3. 5. Le code mixing chez le bilingue précoce
Lorsque l'enfant bilingue possède la traduction
équivalente d'un mot dans l'autre langue, ce n'est pas pour autant qu'il
emploiera indistinctement les deux mots. Si au premier stade, l'utilisation de
mots des deux langues est indistinct quelque soit le contexte, à partir
du second stade, l'utilisation d'un mot plutôt que sa traduction peut
s'expliquer de deux façons : la première, parce que le mot
prononcé appartient à une langue considérée comme
dominante par l'enfant, la seconde en fonction du contexte et de la langue
parlée par l'interlocuteur. L'adaptation à l'interlocuteur est
très importante : en effet, Lanza (1997, cité par Deuchar et
Quay, 2000), dit que l'enfant préfère utiliser la même
langue que son interlocuteur.
Ce choix des langues est souvent lié au
développement d'une compétence pragmatique : l'enfant relie un
usage à un contexte, souvent un interlocuteur, spécifique. Il a
été constaté alors que l'enfant bilingue était
très tôt capable d'adapter sa langue à celle de son
interlocuteur (Deuchar et Quay, 2003 et Genesee et Nicoladis, 2005) :
« There is considerable evidence that bilingual
children's code-mixing is sensitive to contextual variables, including those
related to interlocutor [...] topic (Lanvers, 2001), and the purpose of the
interaction (Vihman, 1998). » (Genesee et Nicoladis 2005, 15-16).
Les enfants bilingues ont tous la capacité d'adapter
leur langue à la situation (Romaine 1984 et Andersen 1990, cités
par Deuchar et Quay 2003). L'enfant peut choisir une langue de façon
arbitraire : ce choix est aussi en relation avec le développement de la
compétence de communication21 qui, si elle est
inégale, peut favoriser une langue au profit d'une autre. Comme nous
l'avons dit précédemment la langue dominante est souvent
considérée comme celle où la compétence de
communication est la plus grande : c'est la langue dans laquelle l'enfant
s'exprime le plus facilement et dans un plus grand nombre de situations que
dans l'autre langue. Le choix de cette langue est alors souvent
conditionné par le contexte, car pour développer une plus grande
compétence de communication, il faut que l'enfant ait
été
21 La compétence de communication se
définit comme la capacité de communiquer avec différents
locuteurs dans leur langue respective.
exposé plus longtemps à cette langue qu'à
l'autre. L'enfant maîtrise le choix de sa langue en fonction du contexte,
mais ce choix, imposé par une plus grande exposition à une des
deux langues, peut révéler, dans l'environnement de l'enfant,
l'existence d'un contexte diglossique dans lequel les deux langues auxquelles
l'enfant est exposé, n'ont pas le même statut, ni la même
répartition temporelle et contextuelle dans la communauté.
Il apparaît alors que le choix de la langue
dépende fortement de paramètres contextuels diglossiques,
développés dans la partie qui y a été
consacrée. Si l'enfant montre un grand attachement identitaire à
la langue il préfèrera parler la langue qu'il aura
associée comme tenant de son identité (McClure 1981, cité
par Deuchar et Quay). Le code-mixing révèle la langue dominante,
celle choisie pour être mixée avec l'autre langue, que ce soit
pour s'adapter un interlocuteur, ou pour pallier à un
développement plus tardif de la deuxième langue : les carences
lexicales ou syntaxiques peuvent être compensées par la langue qui
possède les éléments qui n'existent pas encore dans
l'autre langue. Mais le choix de la langue ne peut avoir lieu (Nicoladis et
Genesee 1996, cités par Deuchar et Quay) que si les deux langues
possèdent un répertoire suffisamment important pour être
employées dans des contextes variés et spécifiques, et
lorsque les traductions d'une langue à l'autre sont en nombre suffisant
et significatifs. Ces choix des langues dépendent alors d'une
compétence pragmatique qui s'acquiert parallèlement au
développement des deux langues et qui lui permet d'apprendre quelle
langue il faut utiliser en fonction du contexte.
Lorsque le choix de la langue devient purement contextuel et
diglossique alors la quantité de code-mixing diminue : l'enfant ne
mixera plus avec un interlocuteur dont il parle la même langue. Au fur et
à mesure que l'enfant grandit le code-mixing devient plus une pratique
linguistique délibérée qu'un simple automatisme
d'acquisition ; Dans ce cas, Genesee et Nicoladis (2005) notent que le choix du
code-mixing a une fonction pragmatique, par exemple une fonction d'emphase,
afin d'insister sur un mot.
« Lanvers (2001) reports that her two German-English
children (1;6 to 2:11) used language for emphasis (see also Goodz, 1989) and
appeal, to quote a parent, and for topic shift (see also Vihman, 1998 ). »
(Genesee et Nicoladis 2005, 16).
Ce choix paraît contributeur de la compréhension
de l'échange, par la facilité du décodage de l'intention
de l'information. Lorsque l'enfant se trouve dans un contexte où il doit
parler la langue qu'il maîtrise le moins il pourra utiliser le
code-mixing pour pallier à ce manque linguistique : dans ce cas c'est la
compétence de communication qui sera l'élément
déclencheur du code-mixing. Cependant, les problèmes liés
à la compétence de communication se comblent vite, dans la mesure
où l'enfant développe très rapidement les
compétences qui lui manquent. Lorsque l'enfant
évolue dans un contexte social, hors du cadre familial, il va vite
combler ce manque dans sa compétence de communication, car ce retard est
lié au processus de socialisation : parallèlement à la
nécessité de communiquer avec des interlocuteurs, nous assistons
à un développement rapide des
compétences22.
L'usage du code-mixing peut alors faire partie
intégrante de la compétence de communication, et plus encore s'il
appartient au processus de socialisation langagière dans la mesure
où dans les communautés bilingues il faut s'insérer,
pratiquer des formes spécifiques de code-mixing. Ainsi, comme cela a
été abordé, le choix de la langue ou/et du code-mixing
dépend fortement du contexte diglossique dans lequel l'enfant
évolue. Un enfant qui évolue dans un cadre familial dans lequel
les parents imposent un contexte monolingue l'enfant réduira
conséquemment son code-mixing, voire le fera disparaître.
|