Chapitre 1 : partie théorique
Le langage humain est très différent du langage
animal : d'une part la communication humaine est symbolique et grammaticale,
d'autre part un humain peut apprendre différentes langues, même
à l'âge adulte. Cette capacité qu'a l'homme de parler
plusieurs langues fascine les chercheurs dans de nombreux domaines : les
sociolinguistes ont été les premiers à travailler dans ce
domaine, avec une approche sociale et culturelle du bilinguisme, à
travers l'étude des contacts de langue. Cette recherche sur cette
faculté à apprendre plusieurs langues s'est étendue dans
le domaine la didactique, c'est-à-dire l'enseignement des langues
étrangères pour l'adulte et plus généralement celui
de la linguistique.
Au début du siècle, des chercheurs en
acquisition, confrontés à une situation de bilinguisme
précoce se sont à leur tour penchés sur un
phénomène bien particulier du bilinguisme : le bilinguisme
précoce. L'acquisition du langage chez le bilingue c'est
développé, mais à moindre vitesse que l'enfant monolingue
et certains domaines en phonétique, prosodie, syntaxe, sémantique
restent encore inconnus.
Dans ce mémoire nous allons nous pencher sur le
problème de l'acquisition du genre, qui reste à ce jour,
très peu étudiée.
Pour réaliser cette étude, nous allons
travailler dans des domaines divers pour les relier à la
problématique du bilinguisme en acquisition : dans la première
partie, la psycholinguistique et la sociolinguistique nous servirons à
définir les différents types de bilinguisme qu'il existe. Dans la
seconde partie les neurosciences vont nous apporter des connaissances sur le
fonctionnement du cerveau, et sur le fonctionnement du cerveau bilingue, pour
expliquer cette facilité qu'a l'enfant, par rapport à un adulte,
à apprendre les langues.
Dans une troisième partie, nous rentrerons plus
particulièrement dans une étude du bilingue précoce, sur
son développement et son fonctionnement dans ses productions.
Cette partie servira à établir un tableau
théorique qui pose les bases de la partie expérimentale.
L'étude expérimentale se fait sur un enfant bilingue
français/anglais. Après avoir défini le type de
bilinguisme dans lequel il se place, nous entrerons dans une étude de
l'acquisition du genre chez cet enfant bilingue, étude qui servira
à valider ou pas l'hypothèse de départ.
Rimbaud Sophie L'acquisition du genre et le code mixing chez
le bilingue précoce 2009 1. 1. Différents types de
bilinguisme :
Dans le bilinguisme il existe des degrés d'acquisition
d'une ou plusieurs langues qui vont dépendre, entre autres, de
l'âge auquel l'enfant apprend les deux langues et du contexte
d'apprentissage (famille monolingue dans un pays étranger, famille
bilingue...), cette acquisition ne peut donc pas se généraliser
sous un seul terme et des sous-catégories doivent être
établies. En effet, cette définition du bilinguisme étant
trop littérale, le problème s'est posé de redéfinir
la problématique du bilinguisme. Ainsi la littérature
scientifique et populaire parle plutôt chez les enfants bilingues de
« type de bilinguisme » : par cette expression, les auteurs entendent
parler des différents stades d'acquisition où une
différence sera perceptible en ce qui concerne l'acquisition des deux
langues.
Les classements des types de bilinguismes sont nombreux et
dépendent souvent de l'angle d'approche théorique des chercheurs.
De plus, ces classifications contextuelles, c'est-à-dire en lien avec
l'environnement proche de l'enfant, seront à mettre en relation avec le
développement du cerveau : en effet, comme nous le verrons dans une
seconde partie1, c'est l'interaction avec le contexte qui
développera la structure mentale du langage, permettant d'expliquer les
différences marquantes au niveau de l'enfant que ce soit sur le plan
cognitif, développemental ou interactionnel.
De ce point de vue, il sera intéressant de
définir ces différents « types de bilinguisme », ainsi
que les critères dans la littérature scientifique, afin de les
confronter d'un point de vue critique. Ainsi nous pourrons en dégager
une problématique nouvelle qui sera celle de ce mémoire qui sera
traitée dans l'analyse du corpus. Au vue des difficultés
rencontrées, je prendrais position d'une façon argumentée
afin de donner un point de vue différent ou complémentaire aux
problèmes rencontrés.
Etablir une définition du bilinguisme et surtout des
types de bilinguisme existants permettra de présenter le corpus à
analyser et de présenter l'enfant en fonction du type d'environnement
bilingue.
1. 1. Classification en fonction de la compétence
dans les deux langues
1 Cf. infra partie « Les bases neurologiques dans
le fonctionnement du langage »
Dans l'évaluation de la compétence linguistique,
il est nécessaire de prendre en compte l'âge auquel l'enfant est
exposé à la deuxième langue , si l'exposition aux deux
langues se produit en même temps ou si la seconde langue est acquise
après. De l'âge d'acquisition de la seconde langue dépendra
le type de bilinguisme
Cette partie traite de l'évaluation comparative des
compétences dans les deux langues afin de qualifier un premier type de
bilinguisme. Une distinction sera d'abord faite entre le bilinguisme
équilibré, dans lequel les compétences de l'enfant sont au
même niveau dans les deux langues, et le bilinguisme dominant dans lequel
une des langues est acquise après la langue maternelle. Bien entendu,
dans cette étude, la terminologie de « comparaison du niveau de
compétence » (Hamers et Blanc, 1990) des langues est
étudiée par opposition à l'acquisition de sa langue
maternelle par un enfant monolingue. En effet on ne peut pas comparer
l'acquisition de deux langues chez l'enfant avec l'apprentissage d'une langue
étrangère chez l'adulte.
