V. LA NATURE DES RELATIONS
ENTRE « OPJ » ET « APJ »
Il s'agira ici de présenter les rapports de force et la
« treizabilité » de deux acteurs.
5.1. LES RAPPORTS DE FORCE
ENTRE LES DEUX ACTEURS
Les rapports de force sont désignés dans le
cadre de cette recherche par les enjeux du pouvoir. Le terme pouvoir est
employé à satiété et dans une grande
variété d'acception. Très généralement, il
désigne trois notions connexes qui permettent de le
préciser :
- l'allocution des ressources ;
- la capacité de les employer ;
- un plan d'action de ces ressources (BOUDON R. et BOURRICAUD
F. 1982 : 459)
Quelles que soient les modalités du pouvoir, son
exercice est soumis à certaines conditions qui ont pour effet de limiter
le champ d'action de ceux qui en disposent.
Le pouvoir peut donc être traité comme un fait
social puisqu'il ne se réduit pas à la force physique, même
si son emploi ou son évocation constitue une des conditions de son
exercice. Il est social en ce triple sens qu'il repose sur les attentes et des
stratégies, qu'il tend à la réalisation de ces objectifs
communs, enfin il s'exerce selon des procédures plus ou moins
explicites, les règles des jeux concurrents ou coopératifs
(1992 : 464).
Le pouvoir désigne aussi la capacité ou
l'influence exercée sur quelqu'un. Il implique la mobilisation des
ressources qui est un préalable parfois laborieux et incertain.
L'incertitude réside dans la mobilisation de ces ressources exigeant aux
acteurs d'être des stratèges.
Il se définit aussi en termes d'interaction dans ce
sens qu'il impose une relation asymétrique entre au moins deux acteurs.
C'est la capacité qu'une personne a d'obtenir qu'une autre fasse ce
qu'elle n'aurait pas fait d'elle-même et qui est conforme à ses
intimations ou ses suggestions. Et dans ce cas, le pouvoir est dit
légitime lorsqu'il est accepté par la personne qui le subit.
Empiriquement, l'APJ est une instance de gestion des
problèmes. Il a une parcelle de pouvoir. La police devient le lieu ou
l'instance ou encore mieux, le niveau de contrôle où s'exerce le
pouvoir. Celui-ci est une capacité de faire quelque chose ou d'agir sur
quelqu'un ou sur quelque chose. Sous cet aspect, l' « APJ »
a le pouvoir de garder, d'orienter, d'influencer ou de bloquer les
activités d'un « OPJ ».
A titre illustratif, nous avons parlé du cas où
l'APJ a été mécontent par manque de redistribution et a
fait tout pour que l' « OPJ » tombe dans le piège de
l'Auditorat en influençant la partie requérante qui n'avait pas
trouvé satisfaction.
Qui détient le véritable
pouvoir ?
L' « APJ » dispose d'un pouvoir de
« treizalité » professionnelle par rapport à
son supérieur. Celui-ci gère le climat professionnel, soit il
fait de bénéfice, soit il le rend moins efficace. Sur le plan
institutionnel, c'est l' « OPJ » qui a le pouvoir. L'
« APJ » travaille sous la supervision de celui-là
qui est son chef. Mais d'une manière empirique et dans l'ombre,
c'est-à-dire dans la sphère informelle, celui qui détient
le « véritable » pouvoir c'est le subalterne qui est
l' « APJ » puisqu'il a cette capacité de contourner
le pouvoir de son chef par la non participation. C'est celui qui opère
l'arrestation des impliqués et les lui achemine. Il est comparé
à un chien de chasse qui peut attraper un gibier et le consommer en
cachette. Ainsi, l'APJ peut bloquer les activités de l'OPJ lorsqu'il n'y
trouve pas son compte.
