1.1.2- Elargissement du débat : la prise en
compte d'hypothèses supplémentaires
1.1.2.1- L'option de report futur des
investissements
- Le cas d'un seul projet
d'investissement
Comme exemple extrême, supposons que l'incertitude due
à la volatilité disparaît complètement à la
période suivante, de sorte que le rendement futur restera constant pour
toujours à la valeur qui est réalisée à cette
période. Dans ce cas, envisager une stratégie n?impliquant aucune
action cette année - et donc pas de flux de trésorerie - et la
réalisation du projet à l'année suivante si et seulement
si le rendement dépasse le coût d'usage du capital. Le flux de
trésorerie attendu de cette stratégie est :
V1= Pr[R> rPk] { ~
i _ )[ ~
1 ] ²?8 i=0(1+rji E0 (R|R> rPk)}
Notons que l'expression entière est multipliée
par la probabilité que le rendement du projet va se
révéler supérieur au coût d'usage du capital, car
c'est seulement dans ce cas que l'investissement sera fait l?année
suivante. Nous pouvons comparer les deux stratégies par le calcul de la
différence de rendement :
V1- V0 = [1/ (1+r)] [Pr[R> rPk] ) #177;
(R0-rPk)] (2)
Il est rentable d'investir immédiatement si cette
expression est négative, ce qui est équivalent à
l?exigence que :
(R0-rPk) > Pr[R> rPk] ) (3)
Cette condition compare simplement le coût de l'attente
- le rendement net de la période courante (R0 - rPk) est perdu en
n'investissant pas - à la valeur de l'attente, donnée par
l'irréversible erreur qui pourrait être
révélée demain au cas où les rendements futurs du
projet sont en deçà du coüt d'usage du capital
(c?est-à-dire, R <rPk). La valeur actuelle probable de cette erreur
est mesurée par le côté droit de (3): l'erreur est faite
avec une probabilité Pr [R <rPk]; son ampleur par période,
compte tenu de l'information d'aujourd'hui, est E0 [rPk - R|R <rPk], et
puisqu'il revient à chaque période dans un avenir
indéterminé, il doit être multiplié
par (1 / r) pour le transformer en terme de valeur
présente. Il n?est rentable d'investir immédiatement que si le
rendement en première période dépasse le coût
d'usage du capital conventionnel par une marge assez grande pour compenser
l'erreur possible irréversible - c'est à dire, si le coût
de l'attente emporte sur la valeur de l'attente.
La caractéristique importante de (3) est que
l?anticipation d?un « futur favorable », représentée
par une réalisation de R > rPk est complètement inutile dans
la détermination du seuil d?investissement. C?est le principe des «
mauvaises nouvelles » développé initialement par Bernanke
(1983) : c?est seulement les anticipations relatives à la
sévérité des mauvaises nouvelles futures qui
déterminent la décision d'investir aujourd?hui ou de reporter
l?investissement. Les bonnes nouvelles potentielles importent peu. La raison
intuitive de cette asymétrie est que l'option d'attendre n'a pas de
valeur dans les situations où l'adoption de l'investissement aurait
été la bonne décision - elle n'est utile que dans les
Etats où les investissements précoces auraient été
regretté. La valeur de cette option d?attendre est égale à
V1-V0 et 0. Si V1<V0, l?option d?attendre n?a pas de valeur, et la
décision optimale est de procéder immédiatement à
l?investissement.
Méme avec des quantités modérées
d'incertitude, toutefois, la valeur de l'option d?attendre peut être
assez importante. Ceci peut être facilement vu par le calcul de la prime
au-dessus du coüt d?usage du capital qu?un projet irréversible doit
offrir aux investisseurs pour qu?ils renoncent à leur option d?attendre.
Serven prend un exemple simple d'un projet irréversible avec une
probabilité de 0,10 d?échouer- c?est-à-dire que le
rendement annuel du projet est inférieur de 2 points de pourcentage au
taux d?escompte-, et avec une probabilité de 0,90 de réussir.
Soit Pk=1 et r=0.4, on peut se demander quel rendement immédiat R0 un
projet doit garantir à un investisseur neutre au risque pour que ce
dernier puisse le mettre sur pied ? Un calcul simple à partir de (3)
montre que R0 doit être au moins 9%, c?est-à-dire au moins 5% de
pourcentage au-dessus du cout du capital, pour qu?un investisseur l?adopte.
La principale conséquence du principe de mauvaises
nouvelles, c'est que tout élargissement de la distribution des
rendements futurs augmente l'incertitude défavorable, augmente la valeur
de l'option d'attendre et a donc tendance à déprimer
l'investissement (Serven, 1997). Dans l'exemple précédent,
supposons que nous réduisons le rendement du projet dans le
scénario défavorable d?un 1%, de sorte que maintenant il est loin
de r de 3 pour
cent19 ; avec tous les autres paramètres
inchangés, R0 doit maintenant être d'au moins 11%. Deux points
supplémentaires de prime sont désormais tenus, parce que l'erreur
irréversible est devenue plus grand.
