1.5. La mise en oeuvre du
travail de terrain
Cette partie du travail indique la manière dont nous
nous sommes inséré sur le terrain et la mise en train du
dispositif de recueil des données.
1.5.1. L'insertion
personnelle sur le terrain
Deux aspects sont exploités ici à savoir :
la posture du chercheur et l'exigence linguistique des acteurs.
1.5.1.1. La posture du
chercheur
Tablant sur la méthode ethnographique du type
qualitatif que nous avons mobilisée, deux manières se
présentent pour s'insérer sur le terrain
« professionnel ». la première est celle où
le chercheur pour mener une enquête scientifique de l'intérieur de
sa profession, analyse une unité policière qui n'est pas sienne,
selon l'intérêt dicté par la recherche. C'est le cas d'un
policier de l'unité de garde qui analyse l'objet portant sur la Police
d'investigations criminelles. La deuxième posture est celle où le
policier chercheur analyse l'objet de recherche sur sa propre unité et
régulièrement son propre poste ou lieu de travail.
Pour le premier cas, l'insertion sur le terrain oblige au
chercheur le recours à des formalités administratives
auprès de son échelon supérieur. Celui-ci peut lui
accorder l'autorisation de stage ou la permutation ou transfert provisoire pour
seule fin d'enquête.
Pour la deuxième option dans laquelle s'inscrit cette
recherche, le chercheur s'investit en acteur professionnel. Ainsi, ne
s'insère-t-il pas dans le milieu ou terrain de recherche puisqu'il y est
déjà inséré par la profession. Par
conséquent, il n'est pas tenu à des formalités
administratives.
Il sied de remarquer que la méthode ethnographique est
subjective. Sous cet angle, l'opportunité nous est offerte de
procéder personnellement à la substitution momentanément
de l'emploi de « Nous » de majesté par
« je » pronom personnel inaccentué ou atonique qui
indique la personne qui agit ou subit, et par « moi » qui
est tonique et qui, accentue le « je » dans cette phase du
travail. Il y a aussi lieu de mettre en évidence le pronom personnel
« neutre » pour marquer la neutralité de notre
discours. « Il » remplace « mon » et
« je » qui représentent le chercheur.
C'est pour dire que la tradition humaniste a produit une
quantité des processus effectifs de l'enquête de terrain à
la « première personne » EMERSON R., 2003 :
409)
La visée est d'exprimer la subjectivité à
trianguler avec le savoir des acteurs participants « OPJ »
et « APJ » afin de réaliser l'
« intersubjectivité ». D'où la
démonstration et la raison d'être de cette formule à trois
dimensions qui traduisent le même fait.
Subjectivité
Subjectivité
Intersubjectivité
+
=
Négatif
Négatif
Positivité
+
=
Chercheur
Participants
Neutralité
=
+
L'intersubjectivité est synonyme de
l'objectivité dans une perspective positiviste. C'est une manière
de valider ce savoir en tant que chercheur acteur professionnel. Il ne sera
validé que lorsque les acteurs se reconnaissent et s'identifient
à l'objet du travail. A ce moment là, le chercheur aura atteint
la validité de la recherche. Et la recherche matérialisée
devient un miroir où le chercheur et les acteurs s'y mirent pour voir le
reflet de leur manière de travailler. C'est l'un de grands avantages de
la méthode ethnographique. Cependant, elle pose le dilemme de la prise
de distance entre le chercheur et l'objet d'étude. Cet aspect sera
détaillé en profondeur dans la phase d'éthique de
recherche.
Sur ce, je me suis inséré sur le terrain de
quatre manières selon l'exigence du milieu professionnel et celle de la
recherche. Le terrain exige l'adaptation liée au secret du travail et la
recherche implique la validité. La recherche du terrain exige des
stratégies et du savoir faire du chercheur.
1° « Chercheur à
couvert »
Ce concept est puisé dans les empiries. La police
congolaise a toujours été militarisée et l'est encore
aujourd'hui comme force contraignante ou régalienne. Dans les tactiques
militaires, être « à couvert » c'est
être à l'abri, éviter d'être cible, c'est se cacher
pour se protéger. C'est aussi se camoufler pour passer inaperçu.
Par contre, être à découvert, c'est s'exposer comme cible
vu devant l'ennemi.
