1. 3. Classification en fonction du contexte
d'acquisition
Dans cette partie nous allons parler de la langue
présente dans l'entourage immédiat de l'enfant (sa famille et la
communauté dans laquelle il évolue) indépendamment du
statut des langues dans le pays. Dans le cadre du bilinguisme (pour le
différencier du plurilinguisme plus souvent évoqué par les
sociolinguistes), l'enfant va être en contact avec deux langues mais
selon le type de contact, le bilinguisme sera endogène ou
exogène.
Pour Hamers et Blanc (1986), le bilinguisme est dit
endogène5, si les deux langues sont considérées
comme maternelles, si elles sont toutes deux utilisées en contexte
social formel et informel et considérées socialement. Le
bilinguisme endogène implique, à l'origine, que les deux langues
soient acquises en même temps, dans le contexte familial, et qu'elles
aient le co-statut de langues maternelles, si l'on peut poser
l'hypothèse de l'existence possible de
5 Du grec evãov dedans et
yevoç origine.
deux langues maternelles chez un seul locuteur. Les impacts
cognitifs du bilinguisme sont également dépendants de
l'environnement socioculturel, en particulier du statut respectif des deux
langues au sein d'une même communauté.
Nous parlerons de bilinguisme exogène6 dans
un contexte linguistique où l'une des deux langues apprises est la ou
une des langues officielles, mais pas celle de la communauté (c'est le
cas lors d'un contexte migratoire) Cette définition introduit la notion
de conflit diglossique. En effet, c'est souvent le contexte exogène qui
est à l'origine d'un bilinguisme diglossique, car il privilégie
souvent une langue au détriment de l'autre. La langue
privilégiée est alors la langue de la société,
officielle, majoritaire, majorée, valorisée.
Si l'on considère qu'il y a un impact social sur
l'acquisition des langues, alors cet impact peut se faire de deux
manières : si deux langues sont bien considérées par la
société, alors l'enfant va avoir une vision positive qui va le
pousser à apprendre la langue du pays tout en continuant à
pratiquer la ou les langues de ses parents. En revanche dans un contexte
migratoire, l'enfant aura plus de difficulté à apprendre sa
langue maternelle qu'un enfant monolingue ou bien, comme on le voit en France
dans les communautés arabophones, la langue de la famille qui a
immigré disparaît au bout de trois ou quatre
générations.
1. 4. Classification en fonction du statut des langues
Dans cette partie nous allons définir le bilinguisme en
fonction de la place des langues acquises par l'enfant. Cette partie est
très importante car c'est ici que nous allons enfin ce définir le
terme de diglossie tel qu'il a été étudié par les
sociolinguistes depuis Psichari (1928). Cette partie représente
l'aboutissement d'une longue réflexion entamée au début de
ce chapitre : lorsque nous parlons de bilinguisme en acquisition, est-ce que,
au même titre que pour les adultes, il existe un bilinguisme diglossique
chez les enfants ?
Quand les phénomènes de contact des langues sont
évoqués nous nous trouvons souvent confronté au concept de
diglossie. Il nous semble important de définir plus en détail ce
concept et de monter son articulation dans le développement du
bilinguisme chez les jeunes enfants. Le terme de diglossie est employé
pour la première fois en 1928, dans Le Mercure de France, par
l'écrivain Jean Psichari mais son emploi s'est ensuite
généralisé. Le terme servait à qualifier la
situation linguistique de la Grèce où deux variétés
de Grec coexistaient : le Katharevoussa, qui est l'héritage linguistique
parlé par l'élite et le Démotiki, langue
revendiquée par les jeunes mais refusée par l'élite. De
cette opposition entre les
6 Du grec, e÷o au-dehors et
yerjrjcxv engendrer.
langues naît le conflit diglossique. Selon Psichari, la
diglossie sert à définir la coexistence de deux langues en
conflit dans une société donnée. Ce concept émerge
de situations concrètes c'est pourquoi il y a plusieurs
interprétations du concept même de diglossie.
Le deuxième modèle est celui
développé par Fergusson : selon lui, il y a diglossie quand il y
a deux variétés de la même langue en usage dans une
communauté, une variété haute et une variété
basse. La variété basse est acquise par transmission et la
variété haute est apprise. La répartition des usages,
contrairement au modèle grec, fait l'objet d'un consensus non
problématique.
