3. Discussion
Pour vérifier l'hypothèse nous avons eu recours
à une méthodologie bien précise pour analyser un corpus
qui, dans l'argumentation logique d'une étude scientifique, s'inscrit en
continuité avec les recherches théoriques préalables. Il
s'avère alors que la partie expérimentale établit une
relation directe avec la partie théorique.
Dans une première partie nous allons situer le
bilinguisme de l'enfant en fonction de l'âge d'acquisition des langues,
puis sur des critères psychologiques et contextuels selon les
définitions qui ont été données au
préalable.
3. 1. Le bilinguisme de l'enfant étudié dans
le corpus
L'enfant est né dans un environnement bilingue, en ce
sens nous pouvons dire, qu'il se situe dans un bilinguisme précoce et
simultané, ce qui signifie que dans le cerveau les informations des deux
langues ne sont pas traitées séparément. L'âge
d'acquisition est à mettre en relation avec des critères
contextuels c'est-à-dire le contexte et l'usage des deux langues.
L'enfant étant né au Québec, à Montréal avec
un père ayant pour langue maternelle le français et une
mère parlant anglais, le bilinguisme de l'enfant se place donc dans un
bilinguisme exogène puisque la langue seconde (l'anglais) n'est pas
présente dans la communauté36. Cela nous amène
à évoquer le statut des deux langues, à la fois au sein de
la communauté et au sein de la famille : pour cet enfant, la situation
de la communauté est particulière, le Canada étant
divisé en zones francophones et anglophones et à
l'intérieur des ces zones l'autre langue est tolérée et
comprise. Néanmoins, pour le contexte extérieur nous parlerons de
bilinguisme à tendance hiérarchique puisque le français
est plus valorisé et que l'enfant va aussi dans une crèche
française.
Au sein de la famille, comme nous le voyons tout au long des
enregistrements, les parents essaient d'appliquer la règle de « la
langue unique » c'est-à-dire « un parentune langue » ou
en anglais le « one parent one language rule , autrement dit le parent ne
s'adresse à l'enfant que dans sa langue maternelle et n'utilise pas la
langue de l'autre parent ; Dans la famille le bilinguisme se situe alors dans
une tendance neutre au sens ou les deux langues sont valorisées.
36 Ce constat reste mitigé, par absence de
la langue seconde dans la communauté nous voulons dire que la langue
officielle de Montréal est le français, l'anglais est
considéré comme une langue étrangère (ce qui est
l'inverse à Vancouver).
Pour finir cette partie sur la classification des
différents types de bilinguisme de l'enfant nous allons nous concentrer
sur les critères psychologiques autrement dit d'une part l'organisation
cognitive de la langue, d'autre part la compétence dans les deux
langues. Comme il a été dit dans la première partie sur
les types de bilinguisme, la présence de ce code mixing / code switching
est révélateur, dans l'organisation cognitive de la langue, d'un
bilinguisme composé or en étudiant les productions de l'enfant
nous n'observons qu'une proportion de code mixing trop faible pour que le type
de bilinguisme de l'enfant soit dit « composé ». Nous arrivons
à cette conclusion : le bilinguisme de cet enfant est dit
coordonné puisque la représentation du monde se fait dans deux
langues : il y a un signifiant pour un signifié dans chaque langue.
Le dernier type de bilinguisme sur critères
psychologiques dépend de la compétence de l'enfant dans les deux
langues, analyse qui découle directement de notre étude sur les
productions totales de l'enfant dans chaque langue et de la production de genre
qui en résulte. D'une part de la production en français dans les
productions totales montre une dominance de la langue française chez cet
enfant. D'autre part, non seulement la dominance de la langue française
mais la forte propension d'occurrences de genre en français et peu
d'erreurs, par rapport à la langue anglaise, montreraient une
compétence supérieure du français sur l'anglais. Bien que
la compétence en anglais soit très basse en début de
corpus, l'enfant la développe tout au long des enregistrements, pour
arriver à une bonne compétence de communication en anglais, mais
la situation contextuelle extérieure fait qu'il y a quand même une
forte différence entre les deux langues.
