2.3.3. «
Police, mosala te »
« Oyo mosala ya police, eza mosala
te » (la police n'est pas un boulot, un métier). Il ne
l'est pas à cause des tâches contraignantes et la discipline qui
suit une logique répressive. Comment se fait-il que les policiers
travaillent avec zèle malgré les taches contraignantes et sans
repos : la garde, la patrouille, la tournée, le maintien de l'ordre
... ?
Sur terrain, il a été constaté que les
policiers travaillent avec zèle puisqu'ils vivent au « taux du
jour » et le travail leur procure chaque jour le pain quotidien. En
plus, ils contournent les contraintes de tâches, par l'existence des
rubriques. Pour s'absenter, ils peuvent recourir à la rubrique malade,
la rubrique circonstancielle, motiver un voyage circonstanciel sans voyager.
Du reste, ils passent outre les règlements pour
évoluer dans l'informel en appliquant la pratique de « l'OPJ
debout » parce qu'ils savent qu'ils ne seront pas traduits à
l'auditorat, mais subiront une punition de corps. Le moindre effectif fait
qu'ils soient vite libérés lorsqu'ils sont privés de
liberté comme mesure disciplinaire. Ils savent aussi qu'ils ne feront
pas le cachot parce qu'il n'y a pas assez de policiers pour faire la patrouille
et le maintien de l'ordre.
Les règlements sont affaiblis par l'effectif moindre
qui fait que les punitions ne soient pas sévères suite aux
exigences des tâches à exécuter. Empiriquement, il a
été observé que les tâches anergissantes,
contraignantes et la prime insuffisante, poussent quelques policiers à
déserter pour prester ailleurs. Certains par contre, ne trouvent pas
d'autres issues. Dans la sécurité privée, l'accès
est difficile puisqu'elle ne recrute pas les policiers ni les anciens
militaires. Ils vivent grâce aux relations qu'ils tissent avec la
population. « Njaa ya mu Congo inaisha kututosha aya dju ya
kuomba » (La famine dans notre pays a fait que nous puissions
nous dépouiller de la honte pour demander sans gène).
D'autres policiers n'ont pas de possibilité de prester
ailleurs puisqu'il n'y a pas d'engagement. Ils ne savent pas où aller
s'estiment stables, le travail facile, noble et respectent le rôle et les
tâches leur confiées par la hiérarchie.
Quelle leçon pouvons nous tirer de l'unité de
commandement et du pouvoir continu ?
La police fonctionne avec des règles paraissant
contraignantes sans nécessairement l'être puisque les policiers
ont une grande part de manoeuvre pour les contourner et travailler avec
zèle.
2.3.4.
« Kubambisha touche »ou « kosimbisa
touche »
« Kubambisha touche » (faire
surprendre quelqu'un la main dans le sac). Nous sommes dans le contexte du
commandement et du pouvoir. « Kubambisha touche » tire son
fondement dans le jeu de football lorsqu'un joueur touche le ballon de sa main.
C'est une touche. Elle est sanctionnée par un coup franc. Si elle est
volontaire, elle peut entraîner le carton rouge qui induit l'exclusion du
jour. Elle est grave lorsqu'elle est commise dans la surface de
réparation, elle entraîne le penalty.
Quel est le sens que nous pouvons cerner de cette
notion ?
Cette notion de « touche »est liée
à celui du pouvoir. Celui-ci est un processus intentionnel affectant au
moins deux acteurs qui, par une redistribution des ressources obtenues par des
stratégies diverses, affecte le niveau relatif de capacité de
l'un et de l'autre d'une manière compatible avec la formule de
légitimité en usage. (BOUDON R. et BOURRICAUD F., 1982 :
464)
La relation du pouvoir présente deux enjeux : le
contrôle du processus coopératif et le partage de
bénéfice qui en résulte. Elle peut être associative
ou hiérarchique. Celle-là parce qu'elle peut être
négociée sous forme d'instruction qui laisse une marge
d'appréciation aux intéressés. Celle-ci parce que le
modèle peut revêtir la forme de commandement. Il vise à
établir une conformité stricte entre les attentes des dirigeants
et le comportement des exécutants. (1982 : 464)
Ce pouvoir hiérarchique nous intéresse dans ce
sens que c'est lui qui lie l'APJ à l'OPJ. Il paraît rigide et
irréversible. Cette rigidité et irréversibilité ne
sont qu'apparentes même sur le plan judiciaire. La barrière entre
OPJ et APJ est fluide puisque sur terrain, l'APJ s'investit en OPJ par la
pratique de l'ombre. Cette préoccupation sera mieux approfondie dans le
troisième chapitre.
A l'antipode de ce pouvoir hiérarchique, celui qui nous
intéresse présentement, c'est le pouvoir comme cette
capacité de freinage ou de sabotage, qui est un pouvoir de nuire
(1982 : 364). Ainsi, « Kubambisha touche »,
c'est le pouvoir de nuire. Le pouvoir de nuire se manifeste lorsque l'APJ ne
trouve pas sa part dans « le treize ou la treizalisation »
(la capitalisation de l'OPJ). A ce sujet les policiers disent
« kazi ya mpunda, shioneye mo, ata imbwa banamutupiyaka
mufupa » (J'ai fait le travail du cheval, je ne m'y retrouve
pas, même chien, on lui jette un os). Le travail sans récompense
est vain. L'on ne dit pas que tout travail mérite salaire ?
