2- Des
normes « officieuses » d'accès à
la santé à l'HLD
Les normes « officieuses » d'accès
à la santé sont tous ces préalables que les patients et
le personnel médical adjoignent aux normes officielles pour
rétablir l'équilibre sanitaire. En clair, il est ici question de
toutes les conditionnalités officieuses, illégales voire
informelles d'accès à la santé à l'HLD. Comme dans
toute structure, l'on est en présence de normes officielles et
officieuses. Les premières étant produites par le système
ou la tutelle (le ministre de la santé) alors que les secondes
résultent de l'inventivité des acteurs qui cherchent toujours
à contourner les premières où à passer à
travers elles (CROZIER M. et FRIEDBERG E., 2001 p17). L'analyse ou
l'observation des interactions entre patients et soignants vient ;
dès lors ; jeter un faisceau de lumière sur toutes ces
normes au nombre desquelles figure en bonne place la vente illicite des
médicaments.
· La vente illicite des
médicaments
L'une des prescriptions du code de déontologie
médicale est celle ayant trait à la vente illégale des
médicaments. En effet, le personnel soignant ne doit, sous aucun
prétexte, vendre aux patients des médicaments même si
ceux-ci serviront à leur prompt rétablissement. Cependant lors de
nos observations, nous avons constaté que cette pratique est bien
encrée dans les moeurs de cet hôpital. Le cas de figure qui suit
s'est déroulé au pavillon de la médecine et nous est
rapporté par un patient qui a requis l'anonymat, voici son propos :
Je suis hospitalisé depuis
près d'un mois dans cet hôpital. Ça veut dire que j'ai vu
beaucoup de choses que si je vous dis tout, ça va vous faire mal.
Parfois ; quand on te prescrit les médicaments, l'infirmier te dit
qu'ils sont chers et qu'il peut te trouver ceux qui sont moins chers quelque
part. comme moi je n'ai pas les moyens, j'accepte. Mais on m'a appris que ces
médicaments viennent du gazon (appellation donnée à la
partie du marché centrale de Douala où l'on vend des
médicaments). Il parait que certains médecins et infirmiers d'ici
là ont leurs livreurs et leurs vendeurs là-bas. Moi je veux
seulement guérir. (Entretien réalisé le
20-10-06 à l'HLD). En outre, ce propos vient s'ajouter à celui
qui suit :
Tout le monde sait que dans cet
hôpital on vend les médicaments, on détourne les patients.
Quand le médicament qu'on t'a prescrit ne se trouve pas à la
pharmacie, les infirmiers et parfois même le médecin te
conseillent d'aller l'acheter dans une pharmacie précise. Si ce n'est
pas ça, ils peuvent te proposer de te vendre le médicament que tu
recherches à un bon prix. C'est comme ça ici à
l'hôpital. L'an dernier, ma fille était gravement malade et je
l'ai amenée ici et on nous a hospitalisés. Comme je n'avais pas
suffisamment d'argent pour acheter les médicaments mon voisin de lit qui
était là, m'a indiqué une infirmière qui pouvait me
vendre des médicaments à un bon prix. Il m'a dit de ne pas
m'inquiéter pour la provenance. Elle était en rapport avec un
médecin de ce pavillon qui maîtrise son travail. J'ai suivi son
conseil, j'ai eu les médicaments et l'enfant s'est rétabli deux
semaines plu tard. Moi je trouve que ça nous aide, vous savez, tout est
difficile sans cet hôpital. (Entretien
réalisé le 20-10-06 avec M. NDONGO Jean à l'HLD).
Les discours tenus par les patients du pavillon de la
médecine générale de l'HLD en rapport avec la vente
illicite des médicaments nous plongent irrésistiblement dans
l'univers médical de cet hôpital. Nos enquêtes nous ont
révélés que bien des soignants sont effectivement en
rapport avec des vendeurs du « gazon ». Lesquels leur
envoient des patients inversement. SOCPA A. (op. cit.), le démontre
clairement dans ses travaux de recherches portant sur les pharmacies de rues
à Douala. La vente des médicaments montre à cet effet que
bien des patients sont ballottés entre le personnel soignant et
certains vendeurs du « gazon ».
