3. Le bilinguisme précoce
Parmi les différents types de bilinguisme, il a
été mis en évidence l'existence d'un bilinguisme
précoce simultané, lorsque les deux langues sont présentes
dans l'environnement de l'enfant dès sa naissance, et d'un bilinguisme
précoce consécutif lorsque la seconde langue est introduite avant
l'âge de trois ans. Dans cette partie, ne sera développé
que le type de bilinguisme en relation avec le corpus étudié dans
le cadre de ce mémoire, le bilinguisme précoce simultané.
Le bilinguisme lié à une acquisition (par opposition à
apprentissage), est dit précoce car il se construit avant 6 ans. C'est
ce type de bilinguisme qui se trouve actuellement au centre des
préoccupations des chercheurs et des parents bilingues ou monolingues
expatriés. Dans cette étude nous préférerons parler
de bilinguisme simultané et consécutif.
3. 1. Le contexte du bilinguisme précoce
simultané
Dans la plupart des cas, le bilinguisme précoce
simultané intervient lorsqu'un enfant naît au sein d'un couple
mixte dont chacun des parents possède une langue maternelle
différente de celle de l'autre, mais dont chacun possède
également une certaine compétence de communication dans la langue
maternelle de son conjoint. Dans ce genre de contextes, il n'est jamais
à exclure l'existence d'idéologies liées à la
langue, si l'une est dévalorisée car n'étant pas celle de
la communauté ou la langue officielle du pays, selon qu'elle
représente l'ascension sociale ou non, etc.
Ainsi, les parents pourront adopter certaines attitudes
spécifiques qui pourront influencer la perception que l'enfant va avoir
de chacune des langues, pouvant entraîner parfois un bilinguisme dominant
dès les premières années. Toutefois, de nos jours,
l'importance que requièrent des maîtrises plurilingues sur le plan
professionnel, incite de nombreux parents à transmettre les deux langues
à leur enfant.
Rimbaud Sophie L'acquisition du genre et le code mixing
chez le bilingue précoce 2009 3. 2. Le système langagier
en construction : un ou deux systèmes ?
La première idée qui s'est
développée au début de la recherche, était que les
enfants bilingues de naissance acquièrent dès le début de
leur acquisition, un système commun aux deux langues qui va, avec le
temps, se scinder en deux systèmes, un pour chaque langue. Cette
hypothèse a été rapidement acceptée par la
communauté scientifique et ses défenseurs les plus fervents
furent Volterra et Taeschner (1978)19 ces chercheurs ont
tenté de prouver cette théorie selon laquelle les enfants entrent
dans le langage avec un système linguistique qui deviendra deux
systèmes au fur et à mesure de l'acquisition du langage. Volterra
et Taeschner ont dénombré trois stades d'acquisition de la
grammaire qui montreraient que les systèmes passeraient progressivement
de un à deux en étudiant en parallèle, les
stratégies mises en place par les enfants pour acquérir chaque
langue.
Tout d'abord, l'enfant entre dans le langage avec un
système uniquement lexical pour les deux langues, dans un second temps,
alors qu'il va développer un système syntaxique pour les deux
langues, le répertoire lexical commun va se diviser créant deux
systèmes pour chaque langue. Enfin, dans un troisième et dernier
temps, le système syntaxique se divise en deux ainsi l'enfant, parti
d'un seul système linguistique commun aux deux langues fini par en
développer deux, un pour chaque langue. Selon Volterra et Taeschner
cette différence de système n'apparaît que lorsqu'un enfant
adapte sa langue à celle de l'interlocuteur. Cette théorie fut un
pas important dans l'étude de l'acquisition du bilinguisme
précoce chez les enfants car elle avance que d'une part les enfants ne
naissent pas avec deux systèmes linguistiques, ceux-ci se
développent en trois temps dès que l'enfant commence à
parler, et d'autre part les enfants sont psychologiquement capables de
comprendre qu'ils parlent deux langues différentes et linguistiquement
capables de s'adapter spontanément à la langue de leur
interlocuteur.
Cette hypothèse fut reprise et améliorée
en particulier par les travaux de Genesee en 1989. Contre l'idée
communément acquise que les enfants apprennent à parler deux
langues en construisant dès le début deux systèmes
linguistiques différents, il développe l'hypothèse selon
laquelle les enfants passent par un stade durant lequel ils ne sont pas
capables de faire de différence entre les deux langues. Il a
élaboré cette théorie en analysant la capacité
qu'avaient les enfants à mélanger les langues : si les enfants
mélangeaient les langues c'est qu'au début ils ne pouvaient pas
faire de différence entre les deux et qu'ils n'avaient donc qu'un
système de représentation. Il confirmera cette hypothèse
en ajoutant qu'à partir de l'étude d'expériences
empiriques basées sur l'étude du code
19 cité par Deuchar et Quay, 2000)
switching, les enfants sont psychologiquement et
linguistiquement capables de faire la différence entre les deux langues
apprises et parlées et qu'en fonction des contextes ils s'adaptent
à la langue de l'interlocuteur. En utilisant la langue de
l'interlocuteur, l'enfant montre « sa conscience du contexte social »
nous parlerons alors de différenciation pragmatique (Abdelilah-Bauer
2006 : 77).
À la suite de ces considérations, plusieurs
éléments peuvent être soulevés : à quel
niveau de leur développement les enfants bilingues utilisent-ils deux
systèmes langagiers distincts ? Swain (1972) donne l'hypothèse
suivante : l'enfant développe d'abord des règles linguistiques
communes aux deux langues. L'enfant bilingue doit développer
différentes stratégies qui vont lui permettre de
différencier les deux langues. Elle va plus loin en disant que l'enfant
développe un système commun pour les règles
partagées par les deux systèmes et deux systèmes
différents pour certaines règles. Le temps de l'acquisition de
certaines règles sont attribuées au fait que les enfants
bilingues doivent développer différentes stratégies.
Il est très possible que la confrontation à deux
langues, à deux systèmes linguistiques, implique un
élargissement du traitement cognitif des deux langues. En effet,
l'enfant mobilise des stratégies de différenciation qui lui
permettent de traiter différemment les systèmes syntaxiques,
lexicaux et sémantiques.
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