Les enjeux du pouvoir nous permettent d'opérer une
rupture épistémologique. Le pouvoir du chef ne vaut que lorsque
l'exécutant ou APJ dans le cas qui nous concerne, se soumet ou participe
à ce pouvoir. S'il ne participe pas, le pouvoir devient inefficace.
André AKOUN précise que :
« Le pouvoir sert à désigner
l'aptitude globale d'un Agent donné à entreprendre les actions
efficaces ». (1999 : 414).
Ainsi, les actions peuvent être efficaces pour l'APJ qui
« treize » pour son propre compte en régulant les
problèmes sur le lieu et en donnant un faux rapport à son chef.
Cependant, il est inefficace pour l' « OPJ » qui se voit
driblé et traite l' »APJ » d'incompétent et
d'incapable.
Quelles sont les conditions de participation ou
non participation au pouvoir du chef ?
C'est comme l'image d'un système où tout est
lié à tout et la modification d'un élément
entraîne celle de l'ensemble. Ainsi, les rôles des acteurs ne sont
pas fixés définitivement, par contre, c'est leur distribution qui
est définie. Cependant, le critère du choix d'attribution de tel
ou tel APJ pour exécuter telle mission judiciaire, relève de
l'approche « situationnelle » qui se manifeste de deux
manières :
- l'efficacité d'une logique avouée :
(petit de confiance qui réussit souvent lorsque les missions lui sont
confiées) ;
- l'efficacité inavouée (l'OPJ choisit le plus
offrant car dit-on, c'est la fin qui justifie les moyens.
C'est l'enjeu financier qui est misé.
« salela ngai na lia », (travaille pour moi pour
que je mange) et non que nous mangeons. « Kama chef ashikule na
bantu, tutamutoka faux » (Si le chef ne redistribue pas, nous
n'allons pas le servir). Les APJ ont un pouvoir, ils contournent aussi l'OPJ en
s'investissant en « OPJ debout » lorsqu'ils
réalisent la mission du chef sans être distribués.
La nature de relation conflictuelle dans le cas de non
participation au pouvoir du chef c'est la répartition inégale du
pouvoir et le manque de distribution qui font que l'
« APJ » refuse de participer et s'érige en
« OPJ debout ».
C'est dans cette optique que le concept d'acteur social
intervient. La répartition inégale crée les conflits.
Celui qui a le pouvoir a la possibilité de plus
« treizer » que celui qui n'en a pas.
C'est dans cette logique que nous trouvons opportun de cerner
l'interaction à double sens :
« L' « OPJ » participe au
pouvoir de celui qui doit détenir. Il a besoin de l'APJ pour mieux
« treizer » en arrêtant l'impliqué. Même
s'il ne « treize » pas auprès de l'OPJ, il sait
qu'il aura une autre mission d'avoir participé au pouvoir de son chef.
Celui-ci lui rétrocède son pouvoir puisqu'il a aidé. Il
laisse une part de manoeuvre à ses subalternes pour fermer les yeux au
regard de leur pratique. C'est ainsi que l' « OPJ »
institue l' « APJ » comme acteur social en lui donnant le
pouvoir pour qu'il soit « treizé » par lui. Ce sont
des interactions complexes qui n'ont de sens qu'à travers la
« treizalité » du pouvoir. C'est cette
complexité qui fait que l' « APJ » qui connaît
ses missions, fait le contraire. Le faible effectif des policiers affaiblit le
mécanisme de contrôle et l' « OPJ » agit en
acteur rationnel. S'il punit sévèrement, il se prive de ses
instruments de « treizalité » qui sont les
« APJ ».
Le pouvoir est négociable. La manière de faire
de l' « OPJ » implique la coopération ou le
conflit. Celle-là évoque la participation tandis que celui-ci
induit la non participation au pouvoir du chef.
La coopération est réelle lorsque l'APJ
participe au pouvoir du chef et y trouve la redistribution. Le conflit devient
apparent lorsque l'APJ ne participe pas au pouvoir du chef par la remise de
l'argent appelée dans le jargon policier
« rapport ». Et aussi lorsqu'il donne le
« rapport » sans rétrocession.