Les raisons de cet état des choses sont diverses. Tout
d'abord ; l'on à la conscience professionnelle qui est
piètre chez ceux ou celles qui se livrent à ce genre de
pratiques. Ensuite, l'on peut indexer la sécurité sociale
inhérente à leur fonction ou à leur profession. Enfin
l'âpreté de l'existence est également à la base de
ces dérives et le fait que les médicaments ne sont pas à
la portée de toutes les bourses. En fait, selon le major des urgences de
cet hôpital, l'hôpital Laquintinie est l'hôpital le plus
sollicité par les classes sociales moyennes et pauvre. Ces
dernières sont nombreuses. Ce qui a pour conséquence un travail
énorme. Quant on fait le rapport demande/offre en prestations
sanitaires, on se rend compte qu'on fournit beaucoup d'efforts pour des
salaires qui ne sont pas toujours à la hauteur du travail abattu. C'est
pourquoi il affirme :
Ici aux urgences par exemple, nous sommes
toujours sollicités. Le jour comme la nuit. Parfois même je sens
comment mes collègues sont dépassés. Ce qui crée la
mauvaise humeur, qui se répercute sur la qualité de l'accueil des
malades, la déprime, le stress et le rançonnement des patients et
la négligence. Certes les équipes de relève sont bien
organisées mais le travail est éreintant.
(Entretien réalisé le 07-01-07 avec le major des
urgences de l'HLD en la personne de MANGA Simon).
Les remarques que fait ce major rejoignent l'analyse de PR
TIDIANE DIAKITE (1989, op. cit.). Selon lui, dans les hôpitaux publics
africains, le travail est immense au point où le personnel soignant
préfère se servir (extorquer de l'argent aux patients) au lieu de
servir. C'est ce que nous appelons le rançonnement des patients.
· Du rançonnement et de l'accaparement des
patients
Le rançonnement des patients est le fait pour un agent
de santé de cet hôpital d'exiger le paiement de l'argent pour un
service rendu à un patient. C'est le fait pour un patient de payer un
service pour lequel il ne devrait pas. En clair, il s'agit du paiement des
« dessous de table » et des
« bakchichs » pour
bénéficier des prestations sanitaires (DIAKITE T., op. cit. p60).
Ces pratiques, en effet, ont cours dans nombre d'hôpitaux publics
camerounais en général et dans ceux de la ville de Douala en
particulier. C'est ce qu'attestent ces propos recueillis sur le terrain :
Ici à l'hôpital Laquintinie, si
vous voulez être bien traité, vous devez toujours motiver les
infirmiers et certains médecins. Les tarifs varient selon le service
demandé et vont de 500F à 5 000F voire plus. Quand vous ne
payer pas, vous êtes délaissés et personne ne s'occupe de
vous normalement. On vous fuit même. On va dire que vous êtes un
mauvais patient. Mais quand vous motivez les infirmiers et voire les
médecins, on vous traitera de bon patient. (Entretien
réalisé le 27-01-07 à l'HLD avec le patient M. NDOMBA).
M. FOUMZIE nous a tenu un discours similaire. Il
déclare à en effet :
Je pense comme mon voisin de banc. L'argent
ici est roi dans cet hôpital. Si tu l'as quand tu es malade, s'il est
possible qu'on te fasse revenir à la vie après ta mort, ils
n'hésiteront pas. Regardez, nous sommes là depuis 8h du matin
pour attendre un médecin qui ne viendra peut être pas puisqu'il
est déjà 15h. Quand il va venir il faudra que j'apprête
5000F pour sa bière. Sinon il ne va pas honorer au rendez-vous qu'il va
me donner. Si tu veux qu'on s'occupe bien de toi ici, mets les moyens en
jeu. Ils s'occupent bien des patients qui paient. Nous les pauvres, on nous
maltraite partout même ici à l'hôpital. On dit qu'on lutte
contre la pauvreté. Moi je crois plutôt qu'on lutte contre les
pauvres. (Entretien réalisé le 27-01-07 aux
urgences de l'HLD)
Les discours analogues sont légions et la litanie est
presque la même. « Ils -le personnel soignant- nous
maltraitent ». En fait, le personnel soignant, pour un
nombre de nos informateurs, s'apparente à des bourreaux, à des
tortionnaires (DIAKETE T. op. cit.). Les raisons de cet état de chose
sont nombreuses et diverses. Nous nous ferons un plaisir de les
énumérer dans un chapitre ultérieur.
Pour ce qui est de l'accaparement des patients, elle est
renvoie au fait que certains médecins et infirmiers détournent
des patients qui se dirigent à l'hôpital Laquintinie pour les
conduire vers leurs cliniques privées dans les quartiers de la ville.
C'est la raison pour laquelle le phénomène de
« tâcleurs » prend de plus en plus de l'ampleur au
niveau de l'entrée de cet hôpital.