Dans le premier moment de cette recherche, je me suis
inséré sur le terrain comme un chercheur « à
couvert », masqué, voilé, camouflé pour observer
dans l'ombre. Cette manière de s'insérer sur le terrain
d'enquête sans que les acteurs participants (OPJ et APJ) le sachent, est
une posture privilégiée pour le chercheur professionnel qui a les
atouts d'observer profondément les faits. C'est une opportunité
propice pour tirer les observations fécondes puisque le chercheur les
récolte au moment de leur production dans leur contexte naturel. Si le
chercheur de l'extérieur a des difficultés d'observer surtout ce
qui se passe en « kundelpain » c'est-à-dire en
secret ou en cachette comme la pratique de l'« OPJ
debout », le chercheur acteur professionnel jouit d'une position
privilégiée qui est censée féconde.
Pour suivre la formation criminologique, l'école
exigeait préalablement l'autorisation de l'employeur. L'ayant obtenue de
mon échelon supérieur, dès ce moment là, il
n'était plus nécessaire que je sois présenté
à mes collaborateurs « OPJ et APJ » comme chercheur.
De toutes les façons, ils savaient que j'étudiais et ignoraient
tout sur ma recherche. C'était un secret pour moi puisque
l'enquête sur terrain a été déterminée par
mon calendrier personnel de recherche. Elle coïncide avec mon stage que
j'avais prévu du janvier au mois d'Avril. Le reste du temps
m'était profitable pour enrichir ma recherche. Inaperçu et
ignoré des policiers, j'ai commencé l'observation dans l'
« incognito ». C'est ce qui justifie le concept du
« chercheur à couvert ». C'est cette posture que
j'ai portée dans le premier moment de recherche et d'insertion
personnelle sur le terrain. C'est l'observation in situ qui a primé.
2° « Chercheur à
découvert »
C'est le chercheur dévoilé,
démasqué ou dépisté par soi-même pour raison
de quête de données. C'est le deuxième moment d'insertion.
Après avoir bénéficié des avantages de la
première posture, le respect du calendrier de recherche m'imposait
l'entretien exploratoire avec quelques « OPJ et APJ ». il
fallait dès lors, me présenter à mes collaborateurs comme
étudiant chercheur. D'une manière informelle, j'étais
stagiaire dans mon sous-commissariat de police où je travaille. C'est de
cette manière que j'ai été amené à
réfléchir et à partager avec eux leurs expériences
pratiques dans le champ non réglementaire du contrôle policier.
L'objet étant très glissant et très
délicat, il est lié aux pratiques secrètes à
découvrir. Vu ma position hiérarchique
« OPJ », il y a eu méfiance puisque certains
policiers me prenaient pour un imposteur qui voulait les démasquer et
démanteler leurs pratiques. C'est ainsi que par la stratégie du
« gagne coeur » ou de la mise en confiance,
découlant de mes relations habituelles déjà tissées
depuis longtemps avec eux, que j'ai du contourner la
« méfiance ». Ceci pour dire que le chercheur
professionnel se bute aussi à la méfiance...
Sur ce, le cas de SANTOS décrit dans l'introduction
nous permet d'illustrer le cas de « méfiance ».
Informé du cas, j'avais glané l'information auprès du chef
de poste et du chef d'équipe qui étaient intervenus pour ce
cas ; pour recouper l'information, j'avais demandé à un
policier participant à l'action. J'ai eu du mal à lui arracher ce
qu'ils avaient fait malgré les relations approfondies entre nous ;
il cachait l'information que j'avais déjà, il avait une attitude
de panique. Peur de répercussion, il a cru que j'avais besoin des
informations pour lui créer des ennuis en lui privant la liberté
par la détention. Bien avant, j'avais discuté le bien
fondé de ma recherche avec lui. Mais, il n'a pas eu confiance suite
à ma fonction hiérarchique occupée dans l'organisation. Il
voulu s'assurer s'il y avait un problème. IL me demande
« kuko mambo » qui veut dire « y a t il
un problème ». Il finit par me donner une histoire
décousue. Le lieu n'était pas bien propice puisque c'était
mon bureau malgré mon insistance sur l'importance du bien fondé
de ma recherche, la méfiance n'a pas été balayée.
Le policier s'est méfiée de la recherche en s'accrochant à
ma position hiérarchique. Deux jours après, ne voyant aucun
événement lui survenir à ce propos, dans un endroit
retiré, sous un café, il me relata tous les faits.