La rétrocession n'est pas seulement matérielle,
elle peut être aussi symbolique. Négocier la confiance du chef, la
perception des frais de parking ou la treizabilité de l'espace
extérieur de la police, le monnayage de la
« plainte », le frais de déplacement
« ya makolo » sont des rétrocessions.
Le conflit est sous-jacent de manière permanente. A un
moment, il apparaît et à un autre, il disparaît. Il est
permanent puisqu'il il y a répartition inégale du pouvoir. Il
apparaît lorsque cette répartition ne profite pas aux acteurs
(APJ) et disparaît lorsqu'ils en tirent profit.
Dans une logique de « treizalité »,
le pouvoir est accordé au plus offrant. Il le donne pour que l'autre
puisse participer à son pouvoir (collaboration).
Quel est le sens du
« rapport »
Le sens du « rapport » se dégage
à l'image du chien et du chasseur. C'est le chien qui attrape le gibier
pour le chasseur, et en contre partie, celui-ci lui donne les os et les
détritus. C'est pourquoi les policiers disent à l'
« OPJ » qui ne rétrocède pas :
« mbwa ba bwakelaka ye ata mukua » (le chien, on
lui jette même un os) pour le travail qu'il a effectué.
Quelles sont les limites qui permettent à
l'OPJ de retirer son pouvoir à l'APJ ?
C'est lorsque son propre pouvoir est mis en jeu. Lorsque
l'Agent ne coopère pas, le conflit apparaît puisqu'il ne participe
pas et ne s'y retrouve pas non plus. Le conflit est une limite à la
participation au pouvoir. Il crée l'instabilité économique
par la non participation et la perte du pouvoir par l'abus.
Sur ce, le pouvoir devient une ressource qui se négocie
même de manière implicite. C'est une autre rupture que nous
opérons par la déconstruction du concept pouvoir selon lequel il
vient toujours d'en haut c'est-à-dire du supérieur à
l'inférieur. Le pouvoir ne vient pas seulement d'en haut, mais aussi, il
peut venir d'en bas par la négociation. D'où l'interaction entre
« OPJ et APJ ». C'est celui-ci qui détient le
véritable pouvoir puisqu'il peut déstabiliser celui-là.
Sur terrain, les APJ, refusaient d'enregistrer les plaintes, chassaient parfois
les requérants. C'est le cas de refus de plainte dont nous avons
abordé dans le deuxième chapitre. Par ailleurs,
dépêchés sur le lieu d'arrestation, ils s'érigent en
« OPJ debout », profitent pour
« treizer » le dossier et rentrent donner le faux rapport
au chef « il y a eu résistance ».
Quel est le sens du rapport de pouvoir
négocié ?
C'est la capacité de garder le chef dans sa
sphère en misant sur sa confiance. L'APJ doit être en bon terme
avec son chef. La capacité de négocier avec son chef est une
ressource ou un atout. Le chef peut aussi arriver à demander l'excuse
à son subalterne. Sur terrain, il a été constaté
que l'APJ peut donner conseil à l'OPJ de percevoir 10.000 F.C. d'amende,
le chef refuse. Il s'arrange avec un magistrat qui libère
l'impliqué et dit à son chef qu'ils ont perdu, or il a
déjà « treizé » à son
niveau.
Qui donne à l'autre le
pouvoir ?
D'emblée, l'on dira que c'est
l' « OPJ » qui donne son pouvoir à l'APJ. Mais,
il se passe que c'est l'APJ qui donne à son chef le pouvoir et les
moyens. A première vue, c'est l'Agent qui doit recevoir, mais il prend
la distance, il a une part de manoeuvre. Il utilise les ressources (pouvoir)
qu'il peut céder ou geler.
