1. 2 . Classification en fonction de l'organisation
cognitive de la langue
Dans l'évaluation de la compétence cognitive de
la langue, on prend en compte la manière dont se fait l'acquisition du
lexique dans les deux langues et dans un même contexte. Cela revient
à se demander s'il existe un ou deux systèmes. Dans cette partie,
nous n'allons va pas rentrer dans le débat pour savoir s'il existe un ou
deux systèmes nous allons présenter les différentes
théories qui existent en donnant, si nécessaire, leurs
limites.
La classification est inspirée par Weinrich (1968
cité par Hamers et Blanc, 1990) et Hagège (1996) : il est
difficile de donner une terminologie exacte à la classification de
Weinrich (1968) mais Hagège parle « d'organisation des
connaissances de mots dans les situations de bilinguisme ». Wienrich part
de la structuration du lexique mental d'un enfant, lexique qui construit
progressivement au contact de la langue. L'acquisition du lexique se fait dans
le temps mais selon lui, c'est l'exposition à la langue qui a construit
le type de bilinguisme : tout d'abord on parle de « bilinguisme
composé» » pour caractériser un enfant qui apprend les
deux langues dans un même contexte et dans une même situation. De
ce fait, deux mots peuvent avoir un référent et un
signifié commun, ainsi le langage se construit dans une
interdépendance des deux langues sur le plan sémantique et de
l'organisation cognitive du sens et de la perception des éléments
du contexte.
En effet, la catégorisation cognitive et
sémantique des éléments contextuels perçus sera
équivalente dans les deux langues. Par ailleurs, le bilinguisme est
coordonné quand il se construit au sein d'une indépendance entre
les deux langues. En effet, l'enfant apprend deux langues dans un contexte
propre associé à chacune ; ainsi, chaque mot de chaque langue
possède son propre référent et sa propre signification,
impliquant deux signifiés et deux référents dans deux
langues différentes. Selon cette classification, il y aurait deux
systèmes linguistiques et conceptuels parfaitement distincts.
Enfin, Weinrich est le seul à parler de bilinguisme «
sous-coordonné » (Sub-coordinate3) dans le cadre d'un
bilinguisme où les deux langues sont acquises mais
3 Selon notre propre traduction.
l'une d'elles va devenir « langue la plus forte »
(stronger language (SL)) et l'autre « langue la plus faible » (weaker
language (WL)) et la représentation du même mot dans les deux
langues ne se fera que dans la langue forte (SL). Dans un «bilinguisme
coordonné» une des deux langues va rendre l'ascendant sur l'autre,
ce qui représente l'aboutissement d'un conflit diglossique.
Dans l'acquisition du bilinguisme vont donc opposer deux
définitions : la première où l'on parle de «
bilinguisme composé», c'est-à-dire que l'enfant va avoir
dans chaque langue un signifiant pour un signifié4. La
seconde désigne un bilinguisme dit coordonné, où l'enfant
va se représenter le monde de la même façon dans les deux
langues et va donc avoir pour un mot, un signifié pour deux signifiants.
La construction du monde se fait dans deux langues différentes. Dans la
troisième définition, l'une des deux langues domine l'autre ; la
structure de base sera toujours la langue fondamentale (maternelle et
dominante) et l'utilisation d'une autre langue nécessitera un encodage
supplémentaire qui se superposera à celui de la langue maternelle
qui nécessite un traitement cognitif différent de celui de la
langue maternelle, cependant selon Padilla et Liebman (1975 cité par
Hamers et Blanc, 1990), l'implication précoce et importante de
l'hémisphère droit chez un bilingue équilibré (par
rapport à un monolingue où la mobilisation de
l'hémisphère droit est relative), reste proche de celle d'un
bilingue à tendance dominante si la seconde langue est apprise avant 6
ans.
La première définition (« bilinguisme
composé») s'applique facilement à des contextes de
bilinguisme familial dans lequel les parents alternent sans distinction les
deux langues dans leur parler. Le «bilinguisme coordonné»
quant à lui s'applique à des situations plus scolaires où
une seconde langue étrangère est apprise : c'est souvent le cas
lorsque l'enfant est élevé dans une famille monolingue dans un
pays qui parle une langue différente. Lorsqu'il se retrouve dans une
situation d'apprentissage avec d'autres enfants il entre en contact avec une
nouvelle langue, ce contact se fait par un enseignement, il n'est pas «
naturel » (dans l'interaction discursive avec les parents) ainsi, l'enfant
va apprendre à dire le monde qu'il connaissait déjà, dans
une autre langue et d'une certaine manière va le réapprendre. La
distinction entre les types composé et coordonné n'est pas
exclusive pour Ervin et Osgood (1954) : ces types constitueraient les deux
pôles du bilinguisme et les sujets bilingues se situeraient entre les
deux, leur position variant en fonction des situations d'apprentissage et
d'utilisation de la langue, ainsi que de l'âge de confrontation aux
deux
4 Le signifiant est la forme concrète (image
acoustique) du signe linguistique. Alors que le signifié est le contenu
sémantique du signe linguistique
langues. Par conséquent le bilinguisme tiendrait plus
à des stratégies cognitives adaptées à un contexte
qu'à des modèles figés.
Cette classification concentre le bilinguisme presque
exclusivement sur un plan sémantique et lexical. Dans le cas du
«bilinguisme coordonné» il se développe, selon les
langues, une variation en fonction de la construction de la dimension
sémantique et organisationnelle qui va également modifier la
perception et la catégorisation d'éléments du monde. Cette
définition présuppose que les deux systèmes linguistiques
soient reliés à des systèmes indépendants. Il
existerait alors deux représentations du monde, une pour chaque langue.
Cette dimension implique, par exemple, que le référent de «
forêt », en français, ne soit le même qu'en anglais.
Cette perspective, qui peut se rapprocher de l'hypothèse SapirWhorf,
impliquerait que la langue construit la vision du monde. La
catégorisation cognitive impliquerait deux systèmes, donc deux
fonctionnements neurolinguistiques différents. De même, on
conceptualiserait le monde dans deux langues et la perception du monde s'en
trouverait changée.
Mais il est également intéressant de souligner
que, si cette classification s'avère empiriquement exacte, le
fonctionnement organisationnel du lexique et de la perception du contexte varie
non seulement d'une langue à l'autre mais aussi d'un individu à
l'autre en fonction à leur propre fonctionnement cognitif individuel. De
ce fait, la classification ne servirait pas seulement à décrire
différents types de bilinguisme, mais aussi les fonctionnements
cognitifs et les stratégies d'apprentissage propres à chaque
individu.
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