Toute cette longue littérature pour tout simplement
dire que la recherche menée de l'intérieur se bute aussi au
problème que pose la « méfiance » si l'objet
à cerner est délicat et est tenu pour secret ou stratégie
de gagne pain dans une situation non réglementaire, la peur de
répercussion ou rebondissement du problème, la crainte de
« mbanu » ou « punition ». La police
est un lieu de coercition d'abord pour les policiers eux-mêmes pour
raison de conformité. C'est ainsi que la police comme corps, ou force,
dispose d'une déontologie spécifique dite déontologie
policière. (LOFIMBO L.S., 2006 : 5-59). DONATIEN KALOMBO (2000) a
aussi partagé ses connaissances sur la déontologie
policière.
Toutefois, il sied de remarquer que le premier moment de
l'insertion sur terrain est celui de l'observation directe dite « in
situ ». Tout est à observer. « C'est une observation
« pure » qui est générale. Le deuxième
moment provoqué par l'entretien exploratoire, c'est celui de
l'observation orientée et sélectionnée. Notre attention a
été braquée sur toutes les situations liées au
champ du contrôle policier : les policiers et leurs manière
de rendre justice dès la plainte jusqu'à son issue. Les
observations sont ici raffinées puisque fixées et
précisées par l'objet de recherche.
3° « Chercheur participant ou
observé »
Pendant les recherches, j'exerçais les activités
professionnelles comme d'habitude. Je recevais les plaintes, je les
gérais jusqu'à leur issue en clôturant certains dossiers
à mon niveau selon les cas et d'autres suivaient leur cour normale par
la voie de transfert au Parquet de Grande Instance.
Je participais tout en ayant l' « oeil »
d'un observateur avisé. J'étais à la fois un participant
actif puisque j'étais plongé dans les activités d'OPJ en
oubliant par moment que j'étais chercheur surtout lorsque l'observation
tendait à la saturation. C'est une limite méthodologique pour la
recherche menée de l'intérieur et la participation devient un
avantage du chercheur externe puis qu'elle est cette opportunité
d'observation et de tisser les relations de mise en confiance pour faciliter
les entrevues.
En faisant ce que font les policiers en tant que policier, je
faisais aussi d`elle ce qu'en font les policiers que nous aurons
l'intérêt à analyser en profondeur au moment opportun.
Même si par moment, je m'oubliais comme chercheur, souvent, je
participais avec l'esprit en éveil tout en m'observant par
l'introspection, je fournissais un effort pour opérer à la fois
une double observation, sur moi-même et sur les actions des
« OPJ et APJ ».
La pertinence est que le chercheur se trouve dans une bonne
position de s'analyser à travers les pratiques professionnelles,
policières dans ce cadre précis. C'est comme s'il s'agissait de
son autobiographie. Autobiographie par analogie métaphorique, le
chercheur s'analyse à travers sa profession et se découvre. La
recherche devient un miroir réflexif de son travail qui constitue une
communauté professionnelle. OEuvre autobiographique au sens strict du
concept, la recherche n'en est pas une puisque ce savoir n'est pas seulement
l'expérience du chercheur participant et s'auto-observant, mais aussi et
surtout elle s'affirme comme la restitution des pratiques par les policiers
participants (OPJ et APJ).
4° « Chercheur
observant »
En tant que participant, l'attention est focalisée plus
sur la participation que sur la recherche. Le chercheur se confond à
l'objet pour s'observer s'analyser. A un certain moment, il fallait prendre
distance avec l'objet en observant les policiers sans provoquer les
événements ou les occasions à exploiter. Il fallait agir
dans le naturel en se laissant guider par le déroulement des
activités policières.
C'est ainsi qu'il m'arrivait le plus souvent que possible de
confier le dossier aux stagiaires pratiques et je m'occupais de l'observation.
Je suivais le déroulement de l'audition et de l'instruction du dossier
du début à la fin. Ils concluaient le dossier en sollicitant mon
avis en secret. C'est une manière d'être observant. Parfois, je
demandais à mes collègues d'instruire mes dossiers et j'en
profitais pour récolter les données utiles. Il m'arrivait surtout
d'assister au déroulement de la majorité des dossiers
traités au sous commissariat. C'est une manière d'être d'un
chercheur observant dans l'étude ethnographique analysée de
l'intérieur.
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