Il y a des situations où c'est l'Agent qui a le pouvoir
et d'autres où c'est le chef qui le possède. D'où, la
présence d'un pouvoir institutionnel qui se négocie de
manière empirique et devient situationnel. Dans ce contexte, c'est
l'acteur qui mobilise le plus de ressources qui a le pouvoir. Aussi, le manque
de moyens fonctionnels et le moindre effectif policier, constituent-ils un
obstacle et une limite de l'exercice du pouvoir de l'
« OPJ ».
Il sied de remarquer que toute relation ne se ramène
pas en effet à un jeu à somme nulle, dans lequel tout gain de
l'OPJ entraîne une perte équivalente de
l' « APJ », une coordination d'activité peut
aussi fonctionner en étant fondée sur des rapports de pouvoir,
inférer des avantages affectifs, quoi que différencié,
à l'ensemble des participants. Ainsi, le pouvoir d'un homme consiste
dans ses moyens présents d'obtenir quelques biens apparents futur (AKOUN
A. et al., 1999 : 414)
L' « APJ » est une instance des gestions
des problèmes. Il a une parcelle de pouvoir. Il a la capacité de
créer les relations pour mobiliser le pouvoir. C'est dans ce cadre qu'il
peut orienter, influencer ou bloquer les activités de l'OPJ s'il n'y
trouve pas son compte. « Nakokunda ye, tamubambisha
touche ». (je vais l'enterrer, je veux influencer pour qu'il
soit surpris la main dans le sac). Il a le pouvoir de nuire.
L'idée de « treizalité » du
pouvoir ne date pas d'aujourd'hui, elle a ses racines plongées dans la
nuit du temps. Le « mulambu » offert au chef après
une chasse fructueuse est une illustration indicative de la
« treizalité ». Lorsque l'
« OPJ » envoie un policier pour
« treizer », celui-ci lui apporte le
« mulambu ». Cette idée de
« treizalité » a été
développée aussi par Raoul KIENGEKIENGE dans sa thèse, il
évoque le pouvoir ou l'autorité traditionnelle et le pouvoir
européen (2005 : 687).
C'est le chef qui est censé détenir le pouvoir
et par conséquent, il reçoit le « mulambu ».
Ce sont les « APJ » qui lui donnent ce pouvoir puisqu'ils
disposent des moyens et des ressources. Ce sont eux qui arrêtent et
acheminent les gibiers à l' « OPJ » à
titre de « mulambu » et par conséquent, celui-ci ne
redistribue pas, d'où conflit induisant la pratique de l'
« OPJ debout ».
Le pouvoir est un capital et cela à tous les niveaux.
Lorsque les associés ne jouissent pas de ce pouvoir, c'est le conflit.
Le pouvoir de l'Etat est objet de « treizalité » et
il est reparti d'une manière inégale. Les acteurs s'instituent et
s'investissent en « Etat ».
Sur ce, que doit être le critère
d'exercice du pouvoir ?
Pour le moment, c'est la
« treizalité » du pouvoir et la négociation
qui s'en suit constituent la « mal-gouvernance » puisque le
pouvoir n'est pas bien exercé. Pour la « bonne
gouvernance », c'est la justice sociale impliquant la redistribution
équitable selon les ressources de chacun.
Le pouvoir rapporte, puisqu'il est toujours un capital. Pour
qu'il ne provoque pas de conflits, le bénéfice du pouvoir doit
être réparti selon le pouvoir ou les ressources de chacun, selon
son degré de participation. S'il n'y a pas cette justice redistributive,
c'est la mal gouvernance qui s'installe ». La justice redistributive
était d'usage dans l'ancien temps de l'Afrique des empires et des
royaumes. En effet, le chef redistribuait aux chefs de clan.
Nous alignant dans une posture constructiviste, le concept de
« mal gouvernance » et celui de « bonne
gouvernance » sont critiquables puisque porteurs de jugement de
valeur. Ce sont des concepts préalablement construits, connotés,
négatifs. En lieu et leur place, nous les substituons respectivement par
l' « injuste gouvernance » et « juste
gouvernance » qui sont des concepts neutres traduisant l'idée
de justice.
A cet effet, « la juste gouvernance »
implique la répartition qui accorde des bénéfices aux
associés et par contre, le chef reçoit aussi la confiance et le
pouvoir. C'est la « nouvelle philosophie » que nous
préconisons. Elle repose sur la « Participation,
répartition, redistribution et treizalité du pouvoir ».
Cela ne vaut pas seulement sur les policiers et les fonctionnaires de l'Etat,
mais aussi pour les gouvernants et les gouvernés.
A cet effet, lorsqu'il n'y a pas une
« juste » justice du pouvoir, ce fait engendre la
« treizalité » des Agents de l'Etat. Puisque le chef
domine, il doit recevoir. Or c'est à lui de distribuer. Par ailleurs, la
non distribution peut induire la désintégration, la
désolidarisation et la non coopération. Ce sont les individus qui
se désintègrent puisque leur pouvoir n'est pas connu, ils
prennent une distance vis-à-vis du
« système » et le pouvoir se complexifie. Il
s'affaiblit, dysfonctionne et se fragilise.
L'individu évolue comme un acteur social. Il
évolue selon son point de vue situationnel dans un dynamisme impliquant
les enjeux en présence. L'acteur évolue dans l'informel qui
alimente le système. Il y a des situations où l'agent participe
et des cas où il ne participe pas. Ce sont des relations qui se
désintègrent suite aux conflits. Le système dans son
ensemble résiste puisque l' « APJ » tient à
ce que le système continue puisqu'il y tire profit. C'est la pratique
informelle qui fait vivre la majorité des congolais.
Ainsi, les concepts de désintégrations et du
système ne sont pas pertinents. C'est pourquoi, nous avons mis en
jachère l'acteur social et le système de CROIZIER M. et de
FRIEDBERG E. (1977).
Ces auteurs ne considèrent pas un acteur comme sujet
porteur de point de vue. C'est dans ce cas que nous avons ciblé l'acteur
social dans l'optique de DEBUYST C. (1990 : 25-26). L'acteur n'est pas un
sujet soumis, mais porteur de point de vue sur lequel il s'appuie pour
coopérer ou non. Sous cette posture, l'acteur est situationnel et
dynamique.
La répartition de pouvoir et des ressources
étant inégale, cette inégalité est comblée
par l'idée de distribution. La démocratie doit être
fondée sur l'idée de répartition, distribution et
coopération. Le point de départ repose sur le pouvoir qui doit
être distribué.
La présente recherche est une critique de la notion de
liberté selon laquelle le citoyen est un sujet libre qui doit
céder son pouvoir au chef. Dans cette logique
« positiviste », le citoyen est un sujet de qui le chef
attend la soumission. Le citoyen est un sujet soumis et non un acteur social.
Son degré de participation est d'argumenter et d'enrichir le pouvoir de
l'autre.
Notre démarche étant constructiviste, elle
repose sur la visée critique. Pour nous, le citoyen est un acteur social
qui a son point de vue, ses normes de conduite, son histoire, son désir
de reconnaissance, ses interelations qu'il développe dans la
société, ses projets et son expérience. La participation
au pouvoir, c'est la distribution. Le pouvoir est en rapport avec
l'organisation et non avec le système. La première ressource
c'est le territoire ou le sol. Ainsi donc, celui qui a le pouvoir ne doit pas
attendre que le citoyen lui donne. Par contre, c'est lui qui est
habilité à donner. Le citoyen n'est pas un sujet soumis, mais au
contraire un acteur social. Sous cet angle, il est une instance du pouvoir, il
exploite et donne au chef. Si celui-ci ne redistribue pas, il agit dans
l'informel pour le contourner. C'est le cas de la pratique de l'
« OPJ debout ». C'est la manière dont l' OPJ
gère les APJ qui induit cette pratique. D'où le principe c'est la
redistribution et non l'égalité du citoyen puisque le pouvoir est
un capital qui s'exerce sur le sol.
Il va de soi que si le chef ne redistribue pas, il ne
reçoit pas la participation. C'est celui d'en haut ou le chef
hiérarchique qui doit distribuer sur base de critère des
ressources ou pouvoir de chacun et en contre partie, il reçoit la
participation. Dans le cas contraire, c'est le conflit qui s'actualise. Dans ce
cas, l'acteur ne participe pas, il reprend le pouvoir. Il se décolonise,
se désaliène et cesse d'être soumis et s'investit de son
pouvoir. C'est dans ce contexte que les Agents de l'Etat
« treizent » et s'investissent en
« Etat » puisqu'ils ont leur point de vue et doivent
vivre.
Ce qui précède illustre l'explication de
l'acteur social. La condition de non participation, c'est la non distribution.
La participation est conditionnée par la distribution. La non
distribution est un obstacle à la participation et induit la rupture qui
fait que ceux d'en haut deviennent sujets. C'est la quête de la
citoyenneté par rapport à l'Etat. C'est la décolonisation
et la recherche de l'identité, pourquoi pas de l'indépendance et
de la sécurité de soi et de sa famille.
Comment un congolais touche moins de 100 $ U.S. ou un policier
qui perçoit une prime de 30 $ comme salaire mensuel continuent à
vivre ?
L'Etat qui opère par une injuste gouvernance dans la
distribution et redistribution, fait que le citoyen agit en acteur social,
s'autodétermine, se décolonise et s'investit en
« Etat » pour se rétribuer par différentes
« treizalités » dont il a le pouvoir en agissant
dans l'ombre. Le citoyen vit au taux du jour et recourt aux pratiques
informelles pour y tirer si pas non para-salaire, néanmoins ses
différentes subsides pour vivre et répondre à ses projets.
C'est l'informel qui fait fonctionner le formel et c'est de cette
manière que les organisations et les institutions fonctionnent.
Empiriquement, la démocratie doit reposer sur la
distribution et la participation. C'est la personne qui a le pouvoir important
qui doit distribuer. Dans le cas contraire, les agents récupèrent
le pouvoir. L'agir humain n'est pas commandé par les idées
claires et distinctes. Pour nous, c'est la recherche de la régulation
sociale qui s'impose. La régulation sociale a comme fondement l'harmonie
sociale, la bonne entente communautaire. C'est dans cette perspective que nous
considérons la pratique de l' « OPJ debout » dans
son aspect regulatoire non réglementaire qui passe pour l'essentiel de
la pratique puisque reposant sur l'arrangement à l'amiable visant
l'harmonie communautaire.
Agir contrairement aux idées claires et distinctes,
l'on devient irrationnel. C'est comme la loi, perçue comme norme de
conduite claire et distincte, elle est rationnelle. Pourtant, par rapport
à nous, la loi n'a pas cette connotation puisqu'elle peut diviser. A
titre illustratif, une femme qui porte plaine contre son mari pour coups et
blessures. Détenir son mari revient à briser l'union. C'est
pourquoi l'OPJ procède par le conseil et oblige le mari de soigner sa
femme et de lui payer le pagne, c'est la réparation et verse l'argent
à l'OPJ pour le service rendu. C'est l'essentiel de la justice :
créer l'harmonie et non diviser au nom de la loi. C'est celle-ci qui
devient irrationnelle par rapport à la pratique. En plus, la loi des
« autres » n'est pas contextualisée ni
adaptée, c'est pourquoi elle est transformée et
réadaptée selon le contexte et les enjeux des acteurs.