Jusqu'à présent, nous avons supposé que
seul un projet d'investissement était à la disposition de
l?entreprise. Toutefois, un important corollaire du principe des mauvaises
nouvelles concerne la sélection entre plusieurs projets d'investissement
irréversibles: les événements qui menacent de modifier
l?ordre de rentabilité des différents projets - même si
elles augmentent les rendements absolus à tous les projets - ont
tendance à réduire les investissements (Serven, 1997).
- Le cas de plusieurs projets
d'investissement
Un autre exemple peut servir à illustrer ce point.
Considérons une entreprise qui doit décider entre deux projets,
qui exigent tous deux un investissement égal à Pk. le premier
projet utilise du travail, et donc son rendement futur dépend de
l'évolution du salaire réel. Aujourd'hui, le salaire réel
est égal à w0 ; à partir de l'année prochaine, il
pourrait monter à un niveau élevé wH avec une
probabilité (1-p), ou alors chuter à un niveau plus bas
wL avec une probabilité p. la valeur nette actualisée
du premier projet qui utilise le travail est donc :
V0 (projet 1) = -1+ (1+rj1[(1-w0) + (1/r) {p
(1-wL) + (1-p) (1-wH)}]
Et on suppose que (1-wL)> (1-wH)> r, et (1-w0)> r, de
sorte que le projet soit rentable dans les deux scénarios. En revanche,
le second projet n'utilise pas de travail, et donc son rendement est
indépendant du salaire réel. Supposons que le taux de rendement
annuel est égal à a. On a donc :
V0 (projet 2) = -1+ (1+rj1 [a + (1/r)a] = -1 +
(a/r)
Supposons dans un premier temps que a <
(1-wH). Le second projet est toujours moins rentable que le premier,
et la stratégie optimale consiste à entreprendre le projet 1
immédiatement. Supposons cependant, qu'une amélioration technique
provoque un accroissement de a à 1-wH <a <1 -
wL, de sorte qu?avec de hauts salaires le projet 2 devient plus
rentable que le projet 1. Intuitivement, puisque la rentabilité d'au
moins un projet a augmenté, l'investissement devrait être
encouragé. Mais ce n'est pas le cas, parce que
19 On peut aussi augmenter les rendements dans le
scénario favorable autant que nous voulons, mais ceux-ci ne sont pas
pertinents
maintenant il peut être préférable d'attendre
la prochaine période, et ensuite adopter le projet 1 si les salaires se
révèlent faibles et le projet 2 si ils sont élevés.
Cette stratégie donnerait:
1
V1 = (-1) +
1 +r
1 +r) {p (1-wL) + (1-p) a}
1
Il est facile de vérifier qu?attendre devient la
stratégie optimale si et seulement si : (1-W0-r) < (1 --p)
(a --[1 --wH])
(a-r) < p (1 --wL --a)
Si les deux inégalités tiennent, une
augmentation de la rentabilité du projet 2, sans aucune baisse de la
rentabilité du projet 1, abaisse effectivement l?investissement, puisque
l'entreprise préfère maintenant attendre la prochaine
période afin d'éviter l'erreur irréversible d'avoir choisi
ce qui pourrait se révéler être le «mauvais»
projet -- un problème qui auparavant ne pouvait se
poser parce que le projet 1 était supérieur dans tous les
scénarios possibles.
Ainsi, les modèles analytiques précédents
caractérisent le seuil critique qui doit être atteint par la
rentabilité marginale du capital afin d?être propice à
l'investissement. Ils prédisent que si la volatilité
augmente, le seuil de rentabilité des investissements va
également augmenter de sorte que les entreprises seront plus
hésitantes à investir pour éviter de se faire prendre avec
trop de capital si l'avenir se révèle pire que prévu. En
revanche, si l'avenir se révèle meilleur que prévu pour
l'entreprise, il suffit d'ajouter autant de capital que
nécessaire.
