Résolution extra-judiciaire des conflits fonciers en territoire de Masisi.( Télécharger le fichier original )par Didier KAKULE PILIPILI Université de Kisangani - Licencié en droit 2010 |
§ 3. CAUSES EXOGENES AU DROITI. Contexte socio politico-économique polluéL'importance économique des terres en milieu rural congolais en général et plus spécialement dans une province comme le Nord-Kivu où la vocation agricole s'articule aussi bien avec la nature du lieu qu'avec la culture des habitants, se heurte hélas, au phénomène de plus en plus prononcé de raréfaction des terres. Dans le territoire ayant fait l'objet de la présente recherche, ce phénomène est la résultante d'un fait social multidimensionnel à savoir : celui des investisseurs ou simples spéculateurs fonciers venus des villes à la recherche d'espaces ruraux pour un placement plus ou moins sûrs dans un contexte d'insécurité matérielle et financière où la terre se présente comme la valeur pécuniaire la moins fluctuante et la moins exposée tant aux risques d'un secteur bancaire peu rassurant qu'aux regards envieux des « pilleurs » opportunistes. Mieux encore, ce problème se superpose à une autre donnée structurelle : augmentation démographique rapide en raison du taux élevé de natalité et de l'immigration incontrôlée. Evoquant le phénomène décrié dans le Sahel africain dont le contexte écologique contraste fort avec l'eldorado naturel du Kivu situé au coeur de cette Afrique subsaharienne qui regorgerait plus des trois quarts des terres arables de l'ensemble du continent noir, un auteur a à juste titre posé le paradoxe que « si les sols africains sont parmi les moins fertiles du monde, les femmes africaines sont parmi les plus fécondes »37(*). La vérité dernière de cette formule pleinement vérifiable au Sahel pourrait bien s'appliquer au Kivu dont la fertilité légendaire des terres se trouve, de nos jours, bien loin de compenser une propension démographique particulièrement et galopante. Tout va alors à l'encontre de l'intérêt du paysan moyen pour qui l'espace vital diminue non seulement en raison de cette croissance démographique, mais aussi et surtout en fonction de celle du cheptel de l'élevage et des terres de cultures, qui elles aussi ont connu une remarquable extension : « Avec des millions de têtes de bovins, il faut autant de terre de pâturage que pour la culture du café, du thé et du quinquina qui d'ores et déjà font la richesse de ceux qui les exploitent. Ces terres, s'il n'est pas possible de les retrouver dans la réserve domaniale, il faut les arracher aux indigènes. Ceux-ci occupent des terres sans titre, il serait plus facile, proposent certains analystes, de les acquérir et d'embaucher les anciens exploitants pour les travaux de plantation et dans les fermes». En somme, la solution est recherchée dans la prolétarisation des paysans. C'est aussi suite aux politiques manipulatrices que les droits fonciers d'une partie de la population se trouvent rejetés dans la région. Si forts de leurs convictions culturelles ou coutumières, certains membres des communautés locales pouvaient se considérer depuis longtemps comme seuls héritiers de la terre, les disputes qui s'en suivaient n'étaient pas accompagnées des hauts niveaux de violence jusqu'à ce que la donne a complètement changé lorsque le régime décadent de la fin de la Deuxième République encouragea les politiciens locaux à mobiliser leurs circonscriptions sur base ethnique. Avec cet aspect d'une stratégie claire de diviser pour mieux régner surgissent, dès le début des années 90, des exactions contre des paysans locaux qui, délogés de leurs terres, sont parfois contraints aux déplacements sous une haute tension apparaissant comme une tentative pure et simple de mobilisation des communautés ethniques par référence à des questions foncières dans une perspective des prétendues élections démocratiques. On comprend dès lors que loin d'être la seule conséquence directe de la faiblesse du régime en place incapable de garantir l'accès régulier et équitable de tous à la terre, la plupart des conflits armés à l'Est de la RDC sont une résultante directe des stratégies délibérées d'élites politiques nationales et locales pour se repositionner pendant le processus de démocratisation, la compétition pour la terre offrant aux leaders locaux « l'opportunité de construire leurs propres agendas ethniques »38(*). Une campagne susceptible de servir les intérêts des autorités traditionnelles pour autant qu'elle nourrit des nouvelles opportunités de reprendre ou de renforcer le contrôle foncier, tout en renforçant les réseaux existants de confiance et d'influence négatives contre le pouvoir étatique, notamment celui judiciaire en matière de gestion foncière. En effet, chacune des parties litigantes se conforte dans sa position crédibilisant le réseau informel qui lui assurerait protection plutôt que de se fier aux institutions officiellement établies pour gérer le contentieux. Ces perspectifs se traduisent par la rareté des terres dû à la spéculation des terres, la pression démographique entrainée par l'augmentation du taux de natalité et l'arrivée des refugiés et déplacés, le mouvement de la population incontrôlé, l'expansion de l'élevage et de l'agriculture font de la terre un bien de compétition qui débouche aux conflits fonciers. Mais aussi la terre dans ce contexte est un objet de propagande tribale pour les politiciens véreux cherchant un positionnement, et se rallient derrière cette idéologie de la rareté de la terre expliquée par une campagne de haine. * 37 P. HARRISSON, op. cit., p.296. * 38K. VLASSENROOT, « Une lecture de la crise congolaise », in VLASSENROOT, K. et RAEYMAEKERS, T. (sous la direction de), Conflit et transformation sociale à l'Est de la RDC, Académia Press, Gant, 2004, p. 41.cité par C. PALUKU MASTAKI et C. KIBAMBI VAKE, Etudes juridiques N°3, op. cit., p.59. |
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