Par ailleurs, la régulation sociale était
autrefois appelée « palabre ». Elle procédait
par la négociation et l'arrangement à l'amiable ainsi que la
médiation. A l'arrivée de l'Européen, il nous a
imposé sa loi pour reléguer la nôtre. Ainsi
reléguée, il l'appelait le « droit barbare »
qui procède de manière irrationnelle. Pour l'Européen la
« palabre » était le droit du non civilisé
parce qu'elle privilégiait la réconciliation à la
répression. Mais aujourd'hui, le droit non civilisé est
récupéré par l'Européen. C'est la tendance actuelle
en Europe, la médiation est entrain de surgir, d'émerger et de se
cristalliser.
Pouvons-nous dire que l'Etat est dysfonctionnel
par rapport à la mission de l'institution ?
L'Etat ne dysfonctionne pas, il est entrain de se faire
c'est-à-dire de se construire. L'analyse empirique de l'informel nous
renvoie à la subjectivité du sujet avec l'idée de
participation et de distribution.
Au regard de l'informel, POULET Isabelle écrit ce qui
suit :
« Le formel est ce qui est voulu et
décidé par les « décideurs »
autorisés. Tout ce qui ne correspond pas à cette
représentation tombe dans l'informel qui ne peut être qu'un
adversaire à combattre, à contrôler, à
récupérer ou à ignorer. Il inquiète ou
intéresse pour autant qu'il mette en cause la légitimité
et l'autorité ou lui permette de les restaurer. Sinon on l'ignore, il
n'a même pas d'existence. » (1999 : 176)
Ce qui nous intéresse dans cette citation c'est le fait
que l'informel peut être récupéré dans le formel
puisqu'il permet de restaurer l'autorité et la légitimité.
Il inquiète aussi par la non distribution et la non participation qui
peuvent mettre en cause la légitimité et l'autorité.
L'auteur va loin pour dire qu'il peut être ignoré, voire
même inexistant. Pour nous, les deux sphères se tiennent la main.
L'une ne peut exister sans l'autre. L'informel irrigue le formel. Celui-ci est
un construit perçu comme un idéal et qui demande aux sujets de
s'y soumettre. Or les sujets sont des acteurs, ils discernent et adaptent ces
règles formelles. Si l'on ignore l'informel, il est omniprésent
parce qu'il se pratique dans l'ombre.
De ce qui précède, il y a lieu de stigmatiser
que la norme juridique qui est la loi des autres, n'est qu'un aspect des
normes. Sous cette perspective, la norme juridique n'est qu'une norme parmi
tant d'autres. En plus, l'absence d'une loi, n'est pas un vide juridique. A
titre de rappel, nous l'avons énoncé dans l'introduction et
montré dans le deuxième et troisième chapitre qu'il n'y a
pas que l'Etat qui produit les normes, les acteurs aussi en produisent. Ils
articulent les normes réglementaires (officielles) et les normes
sociales ou religieuses.
A ce titre, l'objet d'étude fourni par le droit est-il
réel ?
S'il est vrai, il doit être questionné dans sa
réalité. A ce sujet, la notion du mariage et de l'adultère
peut nous édifier et nous inviter à leur redéfinition au
regard de données empiriques qui présentent le sens et les
représentations des acteurs. C'est à ce sujet que nous disons que
la criminologie améliore le Droit pénal par sa façon de
procéder. D'où la lumière du soleil sur la justice
pénale. La criminologie devient une lampe qui éclaire le droit et
elle est à son service.
Contrairement à la loi « des
autres », et à celle qui a été
façonnée en imitant celle des autres (le code de la famille) sans
miser sur la pratique et les sens qu'en donnent les acteurs, il ressort du
terrain ce qui suit :
« La cohabitation entre l'homme et la femme
pendant au moins 6 mois et surtout que de cette union découle un enfant,
cela suffit pour justifier le mariage. Souvent, lors de l'audition, on pose la
question suivante : êtes-vous marié ? Oui alors
comment : « tuneshakuzala naye mutoto » (J'ai
déjà un enfant avec lui). C'est mon mari.