La troisième école est celle de
Bâle-Neuchâtel avec, entre autres chercheurs, Lüdi et Py
(2000). Ce groupe accepte en partie le concept de diglossie mais en corrige la
notion de prestige avec une variété haute et une
variété basse :
« diglossie : situation d'un groupe social (famille,
ethnie, ville, région, etc...) qui utilise deux ou plusieurs
variétés (langues, idiomes, dialectes, etc...) à des fins
de communication, fonctionnellement différenciées, pour quelques
raisons que ce soit ». Lüdi et Py (2000 :15).
La diglossie devient ainsi un modèle consensuel à
la base d'une stratégie de coopération, où le bilinguisme
ou le plurilinguisme ne sont plus une source de conflit.
Enfin dans une optique complètement différente
celle de Lüdi et Py mais plus proche de celle de Psichari, Lafont (1960)
définit la diglossie en prenant l'exemple du modèle
catalano-occitan, comme conflictuelle : s'il y a contact de langue il y a
compétition donc antagonisme.
Pour résumer, quand il y a contact de langue il y une
domination et une minoration plus ou moins importante qui parfois engendre un
conflit. Les sociolinguistes ont surtout étudié ces
phénomènes chez les adultes mais les enfants ne sont pas à
l'abri des conflits de langue puisque dans des contextes bilingues ils sont
confrontés à plusieurs des contacts de langues. Ce contact peut
se faire au sein de la famille (famille bilingue) ou lors d'un contexte de
migration (famille monolingue qui immigre dans un pays étranger). Dans
le premier cas, l'enfant apprendra les deux langues en même temps et la
disparité entre les langues sera moins grande ou apparaîtra plus
tardivement dans le second cas la langue seconde sera apprise après la
langue maternelle et le choc des deux langues sera peut-être plus
violent.
Pour résumer nous avons pu constater l'existence de
situations conflictuelles dans lesquelles certaines langues acquises par
l'enfant sont dévalorisées, dévaluées dans la
société, alors que d'autres sont valorisées. Par exemple,
en France, le français tient une
place prépondérante qui écrase toutes les
autres langues non officielles. Un enfant bilingue, en France, sera alors la
plupart du temps, confronté à la forte représentation
sociale de la langue française et au poids que cette dernière
prend dans la société, comme langue de culture, d'ascension
sociale, de langue officielle de la République.
En faisant des recherches, un problème s'est
posé au niveau de la terminologie : d'une part, deux auteurs utilisaient
les mêmes termes pour parler de représentations
différentes, d'autre part, une erreur dans le choix des termes a
été relevée. Le conflit porte sur l 'utilisation des
termes de bilinguisme additif et soustractif. D'une part Abdelilah-Bauer (2006
: 29) va utiliser la terminologie de bilinguisme additif et de bilinguisme
neutre (ou soustractif) pour caractériser le développement d'une
compétence à partir de l'impact cognitif qu'a le contexte sur
cette langue, c'est-à-dire l'augmentation ou pas des compétences
intellectuelles dans la dite langue.
D'autre part, Hamers et Blanc (1990)7 parlent aussi
d'impact cognitif valorisé ou pas mais dépendant du statut de la
langue et non pas de son contexte d'acquisition : autrement dit, si les deux
langues sont socialement valorisées, l'enfant les apprendra plus
facilement que si l'une d'entre elles est valorisée aux dépens de
l'autre. L'autre problème se pose au niveau de la sémantique :
les termes d'additif et de soustractif sont très vagues, de plus un
bilinguisme ne peut pas être à la fois neutre et soustractif.
Par conséquent, étant donné les
divergences terminologiques, pour parler du statut des langues nous
préfèrerons utiliser, dans ce mémoire, le terme de
bilinguisme neutre si les deux langues sont valorisées au même
niveau ou de bilinguisme hiérarchique si l'une d'elles a un statut plus
important. Mais le bilinguisme neutre au même titre que le bilinguisme
équilibré est rare à notre connaissance le bilinguisme
n'est jamais équilibré et bien qu'il soit utopique, il nous
semble important d'aborder les différentes possibilités de
bilinguisme sous ces deux angles.
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