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L'acquisition du genre et du code switching chez l'enfant bilingue précoce

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par Sophie Rimbaud
Université Montpellier III - Master 2 2009
  

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3. 3. L'erreur de genre : étude de cas

L'erreur de genre se porte surtout sur les structures féminines : l'enfant place un masculin au lieu d'un féminin. Dans le corpus, il est arrivé que sur un même nom, l'enfant alterne une production valide et une production erronée. Nous allons étudier deux exemples pour essayer de comprendre le phénomène en observant la méthode d'enseignement de la langue des parents. Les objets sur lesquelles vont porter les erreurs sont la bicyclette (interaction avec le père) et l'auto (interaction avec la mère).39

Nous allons commencer par étudier la manière dont l'enfant parle de sa bicyclette, et si le genre valide se stabilise, comment cela se passe. Le dialogue sur la bicyclette va se faire sur trois âges :

D'abord à 1 ; 11 . 13 : dans la première partie de l'échange l'enfant prononce trois fois une occurrence erronée avant d'être repris par son père. Sur les deux occurrences qui suivront cette reprise l'enfant ne fera pas d'erreur sur bicyclette. L'erreur de l'enfant peut être calquée sur celle du père : nous avons relevé une occurrence où le père se trompe lui aussi dans le genre. A cet âge-là, puisque le genre n'est pas encore stabilisé, la moindre erreur du parent peut être reprise par imitation. C'est ce même phénomène qui se passe quand l'enfant fait une production valide.

Ensuite, à 2 ; 3. 13, nous avons cinq tours de parole de l'enfant où cette occurrence apparaît associée à une structure syntaxique qui implique le genre. La première occurrence, n'est pas erronée mais elle est importante dans notre argumentation pour comprendre pourquoi l'enfant fait une erreur sur le mot bicyclette : le mot « bicycle » est propre au vocabulaire québécois, le mot, de genre masculin, sert à désigner une bicyclette ; Il est alors fort possible que l'enfant calque le genre masculin sur le modèle du mot québécois. L'enfant est repris par le père dans le dernier tour de parole.

1 ; 10. 29 : l'espace de temps entre cet enregistrement et le précédent est trop grand pour mesurer directement l'impact de la reprise du genre sur la bicyclette par le père, cependant il est fort possible, étant donné que l'enfant ne semble plus faire d'erreur, que dans cette période de sept mois le feedback du père ait eu un impact suffisamment fort pour que l'enfant ne fasse plus d'erreur sur cette occurrence.

Le second dialogue que nous avons choisi tourne autour du mot « auto ». Cet exemple est très intéressant car il montre une approche différente de l'erreur. L'interaction se passe avec la mère : alors qu'elle lui parle l'enfant interagit en français ce qui va provoquer des complications dans la rectification de l'erreur.

39 Les dialogues sont placés en annexe, fig. 14.

L'échange se passe avec la mère à 2 ; 03. 20 et concerne une auto, à la fois le jouet de l'enfant et la voiture familiale. L'enfant fait des alternances entre des erreurs et des productions valides à la fois dans le même discours et dans la même phrase : le genre féminin est encore très instable (nous avons pu voir qu'il constitue quasiment l'ensemble des erreurs de l'enfant sur les 17 transcriptions). Sur ce discours l'enfant ne va pas faire une phrase entière sans faire d'erreur sur une occurrence (adjectif, article, pronom) et nous n'observons pas de retour négatif de la mère, puisqu'elle ne lui répond qu'en anglais. Dans la production « MOT: I don't know where the gros auto is . » la mère va valider l'erreur de l'enfant « gros auto » et cette erreur validée va se stabiliser dans les productions suivantes de l'enfant.

Ces deux exemples montrent l'importance du rôle des parents dans l'acquisition du genre : l'enfant est très sensible à la production du père ou de la mère et va imiter lesdites productions. Ceci est entièrement valable pour l'exemple de l'auto. L'exemple de la bicyclette montre que l'enfant bilingue peut aussi être confronté à un parler régionnela auquel il doit s'adapter.

