Relations entre OPJ et APJ (Officier de Police judiciaire et Agent de Police Judiciaire ): analyse criminologique de la pratique de l' OPJ debout( Télécharger le fichier original )par Albert MUTOMBO NGOY BANZE Université de Lubumbashi école de criminologie - Diplôme d'études approfondies en criminologie 0000 |
INTRODUCTION GENERALELa présente étude porte sur la question des pratiques policières à travers les règles du jeu entre l'Officier de Police Judiciaire, « OPJ », et l'Agent de Police Judiciaire, « APJ », dans l'exercice de leur travail. Ce faisant, le point de départ le plus obligé d'une recherche scientifique repose sur l'observation qui suscite la question centrale.(1(*)) Avant d'y arriver, une mise au point de la démarche conceptuelle s'impose. Nous avons ciblé quelques cas susceptibles d'éclairer et de fixer le lecteur à ce propos. Un adage dit : « un ventre affamé n'a point d'oreille ». A l'antipode, nous disons qu'il en a. Pour comprendre l'affamé, il faut le placer dans son contexte. Mêmement, « un muet parle » puisqu'il s'exprime et communique. S'il en était autrement, comment parvient-il à nommer sa progéniture ? Aussi, « un grain de maïs grillé peut-il germer ». Impossible pour un esprit borné, cette pensée traduit la perte d'un avantage actuel au profit des relations qui produiront des merveilleux fruits dans le futur. Ces belles démonstrations veulent simplement renseigner que la recherche scientifique va au-delà des apparences et des connaissances vulgaires. Sans doute, nous permettent - elles de rendre compte de façon illustrée et métaphorique de « la position constructiviste » comme une position de « méfiance » par rapport aux évidences qui sont trompeuses, aux cadrages des objets qui sont des morceaux choisis et à la réalité des objets eux-mêmes qui sont les accords sociaux figés puisque la réalité sociale est construite. (KAMINSKI D, 2005 : 6). Nous alignant dans cette perspective, il sied de la soutenir par quelques illustrations empiriques permettant au lecteur de bien s'imprégner de la portée réelle de cette étude. « Il est 9 :00 heures, vendredi, 2 février au sous-commissariat de police. Le commandant est absent et le chef de poste fait son office. « Bakonzi bakeyi, bakonzi batikali » c'est le principe de continuité de service. » Monsieur OLALA porte plainte contre Mr. SANTOS, un transporteur grec de l'axe Lubumbashi - Kasenga pour la perte de son sac de fretins. Le chef de poste reçoit la plainte et envoie trois policiers. Sur le lieu, Mr. SANTOS qui se préparait pour voyager, il sollicita l'arrangement à l'amiable. Après négociation, OLALA accepta et une décharge fut établie et les deux parties offrirent 8000 FC aux policiers. » « 21 mars, vers 22 : 30, Mr KIBALAMETE qui rentrait chez-lui à Kinkaville, a été intercepté par les patrouilleurs. Après la fouille, ils lui ont pris 15.000 FC et 20 $ U.S. pour circulation à des heures tardives. » « Non loin du Bar « Joli Soir » NGOYA et KABEDI, vivant grâce à la prostitution, s'étant bagarrées pour un amant, les patrouilleurs qui passaient par là, les arrêtent pour les acheminer au commissariat. Chemin faisant, elles sont libérées après avoir payé l'une 5.000 FC et l'autre l'acte sexuel. » Sans doute, le lecteur non avisé trouvera-t-il ces actes anormaux, insensés et inacceptables. A ce propos, GOFFMAN E. sous la plume de VAN CAMPENHOUDT stigmatise que : « traiter un comportement comme insensé, c'est se placer dans l'impossibilité d'y comprendre quoi que ce soit » (2001 : 34) Sous cette perspective, l'agissement des policiers n'est insensé que dans la vision de la personne qui omet de le contextualiser. Restituées dans ce cadre, les pratiques paraissent adaptées aux circonstances et sont parfaitement normales et sensées ; Loin de nous l'idée de les vanter puisqu'il y en a qui clochent et sont pesantes, mais néanmoins contribuent au maintient fonctionnel et à la pérennité de la police comme organisation. Parmi elles, il y en a qui contribuent à l'harmonie sociale comme un modèle particulier de rendre justice en réconciliant les deux parties en situation problème, telles sont les pratiques à valoriser dans cette recherche. Sous d'autres cieux, il sied de comprendre et de retenir que les pratiques policières cessent d'être insensées et anormales lorsqu'elles sont saisies de l'intérieur, restituées et placées dans leur contexte. (VAN CAMPENHOUDT L., 2001 : 34) Du reste, étant à la fois sujet observant et observé, il faut savoir et comprendre que les recherches scientifiques, s'il y a les plus complexes, parmi elles, retenons celle où l'acteur analyse de l'intérieur sa propre institution, son propre métier ou profession. A ce sujet, ALBARELLO L., écrit : « Faire émerger un projet scientifique de recherche n'est pas chose aisée lorsqu'on est soi-même partie prenante de l'action. Que de pertes de temps et d'hésitation, que de découragement lorsqu'il s'agit de concevoir son projet, c'est-à-dire d'identifier précisément ce que l'on cherche » (2004 : 12) Sans doute, cette posture place-t-elle le chercheur entre le marteau et l'enclume. Faut-il dévoiler son métier ? La police étant une organisation discrétionnaire, la dévoiler, revient à décortiquer ses méfaits, c'est se dénuder. Faut-il s'investir au nom de la science ou se laisser voiler en ne présentant que ses intérêts et mérites ? Voiler ses méfaits au profit de ses mérites serait la production d'un savoir erroné et teinté de jugement des valeurs. Alors devant cette situation, comment contourner les contraintes liées à la déontologie et au secret professionnel ? A ce sujet, la voie indiquée est de prendre la distance en tant que chercheur professionnel avec l'objet de recherche par l'usage des méthodes et techniques appropriées de récolte des données. En révélant les pesants du métier, c'est une manière d'ouvrir une piste de réflexion pour les améliorer dans le cadre de réforme de la police. Au regard de la prise de distance de la posture du chercheur, ALBARELLO précise ce qui suit : « Le chercheur professionnel doit s'investir en acteur - chercheur pour prendre la distance avec les évidences » (2004 : 20 - 21). Nous alignant dans une perspective constructiviste, notre démarche consiste à mobiliser le cadre juridique à déconstruire pour construire la réalité sociale de la police à travers les règles du jeu entre « OPJ » et « APJ » dans l'exercice de leur travail judiciaire. C'est à ce juste titre qu'il nous revient d'épouser la pensée de FAGET. J. (2002 : 11-12) lorsqu'il évoque les expressions « la justice pénale et « la sociologie des organisations ». La première traduit l'ensemble des organes participant à la production symbolique et instrumentale des décisions de justice. Pour le cas échéant, la police est un de ces organes et en constitue la première instance ; la pratique de l'OPJ debout en constitue son avant-garde. FAGET précise que : « l'appareil judiciaire est un épicentre d'un jeu complexe de régulations sociales qui n'ont pas seulement une fonction répressive, mais d'organisation du contrôle social et de prévention » (2002 : 11) Quant à la sociologie des organisations, elle éclaire l'analyse de la police en termes d'un fonctionnement d'ensemble humains ordonnés et hiérarchisés en vue d'assurer la coopération des membres pour atteindre les buts définis. Ainsi, la connaissance des logiques et des modes opératoires de la justice pénale, indique l'auteur, ne peut donc se concevoir sans son appui. (2002 : 12). La présente recherche part d'une piste de réflexion dénichée à travers la thèse de Raoul KIENGEKIENE. En analysant la gestion de la « délinquance » des jeunes à Kinshasa, l'auteur démontre que la police dispose de plusieurs ressources du contrôle social. Il précise : « la norme juridique n'est qu'un aspect des normes et l'absence d'une loi ne signifie pas un vide juridique » (2005 : 31). L'auteur renchérit et stigmatise qu'il n'y a pas que la norme pénale comme mode de règlement des conflits, l'exigence de la réparation et de la conciliation en est aussi un (2005 : 53). Sur ce, nous épousons cette dernière perspective comme piste de recherche pour analyser le travail de la Police Judiciaire à travers les relations entre « OPJ » et « APJ ». De ces relations, découle la pratique de l'OPJ debout comme mode singulier de règlement des conflits. C'est à travers les différents jeux de pouvoir que l'APJ « renverse » l'ordre hiérarchique pour s'investir en « OPJ » que nous appelons dans le jargon policier « OPJ debout » qui régule les situations problèmes à sa portée dans l'ombre. Cette recherche se veut dans son analyse, considérer la police comme « organisation » et les policiers comme « acteurs sociaux » (DEBUYST. C, 1990 : 25- 26). Police comme organisation, celle-ci est une construction abstraite et idéale. Elle peut être façonnée, modifiée et adaptée par les acteurs qui entrent en jeu en interagissant aux buts définis par elle lorsqu'ils sont contraires à leur visée. Les policiers comme acteurs, ne sont pas de sujets passifs, mais actifs. C'est ainsi que dans leur manière d'être et de faire pour rendre justice, les policiers se comportent en acteurs sociaux ; ils tordent et torturent