Les « tâcleurs » sont ces personnes
que tout malade, toute personne qui veut entrer à l'hôpital
Laquintinie rencontre à l entrée dudit hôpital et qui lui
propose les services un médecin exerçant en consultations
privées. Ces tâcleurs ont pour but d'orienter les patients vers
les cliniques privées de certains médecins et infirmiers de
l'hôpital Laquintinie. Lesquels médecins et infirmiers leur
versent des sommes d'argent qui sont fonction du nombre de patients qu'ils leur
ont amenés. C'est ce que déclare M NTOLE :
Mon travail consiste à conduire des
malades vers les pharmacies et les hôpitaux privés avec lesquels
je travaille. Après ma licence, comme le dehors est dur, c'est un ami
qui m'a initié ce métier pour que je puisse survivre. Ça
me rapportait de quoi survivre en payant ma chambre, mes vêtements, en
assurant ma nutrition et ma santé. Un malade que je conduis dans une
clinique privée équivaut à 1500 FCFA om à 1000Fcfa.
Soit le patient me motive, soit le pharmacien, le médecin et
l'infirmier le font. En fin de journée, ici je peux détourner 5
malades et parfois plus ou moins (Entretien le 02-02-07 à
l'entrée de l'hôpital Laquintinie de Douala) M. NGANKEU Blaise dit
pour sa part :
Mon travail de tâcleur me permet de
soutenir ma petite famille. Je travaille avec 2 médecins de cet
hôpital qui ont leurs cliniques. Quand je parviens à convaincre un
malade, je l'amène là-bas. Le transport est à la charge de
la clinique qui m'emploie. Je peux percevoir 500 voire 1000F par
médicament acheté par la malade que j'ai amené dans cette
pharmacie ou dans cet hôpital. C'est dans l'après midi qu'il est
plus facile de détourner les patients parce que à cette heure
tout le monde sait qu'il est difficile de rencontrer un spécialiste.
Lorsqu'ils n'ont pas pu le rencontrer, ils sont obligés de nous suivre.
Ce qu'ils oublient, c'est que nous travaillons en collaboration avec certains
médecins et infirmiers qu'ils recherchent. Ce qui veut dire que nous
connaissons leur emploi de temps. C'est pourquoi, les malades qui nous
connaissent et viennent rencontrer un médecin, viennent directement
nous voir avant d'entrer à l'hôpital (Entretien le
02-02-07) à l'entrée de `HLD)
Ce que l'on doit dire ; c'est que ces tâcleurs
nous ont semblé bien informés sur les allées et venues de
biens des médecins et infirmiers de cet hôpital, c'est la raison
pour laquelle nous avons cherché à vérifier leurs dires.
Il s'est avéré qu'ils maîtrisaient effectivement sinon
tout l'emploi du temps, tout au moins une bonne partie de l'emploi du temps de
ces médecins et infirmiers. Ce qui induit qu'ils sont manifestement en
relation et en intelligence d'esprit avec eux. Les anecdotes qui suivent
viennent infirmier nos allégations et vous a été
rapportées par les patients rencontrées à
l'intérieur de cet hôpital. M BAZOU Calvin
déclare :
Je suis là depuis le matin.
