le fait que la statuaire, un des arts plastiques qui a fait le
succès du Gabon, se rapporte aux reliquaires. Les reliques des
ancêtres ; sous la forme d'ossements et en particulier sous la forme
des crânes, « sont la réplique exacte du culte des saints
dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si l'on
peut dire, qu'ils établissent réellement, par
l'intermédiaire de phénomènes médiatisés
par les transes, le contact avec les défunts. Cette communication
avec les défunts est souvent établie dans un
cadre thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour
réparer les jeteurs de mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens
littéral, le mauvais sort ».131 Mieux, « avant
l'enterrement du défunt, on lui ôtait la tête
très souvent et quelques autres parties du corps (les gros os). Le
crâne et les autres os constituaient alors le patrimoine jalousement
gardés par les héritiers du disparu. »132 Il
convient cependant de rappeler que « le byer fang est le crâne de
l'Ancêtre. Que l'homme conserve, dans un but religieux, les restes de
ses Ancêtres ; n'est pas particulier aux Fang
».133 D'autant plus que « chez les Fang, le crâne
de l'Ancêtre est conservé dans sa nudité osseuse. Il
n'est donc pas travaillé artistiquement. Il est enduit de poudre
rouge de padouk, ba, et conservé dans une boîte
cylindrique, nsek byer, surmontée d'une statuette-reliquaire
».134 Plus important encore, c'est le fait que « les
critères précis présidaient au choix,
au prélèvement du byer. Il fallait d'abord que
l'Ancêtre, de son vivant, en fasse la recommandation à ses
descendants. La personne qui, de son vivant, ne s'était point
signalée parmi les siens par des aptitudes, des dons, des
capacités au-dessus de la moyenne, ne pouvait servir de byer. Ces
qualités se manifestaient à la guerre, à la chasse,
auprès des femmes, dans l'art oratoire, dans la
prospérité matérielle, c'est-à-dire à la
quantité de femmes et d'enfants. Tout individu qui n'avait point
été favorisé par la
130 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Editions du LUTO, 2002, p.48.
131 Ibid., p.49.
132 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.70.
133 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai
d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris,
Karthala/A.C.C.T,1983, pp.39-40.
134 Ibid., p.39.
fortune et dont l'existence s'était
déroulée dans la grisaille quotidienne, était exclu du
byer. Il ne suffisait donc pas d'être l'Ancêtre pour avoir
l'honneur d'être utilisé comme byer ».135
On note aussi que « le byer était confié
à la garde d'un seul individu, mbagle byer. De cette façon
certaines personnes étaient écartées ».136
N'oublions pas que le culte des Ancêtres a pour fonction principale de
garantir en général la prospérité d'une
communauté, d'une famille. Pour se faire, « quand on désire
obtenir les faveurs du byer, on tue un animal domestique. On va trouver le
gardien du buer, en précisant les mobiles de la démarche. On agit
ainsi chaque fois qu'on est malheureux dans ses entreprises
».137 Ainsi, cet exemple atteste que le byer est une
pièce maîtresse dans la structure de la société
fang, mais surtout, que « le byer était, pour le Fang, le garant du
monde vivant. Il favorisait toutes ses entreprises. Il rendait les femmes
fécondes, donnait la richesse, assurait le succès des
expéditions guerrières, de la chasse protégeait les
guerriers, veillait sur les individus. En un mot, la société fang
était inconcevable sans le byer. Il n'y avait pas de
réalité religieuse supérieure à lui
».138
En fin de compte, en considération des
différentes fonctions du byer que nous venons de citer, « les byer
devinrent des idoles, les rites et les croyances, des superstitions
».139 C'est pourquoi, « pour les Fang, l'Ancêtre est
l'axe de la société, le garant du monde vivant et de la vie
future. A lui se rattachent directement ou indirectement les manières de
faire, les croyances, les rites, l'organisation sociale [...] Tel se
présente, vivant, parmi les siens, celui dont le crâne servira de
byer. Vivant, il est le pivot de l'organisation politique. Mort, il devient le
fondement de la société, de la culture. C'est désormais
lui qui donne force et puissance ».140
135 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai
d'interprétation de la formule de bénédiction,
ibid., p.40.
136 Ibid., p.40.
137 Ibid., pp.41-42.
138 Ibid., p.42.
139 Ibid., p.43.
140 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang ; ibid.,
p.51.
En un mot, « la société axée sur le
byer obtient sécurité, abondance, succès dans les
entreprises ».141
141 Ibid., p.52.
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