Un bilinguisme équilibré n'est pas non plus la
capacité d'un enfant à utiliser de la même manière
les deux langues dans tous les domaines et toutes les utilisations possibles,
mais sa capacité à atteindre un relatif niveau d'équilibre
dans ses utilisations. C'est le contexte qui va déterminer le type de
bilinguisme : quand l'enfant commence à parler et reste dans la cellule
familiale, il va avoir une compétence orale équilibrée
dans les deux langues, s'il est scolarisé dans une école
monolingue il favorisera, à ses dépends et s'il ne suit pas le
même apprentissage, une compétence (par exemple l'écriture)
qui développera un déséquilibre dans une des fonctions du
langage (l'écriture) de l'autre langue. En effet, la perception du
contexte constitue un élément pragmatique qui sera relié
à l'utilisation des langues, favorisant ou non l'utilisation d'une des
deux langues (Lambert, Havelka et Crosby, 1958 cité par Hamers et Blanc,
1990) autrement dit selon le contexte l'enfant se trouve dans la
nécessité d'employer d'avantage une langue qu'une autre, ce qui
est le principe de la diglossie2. Dans le cas d'un bilinguisme
équilibré, l'enfant est confronté à un contexte
familial bilingue et possède le même avancement dans la
maîtrise du système des deux langues.
Dans le cas d'un bilinguisme dominant, l'enfant se trouve soit
dans un contexte bilingue où l'utilisation d'une seule langue est
privilégiée et l'enfant acquiert avant tout la langue la plus
appropriée pour communiquer avec son entourage proche (Hamers et Blanc,
1990) ; L'enfant peut également évoluer dans une famille
monolingue mais une autre langue est parlée dans un contexte
extérieur généralement au titre de langue officielle,
impliquant que l'enfant soit plus avancé dans une langue qu'une autre
(Abddelilah-Bauer, 2006). Cet
2 Cf. partie sur la diglossie
avancement dans l'apprentissage de la langue n'est pas
statique car il dépend de l'exposition à la langue : avant 3 ans
l'enfant sera majoritairement au contact de la langue de ses parents, entre 3
et 6 ans, il sera de plus en plus souvent en contact avec d'autres enfants
parlant une autre langue et enfin à partir de 6 ans il sera
scolarisé dans une école où il va approfondir
l'apprentissage de la langue du pays tout en développant de nouvelles
compétences (lecture, écriture) d'une manière plus
régulière et normée. C'est pour cela qu'il faut souligner
que le bilinguisme équilibré représente le type de
bilinguisme le plus rare voir utopique, car dans son usage, il
présuppose d'une part que dans le cadre de la cellule familiale, il
existe un usage indifférent d'une langue ou d'une autre, et d'autre part
qu'il en soit de même dans le contexte social dans lequel évolue
l'enfant.
Pourtant, dans un contexte social, il n'existe pas d'exemple
dans lequel des individus puissent employer indifféremment une langue ou
l'autre, en fonction des idéologies linguistiques présentes dans
la société. Une langue est toujours favorisée, soit parce
qu'elle est la plus répandue, soit parce qu'elle représente le
prestige, l'ascension sociale ou la langue de la communauté ou la langue
officielle du pays. Ces idéologies se retrouvent dans la
communauté linguistique et la cellule familiale, c'est pourquoi il
paraît difficile de certifier l'existence de ce type de bilinguisme. Il
semble alors cohérent de soutenir l'existence d'un bilinguisme
exclusivement dominant, non pas au niveau de la maîtrise que l'enfant a
des deux langues, mais au niveau de la favorisation faite pour une langue, soit
par le locuteur, selon la représentation qu'il a des langues, soit par
une contrainte de type sociale.
La maîtrise des deux langues n'est alors pas à
remettre en question. Ce qui varie, essentiellement, que ce soit dans la
cellule familiale ou dans un contexte social, c'est la compétence de
communication. En effet, dans le cadre d'un bilinguisme dominant, les deux
langues ne sont pas sollicitées dans les mêmes contextes ni
à la même fréquence. Il est alors possible que dans une des
deux langues, la compétence de communication soit incomplète ou
affaiblie. C'est sur la compétence de communication que repose la
définition de ce type de bilinguisme, et le bilinguisme
équilibré serait alors une maîtrise égale de la
compétence de communication dans les deux langues. Cela est
favorisé, dans un premier temps, si les parents ne parlent pas la
même langue et dont l'usage sera partagé et alloué aux
mêmes tâches dans la vie quotidienne. Cependant, une fois l'enfant
placé dans un milieu social tel que le contexte scolaire ou dans sa
relation avec les autres enfants, il va favoriser d'une manière plus
explicite une des deux langues car le contexte social implique souvent de
favoriser une langue au détriment de l'autre.
Le bilinguisme équilibré ou dominant est de loin
la compétence la plus difficile à définir et à
évaluer. En effet, l'acquisition d'une compétence bilingue dans
tous les domaines
dépend non seulement du contexte dans lequel
évolue l'enfant mais surtout de ses capacités cognitives. Chaque
personne a sa propre configuration et celle-ci n'est pas fixe, mais cette
définition est indispensable dans notre recherche car elle est
indissociable de la vie et du développement de l'enfant et aura des
conséquences sur son développement linguistique et cognitif.
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