4.2.2. Les
« réseaux protecteurs »
L' « OPJ » dans le monde de son travail
judiciaire est souvent sujet de pression que nous avons appelée
« trafic d'influence ». Pour s'y parer, il établit
des réseaux. S'il a un dossier alléchant (ya mafuta),
dossier avec provision ou dossier « treizable », il recourt
à ses connaissances ou « coopérants »
à l'Auditorat militaire ou au Parquet civil de telle manière que
le dossier ne lui soit pas arraché ou en cas de rebondissement, il a une
couverture de protection.
Pour illustrer ce propos, la restitution empirique suivante
peut nous éclairer et nous édifier :
« Il est midi, un certain jeudi du mois de mars,
au sous-commissariat de Police Kafubu. L'OPJ MUNGOBWAKI vient intervenir pour
le cas de son frère arrêté sur base d'un mandat d'amener
pour abus de confiance. L'impliqué refuse l'arrangement et sollicite le
transfert du dossier au Parquet puisque les produits qu'il a reçus pour
vendre ont été volés à la société
Gécamines. Il se passe que l'impliqué a le désire de
laisser le dossier suivre son cour normal pour que le requérant soit
aussi arrêté pour « vol ». En plus, le
requérant avait sollicité le mandat d'amener auprès de son
cousin qui est magistrat. C'est ainsi que l'OPJ MUNGOBWAKI ayant aussi
plusieurs connaissances au Parquet, sollicite son collègue instructeur
de ce dossier pour qu'il le transfère et entête son jeune
frère à ne pas fléchir et lui rassure de son intervention
au niveau du Parquet ».
Profitant de sa présence pour nous entretenir au regard
de l'objet de cette recherche, il nous dira comment il a crée les
réseaux au niveau du Parquet et de l'auditorat militaire. Chaque fois
qu'il a un dossier rentable comme celui de
« contrefaçon », il recourt à ses
connaissances au niveau des instances précitées et nous relate ce
qui suit :
« Un jour, il a été saisi par
monsieur KATAMBO victime d'escroquerie d'une somme estimée à
14.000 $ par un sujet camerounais en complicité avec un congolais.
Accompagné de son collègue, ils ont tendu le piège
à ces deux impliqués et qui a échoué. Par
téléphone, le rendez-vous était fixé dans un
cabinet au centre ville de Lubumbashi. Par le flair, ces deux impliqués
ne s'étaient pas présentés parce qu'ils avaient pressenti
le « mukwao » (le piège).
Comme ils avaient demandé à monsieur KATAMBO
de leur ajouter encore 16.000 $ U.S. pour qu'ils lui fabriquent une valise des
billets en devise, la victime n'a récolté que 6.000 $ qu'il n'a
pu convertir en Francs Congolais. Un autre rendez-vous était
relancé au carrefour pour verser 6.000 $ et il fallait ajouter 10.000 $.
Le rendez-vous était de nouveau fixé au centre ville. Au lieu que
le camerounais se présente, c'est le congolais qui se présenta.
Il fut arrêté. La population intervint pour protester que cette
arrestation était contraire au droit de l'homme puisque les policiers
lui avaient braqué leurs armes. Les deux OPJ s'expliquèrent
à la population qui désapprouvait l'impliqué qui fut
acheminé à l'office de police. Soumis à un interrogatoire
sous les coups de fouet, il cria : « Beauf, c'est vous qui me
maltraitez ». MUNGOBWAKI le reconnaissant, il fallait chercher les
voies et moyens pour le sauver. Il se rappela qu'une semaine avant cet
événement, il avait été invité pour son
mariage qui a été très pompeux. Il conclut que c'est avec
l'argent escroqué que l'impliqué a organisé son mariage.
L'impliqué lui donna 50 $ U.S. et appela sa femme par
téléphone qui compléta 100 $. Pendant qu'il instruisait le
dossier, deux réquisitions dont l'une de l'Auditorat et l'autre du
parquet, tombèrent sur sa table. Il jugea opportun de contacter
l'Auditeur à qui il relata tous les faits ; la réquisition
avait été amenée par le magistrat militaire qui se rendit
compte qu'il s'agissait des « malfaiteurs ». En connivence
avec l'Auditeur, il lui transféra l'impliqué et trouva dans son
office 6 avocats de la partie impliquée. Le requérant et victime
eut peur, frustré par la présence de 6 toges noires, il se
rétracta et préféra perdre, surtout qu'il venait d'une
ville située à + 350 km de Lubumbashi et qu'il n'avait pas
de soutiens. Deux jours après, l'infortuné fut appelé
à l'Auditorat pour recevoir 130 $.
Ainsi, l'OPJ MUNGOBWAKI conclut-il, l' « OPJ
doit avoir des parapluies au Parquet et à l'Auditorat. Lorsqu'il a un
dossier plausible « ya mafuta » pour qu'il ne glisse pas de
ses mains, il saisit soit le magistrat du Parquet, soit celui de l'Auditorat
selon les enjeux en présence, qui lui fournit une réquisition
comme couverture contre les pressions et l'arrachement du dossier. Une fois
l'affaire « treizée », il donne le rapport ici, le
« dix-ving-cinq » ou l'argent au magistrat intervenant ou
parapluie ou encore « couverture » ou « encore
mieux « protecteur ».
La réquisition sert de couverture, même si
une autre venait sous l'instigation de la partie lésée, il
transfert directement le dossier au magistrat
« protecteur » avec qui il coopère puisqu'il sait
qu'il va y trouver sa part.
Parfois, pour éviter la pression et la tracasserie
de l'Auditorat qui perçoit la police comme son champ de récolte
pour « treizer », il sollicite un mandat d'amener ou une
réquisition auprès de son « magistrat coopérant
ou protecteur ». Dans l'entre temps, il perçoit une somme
colossale de plus de 1000 $ de la part de l'impliqué et se dit :
« je suis OPJ frappeur dans le cadre de l'amende ». Il
envoie le dossier au dit magistrat ainsi que la moitié de la somme
perçue, et à ce niveau l'impliqué trouvera sa
liberté.
Enfin, nous a-t-il confié : je fais
cette pratique plusieurs fois et elle est efficace pour mieux tirer le profit
à travers les dossiers. Je sais conjuguer le verbe manger en partageant
le butin avec les chefs du Parquet ou de l'Auditorat. Il peut même garder
les détenus au-delà de 48 heures puisqu'il sait qu'il ne sera pas
inquiété. »
Cette manière de procéder est une pratique
courante dans le chef des OPJ. Il gèle le pouvoir du contrôle
judiciaire pour mieux gérer les situations conflictuelles dans l'optique
du travail judiciaire. Par leur manière de faire, les OPJ
maîtrisent les autorités chargées de contrôler leurs
activités. Ils affaiblissent leur pouvoir et se protègent
c'est-à-dire se sécurisent. Ce qui est stratégie pour l'
« OPJ », l'est aussi pour l' « APJ »
s'investissant en « OPJ debout ». C'est dans ce
contexte que le pouvoir du magistrat est fragilisé. Il ferme les yeux
dans le cas du contrôle lorsqu'il découvre les détentions
irrégulières ou qui ne cadrent pas avec la loi pénale.
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