Pendant le processus d'acquisition nous avons pu mettre en évidence qu'en français les étapes du monolingues sont retrouvées, il n'y pas de retard. Par contre nous avons observé un retard en anglais qui n'est sûrement pas dû à un trouble du langage chez le bilingue, mais à un contexte qui va faire que l'enfant est amené, hors de la maison à plus parler français. L'évolution du développement syntaxique est aussi liée à la manière dont les parents gèrent l'interaction : l'enfant utilisera beaucoup plus d'occurrences de genre avec son père qui lui fait raconter des histoires, reconnaître des images ou chanter, alors qu'avec sa mère il ne fera que s'amuser avec ses jouets et sera moins amener à parler. Au final le développement du langage se trouve toujours lié à l'interaction.

C'est dans la langue dominante, le français, que vont se faire le plus d'erreurs mais le nombre d'occurrences erronées va être beaucoup moins important que le nombre de productions valides. Le français est bien la langue dominante puisque l'anglais ne fait pas interférence. L'enfant peut faire des erreurs non pas par interférence directe de l'anglais mais d'une part par imitation des parents et d'autre part, par interférence du dialecte régional, fortement influencé par l'anglais. L'enfant utilise le plus souvent les articles en français et le pronom neutre en anglais mais l'erreur de genre n'est pas forcément la preuve de la mise en place de deux systèmes, sinon l'enfant n'en ferait pas.

Ce que l'on a mis en évidence chez l'enfant ne va pas durer dans le sens où la période transitoire est plus courte que chez l'adulte si le parent a une bonne pédagogie, c'est-à-dire qu'il reprend l'enfant en validant ses bonnes productions et en corrigeant les mauvaises. L'acquisition du bilinguisme chez l'enfant est plus rapide que chez l'adulte parce qu'elle se passe pendant les processus de myélinisation des fibres nerveuses. A ce moment-là le cerveau est beaucoup plus réceptif au développement bilingue. Le temps de transition est plus long chez l'adulte parce que ces procédures sont achevées : il y aura donc une seconde langue qui va se développer sur une première langue dite maternelle. La question est maintenant de savoir, étant donné que l'enfant et l'adulte suivent les mêmes processus à différents degrés, si l'enfant possède une ou deux langues maternelles.

L'étude du bilinguisme est un univers au carrefour de beaucoup de discipline que nous avons pu évoquer dans ce mémoire. La sociolinguistique et la psycholinguistique nous ont servi à placer l'enfant que nous avons étudié dans un bilinguisme à plusieurs niveaux : précoce et simultané, à tendance neutre au sein de la famille, exogène, coordonné et dominant.

Le cerveau nous a permis de comprendre le fonctionnement du cerveau bilingue : plus l'enfant est jeune, plus la plasticité du cerveau lui permet d'acquérir les langues de son environnement. Au contact de son environnement l'enfant va développer diverses stratégies dans ses productions.

Parmi ces stratégies le code mixing tient une place important, car en début d'acquisition il est le signe de la dominance d'une langue, ici le français, pour devenir plus tard une production volontaire et contrôlée dans une intention pragmatique.

Notre étude, pour laquelle un corpus important a été traité, c'est concentrée sur l'acquisition du genre : elle nous a permis de voir une évolution sur un peu plus de quatre années dans le développement de l'enfant. Celui-ci développe très rapidement des occurrences de genre français mais plus tardivement de l'anglais, ce qui parait normal puisque l'une est langue dominante et l'autre langue dominée. Les erreurs de genre se portent, dans les deux langues sur le féminin, genre qui semble le plus difficile à acquérir pour l'enfant.

L'adulte est capable d'apprendre deux langues, que se soit en immersion ou par un enseignement. Mais cet apprentissage n'est pas de l'ordre de l'acquisition car les deux, pour une même finalité, ne suivent pas les même processus .L'évolution de l'acquisition des genres dans les deux langues suit les mêmes processus puisqu'à ce stade le cerveau traite les deux langues de la même manière, ce sont les contraintes sociales qui impliquent la dominance du français qui vont provoquer un retard en anglais. Autrement dit à cet âge l'enfant est tout à fait capable d'appréhender les deux langues comme maternelles.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille