II. Un droit mal
traduit en pratique ou la mal gouvernance dans la pratique judiciaire
Au-delà des lacunes tenant aux textes de loi, c'est la
marge entre les prévisions légales et la pratique qui laisse
à désirer au point d'abandonner les justiciables à une
résignation négative qui ne peut que dissuader et anéantir
tout le crédit du prétendu pouvoir judiciaire. Le double indice
sérieux de la mal gouvernance judiciaire en matière de
résolution des conflits fonciers sévissant en territoire de
Masisi, comme dans tout le Nord-Kivu en particulier voire en RDC en
général, serait à notre avis la lenteur de la
procédure et le coût élevé de la justice. Les
registres du Tribunal de Grande Instance du Nord Kivu font par exemple
état d'un grand nombre d'affaires dont la procédure d'instruction
est en cours depuis plus d'une année ou dont la prise en
délibéré s'est exagérément étendue
au-delà du délai légal de la huitaine jusqu'à
s'étaler sur plus de deux ans à compter de la clôture des
débats.
A. La lenteur de la justice
Il s'agit là d'un double obstacle majeur de
l'accès du justiciable à la justice, obstacle qui pourrait
s'afficher en un facteur négatif en amont comme en aval du processus de
règlement judiciaire. Il amoindrit les chances de résolution du
conflit et pourrait bien constituer une cause de genèse ou
d'exacerbation de ce dernier. Certes la lenteur de la justice, pour autant
qu'elle n'est pas exagérée et se situe dans la double limite du
légal et du tolérable, mérite d'être
considérée comme un mal nécessaire, une justice lente mais
de bonne qualité étant certainement préférable
à une justice expéditive.
B. Les paysans pauvres face à une
justice qui coûte cher !
Il est néanmoins banal d'affirmer qu'une justice dont
la lenteur est délibérément organisée dans un
contexte de concussion suite au défaut de motivation du juge et/ou de
dénuement du justiciable incapable de s'acquitter des frais requis de
droit ou non pour diligenter la procédure, ne serait rien d'autre qu'un
périlleux déni de justice pouvant dégénérer
en une cause lointaine ou directe d'un nouveau conflit dicté par un
esprit justicier. Le droit ayant horreur du vide, la vengeance privée ne
peut, en effet, que se substituer dangereusement à une justice publique
en carence là où les chances de conciliation sont sensiblement
amoindries.
Ce qui justifie l'imminence danger qui guette non seulement
les acquéreurs des terres, mais aussi les cadres politico-administratifs
et les gestionnaires de la justice dans le ressort du Tribunal de Grande
Instance du Nord Kivu. Des praticiens avisés ont, en effet, bien
observé que si les solutions judiciaires et administratives relatives
aux conflits fonciers permanents dans le ressort du Nord-Kivu vont en
progression arithmétique, les agressions de plus en plus sanglantes
évoluent plutôt en progression géométrique. Aussi
notait-on qu'au Parquet de Grande Instance de Goma dont relèvent les
justiciables des territoires de Masisi, près de la moitié des
dossiers inscrits au Registre du Ministère Public sont dictés par
les faits des meurtres, d'assassinat, d'incendie volontaire, d'homicide
« Prater intentionnel », de destruction
méchante d'animaux et de cultures tous provoqués par les conflits
fonciers. Cet abandon des contentieux pénal dérivé ne peut
que trouver majeure explication dans l'échec du règlement
judiciaire du conflit foncier originaire ou civil ainsi que le manque de
crédit aux institutions judiciaires que la pratique a plus ou moins
tronquée. Ceci peut conduire à la justice privée.
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