Le mariage civil est coûteux et l'ignorance des
conjoints au regard de la loi des « autres » font que les
acteurs recourent soit au « cycle long », soit au
« cycle court ».
Le cycle court est une pratique qui consiste à
enceinter une femme pour cohabiter avec elle sans préalablement verser
la dot. « Les propos comme ceux-ci tombent à point :
« Ni bwana yangu »(C'est mon mari)
« Anesha kupeleka mali ? (A-t-il
déjà versé la dot ?)
« Hapana, nakawa naye sana, na bantu bote bana
yuwa » (Non, je cohabite avec lui, il y a longtemps et tout le monde
sait que c'est mon mari). Il s'est déjà présenté
dans ma famille.
Pour cette catégorie, l'union des faits est une
justification de légitimation du mariage. Il arrive aussi que le
conjoint verse la pré-dot.
Pour cette première catégorie, cette union
de fait peut amener le conjoint à se plaindre pour
l'adultère : « Ni bwana yangu, minesha kuzala naye
batoto, kama ninamubamba na mwana muke, ni makoji » (c'est mon mari,
j'ai enfanté avec lui et a déjà prédoté, si
je le trouve avec une autre femme, c'est l'adultère). Il en est de
même pour l'homme qui vit avec une femme dans l'union de faits, il peut
se plaindre pour l'adultère en cas de flagrance de relation sexuelle
avec un autre homme..
La deuxième catégorie est le cycle long qui
nécessite le versement de la dot sans que le mariage ne soit
enregistré à l'Etat civil. Pour les conjoints, le mariage est
valable.
La polygamie est prohibée par la loi des
« autres » alors que la pratique nous renseigne le
contraire.
L'adultère oblige que le conjoint
lésé est seul habilité à se plaindre, mais en
pratique, même les membres de la famille le font à la place du
conjoint.
Quelle est l'attitude de l'OPJ ?
Il mobilise d'abord le cadre juridique pour fixer les
faits. Et ensuite, recourt aux normes sociales, religieuses et culturelles pour
réguler les faits.
Concernant l'adultère, il peut demander au mari de
payer un pagne à sa femme offensée. Il arrive que le mari insiste
pour que les deux femmes soient siennes pour le bien-être de sa
progéniture. Il s'arrange avec la première en lui payant pour
qu'elle reconnaisse sa rivale. Ainsi, la deuxième femme cesse
d'être « Da mwizi » (Soeur voleuse du mari) pour
s'ériger en coépouse. D'où la prohibition de la polygamie
est une fiction.
Dans la pratique, un seul soupçon suffit
d'détablir la culpabilité d'adultère et souvent, au lieu
de porter plainte, la « Da mwizi » est copieusement
rossée et porte plainte pour « victime »
d'administration des coups. Et il arrive fréquemment que le mari
s'arrange avec l'OPJ et les deux « femmes » pour que le
dossier soit clôturé à la Police ».
Cette longue illustration empirique montre la notion du
mariage et d'adultère telle que perçue et régulée
par les acteurs. La notion comme la régulation sont adaptées
selon le contexte des acteurs.
Ainsi, les raisons de la transgression ne sont-elles pas
celles de la désignation. Celle-ci résulte d'un rapport de forces
entre ceux qui cherchent à apposer l'étiquette de déviant
et les ressources de résistance de celui qui risque d'en être
objet (ROBERT P., 2005 : 71)
La femme qui se rend justice en tapant copieusement la voleuse
de son mari, la police lui colle l'étiquette de déviante pour
coups et blessure et y oppose une résistance en légitimant son
acte. Comment et pourquoi peut-elle être incriminée par la voleuse
de son mari, elle qui s'estime victime du vol ?
Dans l'application de la loi, l'APJ et l'OPJ, misent sur les
enjeux des impliqués, apprécient et agissent en
conséquence.
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