Le manque de redistribution peut entraîner le pouvoir de
nuire, de se venger entre APJ eux-mêmes ou entre APJ et OPJ. Lorsqu'il se
partagent mal, il y a mécontentement. Pour exprimer ce
mécontentement, certains disent : « unanibotcher,
unaninyonga, unanigommer, aina mambo, takubambisha touche »
(vous m'vez dupé, vous m'avez roulé, vous m'avez effacé,
ce n'est rien, je vous nuirai). « Kubambisha touche » a le
sens de compromettre une personne à partir d'une faille pouvant
être sanctionnée.
C'est comme ce cas qui s'est passé sur terrain. Un
vendeur de poissons salés a fait arrêter son ami
soupçonné d'avoir soustrait à son insu la somme de 50.000
FC. Après avoir passé deux nuits au cachot, leur chef, le
commandant en place donnera l'ordre au chef de poste de libérer
l'impliqué, faute de preuve, toutefois liberté
conditionnée par le « mulambu », cadeau à
offrir au chef ou le « mabonza » (l'offrande).
Comme il n'y avait pas de distribution, l'OPJ instructeur du
dossier et les APJ ayant participé à l'arrestation de
l'impliqué, mécontents de « salela nga
nalia » (travail pour mois pour que je mange), ont trouvé
une occasion de nuire à leur chef. Les relations `étant
déjà tissées avec la personne qui avait sollicité
la justice, elle sera influencée pour porter plainte contre le chef
hiérarchique à l'Auditorat militaire pour n'avoir pas eu la
réparation. En plus, l'argent a été versé et n'en a
pas bénéficié, elle a saisi cette instance qui
considère la police comme son « Bilanga, mashamba »
(le champ). Le sens de « bilanga » c'est la récolte
non pas de produits agricoles, mais de l'argent liquide ou en nature (biens
gagés).
« Il faut que commandant asanza, aliaki eloko ya
mbwa, préparer mbangu » (il faut que le commandant vomisse, il
a mangé, consommé la nourriture du chien, qu'il prépare sa
fuite). C'est ainsi que nous verrons un inspecteur judiciaire de l'Auditorat
entrer dans le bureau avec ses deux Agents. Par astuce, il sera invité
dans un bistrot pour prendre du sucré et négocier le
problème. Il percevra son « mulambu » ou sa
récolte avec promesse de réparer le fait. Cela fut fait.
« Ndjo vile commandant alibambaka touche »
(C'est de cette manière que le commandant a subi la vengeance,
« asanzaki oyo aliaki » (il avait vomi ce qu'il avait
consommé). C'est une façon de nuire. L'APJ a aussi cette
capacité de « kubambisha touche » ; il en a le
pouvoir puisqu'il a aussi l'expérience.
Par ailleurs, il sied de stigmatiser que l'Inspecteur a
arrangé le problème à la manière de l'OPJ debout,
en dehors du bureau, sans bic ni papier. C'est cet aspect qui sera plus
analysé dans le troisième chapitre. L'inspecteur a
contribué à l'harmonie et à la paix sociale. C'est
l'essentiel dans l'administration de la justice. Le cadre de l'audience est
artificiel et étranger aux impliqués. Il n'est pas une fin en
soi, mais un moyen parmi tant d'autres comme l'arbre à palabre, le
domicile des impliqués..., la rue peut aussi servir de cadre, comme le
marché pour résoudre certains problèmes lorsque les deux
parties peuvent s'entendre, elles-mêmes ou par les intermédiaires.
Bref, la justice peut se faire même dans la rue lorsque les gens se
battent, ils peuvent trouver amicalement un terrain d'entente. C'est
çà sa finalité.
La touche a aussi sa finalité : c'est la sanction
qu'impose l'acte posé dans le but de nuire. La sanction peut se traduire
par la perte de confiance de la part de son chef, par la réprimande, la
punition du corps ou administrative et la plus nuisible, c'est la privation de
liberté. C'est pourquoi la fonction d'OPJ est comparée au couteau
à double tranchant qui peut se retourner contre son auteur.
« Ule anabambanaka, naye banamubambaka », (Celui qui
arrête, peut être aussi arrêté). A titre indicatif, un
OPJ qui ne sait pas conjuguer le verbe manger « je mange, nous
mangeons » peut être trahi par les APJ qui participent sans
être récompensés. Ils peuvent livrer l'information à
leur supérieur pour que le concerné puisse perdre sa
crédibilité. C'est le cas d'un OPJ qui avait un
« dossier ya mafuta » (dossier huilé » ce
qui veut dire rentable). La somme perçue étant
considérable, le commandant informé sans goûter au
délice, il avait signé sa permutation pour un « poste
garage » (poste de réserve ou d'attente), « poste ya
pamba pamba » (poste sans importance), « poste ya
manyuka » (délavé, lessivé) c'est-à-dire
un sous commissariat non viable ou improductif ou encore mieux non rentable et
non « treizable »
|