les missions, les lois et la procédure pénales. A ce sujet, interagissant dans la justice pénale, ils transforment les faits civils en faits pénaux et vice versa, selon les intérêts en présence. En plus, mobilisant les ressources et stratégies de couverture, selon les circonstances et les aspirations du moment, ils traitent et clôturent certains conflits à leur niveau sans se référer chacun à son chef hiérarchique. Sous d'autres cieux, ils arrivent aussi à inventer et à interpréter les infractions à leur guise et selon leur visée. C'est comme le cas de la circulation à des heures tardives érigée en infraction par les policiers patrouilleurs. Nous confirmons cette pensée avec Raoul KIENGEKIENGE lorsqu'il écrit : « il n'y pas que l'Etat qui produit les normes, les acteurs en produisent aussi ». (2005 : 31) Pour ce tandem « OPJ - APJ », la norme n'est pas seulement celle que le droit pose, les habitus et les coutumes s'imposent aussi. Dans le cas d'espèce, en tant qu'acteurs sociaux et sujets historiques, les policiers ont la marge de liberté et des manoeuvres pour réguler les situations problèmes. Tout dépend des « clients » en présence pour utiliser telle ou telle recette régulatrice. La pratique de l' « OPJ debout » comme nous mode régulateur des conflits, nous permet de réfléchir sur la finalité de la justice pénale. Nous avons tablé sur la recherche de DAYEZ B., qui éclaire à ce sujet que : « le jugement est à la fois vérité et contre vérité ... Il n'atteint jamais l'objectif que la loi lui assigne. » (1999 : 15) Le juge dit la justice, mais ne la rend pas. Le tribunal n'est pas un lieu de vérité, mais d'argumentation et de logique où prime la question de responsabilité de l'acte posé. La finalité de la justice est selon l'optique de cette recherche, la quête de l'harmonie entre individus vivant en société. Là où il y a des hommes, les problèmes ne manquent jamais. S'il n'y a pas un sage dans un village, précise l'adage « Luba Shankadi », même un aveugle peut s'ériger en arbitre pour trancher le problème. C'est dans cette orientation que la réflexion d'EBERHARD C. tombe à point : « c'est bien nos praxis qui doivent constituer le centre de notre attention et ne peuvent se comprendre que dans le grand jeu de nos vies. En dernière analyse, nos vies ne sont pas esclaves de systèmes quels qu'ils soient. » (2002 : 33). Ainsi, la pratique de l' « OPJ debout », comme nous l'avons dit, est-elle un avant-garde du passage de la réaction sociale diffuse à celle dite formelle dans le contrôle de la police judiciaire. Concernant la réaction sociale, chaque communauté conçoit la déviance selon la façon dont elle établit ses normes. Il est vain d'analyser les infractions aux règles sans avoir aucune idée du processus de leur production. La déviance elle-même consiste en conduite paraissant simplement dangereuses sans nécessairement l'être (LIANOS M. et DOUGLAS M., 2001 : 148). Sur ce, les policiers évoluent à la fois dans les normes formelles et informelles. Ces deux sphères organisationnelles se renforcent mutuellement. Les dernières sont imposantes et déterminent la pratique de l'OPJ debout. C'est grâce à ce sphères que la police fonctionne. En détacher une, revient à bloquer la machine policière et méconnaître l'acteur social. La visée est la recherche de l'essentiel à travers la pratique dit de l'OPJ debout. Pour ce faire, notre analyse n'a été rendue possible que par la manipulation des outils méthodologiques et techniques de recueil des données (MARY M., 1990 : 4). La méthode qualitative constitue le coeur de notre démarche. Elle permet une observation rigoureuse et approfondie de notre objet. Elle est doublée de l'entretien sémi-directif et l'analyse du contenu (QUIVY R. et VAN CAMPENOUDT L., 1995 : 194). Pour rendre intelligible notre discours, nous l'avons articulé autour de trois axes : - le premier est centré sur la construction de l'objet de recherche et sa mise en contexte ; - le deuxième cerne les dispositifs méthodologiques et le cadre référentiel ou champ d'analyse ; - le troisième et dernier axe présente l'analyse criminologique de la pratique de « l'OPJ debout ». Il expose les résultats de recherche. La conclusion générale met un terme à la présente. Elle récapitule les principaux résultats de cette recherche que nous considérons comme notre contribution scientifique. * 1 ALBARELLO, L., (2004 : 13). Les références bibliographiques sont signalées dans le corps du texte par le nom de l'auteur, suivi de la date de publication et de la page. La référence complète est donnée dans l'annexe bibliographique. |
|