L'enfant ne développe que certaines structures syntaxiques
qu'en relation avec la production des parents.
Nous allons maintenant nous pencher sur le bilinguisme
précoce de l'enfant, en essayant de caractériser à quel
stade du développement syntaxique il se situe :
Au début des enregistrements qui constituent le corpus,
l'enfant semble se situer dans la seconde étape décrite par
Volterra et Taeschner (1978)37 autrement dit il va avoir un
répertoire lexical dans chacune des deux langues et un système
syntaxique dans les deux langues. C'est à cette période que va
apparaître la dominance langagière dans l'alternance des langues.
Vers le milieu de l'étude l'enfant rentre dans la troisième phase
: le système syntaxique se divise en deux ainsi l'enfant a
développé deux systèmes linguistiques indépendants,
cette différence de système n'apparaît que lorsqu'un enfant
adapte sa langue à celle de l'interlocuteur.
37 cité par Deuchar et Quay, 2000.
C'est dans la seconde étape que va se manifester le
plus souvent le code mixing : à ce moment le code mixing est le
manifeste d'une syntaxe dominée par un modèle qui est celui de la
langue dominante. Chez le bilingue précoce ce qui est appris plus tard
dans une langue sera souvent l'objet du code mixing. Ainsi lorsque l'enfant
entre dans la troisième étape, le code mixing n'est presque plus
présent : d'une part l'anglais est presque aussi bien
maîtrisé que le français et l'enfant n'a plus besoin de
pallier un manque et d'autre part le code mixing deviendrait volontaire
c'est-à-dire que ce n'est plus un simple automatisme mais une pratique
volontaire qui n'est utilisée que dans certains cas (pour Genesee et
Nicoladis, 2005, il a une fonction pragmatique).
Nous sommes face à une enfant possédant un
bilinguisme précoce simultané, puisqu'il évolue dans un
contexte bilingue dès la naissance. Mais c'est aussi un bilinguisme
exogène puisque la langue 2 n'est pas ou peu présente dans la
communauté, le Québec étant une région francophone
; De ce fait nous allons observer à travers une dominance de la langue
française par rapport à l'anglais, une tendance à un
bilinguisme à tendance neutre dans la famille où il n'y a pas de
hiérarchie des langues contrairement à la situation
sociolinguistique du pays. Enfin, nous parlerons de bilinguisme dominant
puisque le français est la langue dominante. Bien que la
compétence de l'enfant dans la langue dominée va évoluer
pour atteindre, à la fin de l'étude, un niveau proche de la
langue dominante, il y aura toujours une langue dominante. C'est au niveau de
l'organisation cognitive de la langue que le constat sera plus mitigé :
puisque d'une part la compétence de l'enfant évolue graduellement
selon les trois étapes de Volterra et Taeschner
(1978)38 et d'autre part qu'il y aura toujours une langue
dominante, le bilinguisme de l'enfant se place entre un bilinguisme
coordonné et composé.
La distinction entre les types composé et
coordonné n'est pas exclusive pour Ervin et Osgood (1954) : ces types
constitueraient les deux pôles du bilinguisme et les sujets bilingues se
situeraient entre les deux, leur position variant en fonction des situations
d'apprentissage et d'utilisation de la langue, ainsi que de l'âge de
confrontation aux deux langues. Par conséquent le bilinguisme tiendrait
plus à des stratégies cognitives adaptées à un
contexte qu'à des modèles figés.
Hypothèse de départ : En observant
des adultes monolingues qui apprennent une langue étrangère nous
avons remarqué que les erreurs de genre sont les plus fréquentes
et sont celles qui persistent dans le temps. Les occurrences de genre
prononcées, pour une même structure syntaxique peuvent être
aussi bien valides qu'erronées, ce qui est le signe
38 cité par Deuchar et Quay, 2000
d'une interlangue (une langue se construit sur une seconde
déjà établie). Nous posons l'hypothèse que l'enfant
bilingue précoce va passer par le même processus d'apprentissage
dans l'acquisition du genre, mais contrairement à un adulte, les erreurs
vont se concentrer sur une courte période et ne vont pas
perdurer.
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