1.1.2.2- Le rôle des rendements à
l'échelle et du type de marché
De ce qui précède, il doit être clair que
l'irréversibilité n'est pas en soi une raison suffisante pour
tourner le dos à l'impact positif de la volatilité sur
l'accumulation de capital physique obtenue de la convexité de la
fonction de profit. En effet, même en présence de coûts
d'ajustement asymétriques, il peut être démontré que
l'investissement optimal par une entreprise concurrentielle continu
d'être une fonction non décroissante de l'incertitude (Caballero,
1991; Abel et Eberly, 1994). Pour inverser ce résultat, il est
nécessaire d?apporter des hypothèses supplémentaires comme
la concurrence imparfaite ou les rendements d'échelle
décroissants20. Lorsqu'ils sont combinés avec
l'irréversibilité, ils peuvent créer la
négativité du
20 Ou les deux à la fois
lien incertitude-accumulation du capital en transformant le
produit marginal du capital en fonction décroissante du stock de capital
(Caballero, 1991). Dans ces conditions, le seuil de rentabilité
mentionné ci-dessus augmente avec le degré d'incertitude, et si
cet effet est assez puissant, il peut l'emporter sur l'augmentation de
rentabilité espérée découlant de la
convexité de la fonction de profit, ce qui réduit les
investissements. La raison intuitive est que dans ce cas, la nature
asymétrique des coûts d'ajustement rend l'incertitude du point de
vue de la baisse des prix plus importante que l'incertitude sur leur hausse :
étant donné que le désinvestissement est plus
coûteux que l'investissement, les chocs favorables ont un effet moindre
sur la rentabilité que les chocs défavorables, et les entreprises
deviennent ex ante hésitantes à investir pour réduire le
risque d'être coincé ex-post avec des projets non rentables et
irréversibles.
L'hypothèse selon laquelle la rentabilité
marginale du capital décroit avec la baisse du stock de capital ne peut
évidemment pas s'appliquer à une firme parfaitement
concurrentielle et disposant de rendements constants, puisque dans ce cas le
taux marginal de rentabilité du capital est, par construction, sans
rapport avec le niveau de capital et égal au prix de l?output qui est
une résultante des fondamentaux du marché. Cependant, une telle
hypothèse est plus réaliste pour les entreprises en concurrence
imparfaite et, peut-être plus important encore, pour une industrie sans
barrières à l?entrée et parfaitement concurrentielle dans
son ensemble. A ce niveau de la branche industrielle, la distinction entre
l'incertitude globale et spécifique à l'entreprise prend de
l'importance: cette dernière continue d'avoir des effets positifs (ou
nonnégatifs) sur l'investissement de la firme comme décrit
ci-dessus, mais les chocs globaux ont un effet asymétrique, parce que l'
impact des chocs globaux favorables sur la rentabilité de l?ensemble de
l'industrie est limité par l'entrée de nouvelles entreprises,
pendant que irréversibilité empêche la sortie en cas de
chocs défavorables. Comme les entreprises individuelles parfaitement
concurrentielles sont conscientes de ce fait, une plus grande incertitude
globale élève sans ambiguïté leurs seuils de
rentabilité et tend à réduire aussi bien l?investissement
de la firme ainsi que celui de l'ensemble du secteur (Caballero et Pindyck,
1996).
1.1.2.3- Horizon temporel et degré d'aversion au
risque
Même dans le cas précédent, les
prédictions théoriques de l'approche de
l?irréversibilité concernent la décision d'investissement
ex ante, et donc font surtout référence au court terme (Bertola
and Caballero, 1994). À long terme, un effet «gueule de bois»
(Abel et Eberly, 1999)
entre en jeu: des degrés plus élevés
d?irréversibilité et / ou d'incertitude rendent plus probable le
fait que les entreprises se retrouvent ex-post coincées avec un capital
excessif, rendant en effet le capital à long terme et les
investissements supérieurs à ce qu?ils auraient été
autrement.
Il est intéressant de noter également que des
facteurs analogues à l'irréversibilité peuvent en fait
contribuer à un lien positif entre volatilité et investissement,
du moins en théorie. Par exemple, si les entreprises ont la
possibilité de l'abandon des projets non rentables, les coûts
d'ajustement de l?investissement deviennent aussi asymétriques, mais
dans le sens opposé à celui impliqué par
l'irréversibilité : avec la possibilité d'abandon,
l'incertitude sur la hausse de la rentabilité est la seule qui compte,
puisque l'impact de chocs négatifs peut être atténué
en arrêtant ces projets révélés a posteriori comme
non rentables, et donc une plus grande incertitude accélère
réellement l'investissement à condition que le coût des
projets de l'abandon n'est pas trop élevé21.
Jusqu'à présent, la discussion a
été limitée au cas de neutralité face au risque.
Une approche alternative prend pour point de départ le cas d?agents
averses au risque et confrontés à des possibilités de
diversification limitées dans le contexte des marchés de capitaux
imparfaits. Dans cette logique, Zeira (1990) présente un modèle
de l'accumulation du capital optimale en concurrence parfaite avec aversion au
risque des investisseurs faisant face à des prix relatifs incertains.
Dans ce cadre, l'incertitude a un impact ambigu sur l'investissement: d'une
part, elle tend à augmenter l'investissement grâce à la
convexité de la fonction de profit mentionné plus tôt,
d'autre part, une plus grande incertitude décourage l'investissement en
raison de l?aversion au risque des investisseurs. L'effet net dépend de
la concavité de la fonction d'utilité,22 la
convexité de la fonction de profit, et la répartition des
risques.
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