Jusqu'à 14h le docteur n'est pas encore là mais je suis sûr
qu'il est dans sa clinique personnelle. Mais allé à leur chef,
ils vous diront qu'ils sont empêchés ou qu'ils sont malades, en
tout cas ils ne vous diront pas la vérité. La conséquence
est que nous sommes obligés d'attendre et de toujours attendre. Quand
c'est trop, on va dans les cliniques privées et les cabinets
privés du sous quartier. (Entretien
du 03-02-07 au pavillon de la médecine de l'HLD). M. BATOUM
Honoré quant à lui affirme :
Dans cet hôpital, c'est vrai qu'il est
propre et bien entretenu mais le véritable problème est celui
des hommes qui travaillent ici. Ils pensent que la maladie se résume
seulement aux médicaments ou à l'achat des médicaments
dès que l'infirmier te remet une longue ordonnance il pensent que c'est
suffisant même s'il te brime, te fait patienter pour le rencontrer ou te
manque de respect. Ta vie même, il s'en moque surtout quand tu n'a pas
les moyens, ce qu'il faut, c'est d'abord payer les soins si tu veux survivre et
guérir. Sinon tu vas croupir ici, personne ne va se gêner, le
personnel de santé va passer tout à coté de toi sans te
demander ce qui ne va pas. Moi je pense qu'ici à l'hôpital
Laquintinie, le premier souci du personnel de santé n'est pas la prise
en charge des patients. Je vous assure que si maintenant je décide
d'aller dans la clinique du Docteur que je suis en train d'attendre je vais le
trouver là-bas. Et il va bien m'accueillir et bien me traiter. Mais ici
à l'hôpital il n'a pas le temps d'être
patient. (Entretien du 03-02-07 au pavillon externe de
l'HLD)
Nous comprenons dès lors que le service médical
public sert de moyen pour s'approprier les patients, lesquels qui, voulant
être bien traités sont obligés de se déverser chez
ces médecins et infirmiers détenteurs de centres de santé
privés. A l'hôpital, nos médecins viennent honorer leurs
matricules de la fonction publique. L'on joue sur deux fronts pour pouvoir
améliorer ses fins de mois. Cependant, étant donné qu'il
est difficile de suivre deux lièvres à la fois, l'on
préfère privilégier son investissement privé au
détriment de ses charges et de ses responsabilités envers
l'hôpital public. La conséquence en est que nombre de patients se
plaignent de rendez-vous non honorés, de lapins que des prestataires de
soins leur ont posés, de la négligence, du manque de
sérieux de leurs part. mais l'alternative qu'on leur donne est de se
rendre auprès des « tâcleurs » ou de suivre
les prestataires de soins dans leurs cliniques personnelles. Quand chacun
d'eux a ses patients fidélisés, ils sont bien traités tant
à l'hôpital que dan sa clinique. Mais les patients
« orphelins » ou sans « tuteur » sont
abandonnés à leur sort. Il apparaît à cet effet que
la relation thérapeutique est basée sur la connaissance des
proches parents, du client, et du patient et beaucoup plus sur le faits qu'ils
ont les moyens. De plus pour fidéliser son patient à sa clinique
privé, le médecin ou l'infirmier se montre patient
compréhensif et généreux. Bref ils deviennent subitement
un bon médecin ou infirmier et jouiront de ce fait d'une bonne
considération dans leur quartier et auprès de la population
morbide (L'KHADIR A. juin 1998). Ces notions d'estime et de
considération sont indispensables dans la relation thérapeutique.
Les prestataires de soins à toujours besoin de se sentir estimé,
valorisé et considéré au sein de la société
dans laquelle il vit. Bien des paramètres socioculturels
politico-économiques font en sorte que certains soignant
préfèrent exercer de façon autonome pour se faire un
capital social et économique important. C'est ce qu'affirme M. KALDJOP
Vincent, propriétaire d'un centre de santé privé au
quartier MAKEPE (Douala) en même temps infirmier à l'Hôpital
de District de la Cité des Palmiers :
Ce travail me permet de rencontrer une bonne
partie de population de cette ville. A l'hôpital, je rencontre plusieurs
personnes qui ont besoins de mes services tout comme ici au quartier. Quand je
ne peux pas les satisfaire à l'hôpital, je leur demande de venir
dans mon cabinet médical. Là j'ai tout mon temps et je peux
même soigner à crédit ou la patient va payer
progressivement. Mais ce n'est pas le cas à l'hôpital où il
y a toujours affluence, où le travail est énorme et où les
salaires sont bas. Ici par contre, je peux me faire un peu de sous dans avoir
à rendre compte à qui que ce soit, je préfère cette
activité parallèle au lieu de soutirer aux malades à
l'hôpital. Les gens de ce quartier me respectent, il m'aiment bien parce
qu'ils savent que je leur rend service.[...] Je dois vous avouer que ce n'es
pas facile de concilier les deux emplois du temps et de satisfaire tout le
monde. Mais on se bat comme on peut. C'est vrai qu'ici je peux réaliser
des profits en termes de relations et en termes de fonds.
(Entretien réalisé le 20-02-07 dans les locaux du
« cabinet médical de la Paix » sis à
MAKEPE-MATURITE).
Ce propos témoigne de ce que la relation
thérapeutique est tout aussi importante voire indispensable que les
médicaments dans les cliniques privées. Là, le personnel
médical est plus consciencieux parce que la fonction y est lucrative.
Mais lorsqu'il sort est à l'hôpital, cette relation
thérapeutique est minorée et l'on met beaucoup plus d'accent sur
l'achat des médicaments de la part des patients. Ceci parce qu'on sait
d'avance qu'ils ne seront pas à même de s'en procurer. La relation
médicale apparaît alors comme une pure perte de temps à
l'hôpital Laquintinie parce que le travail ne rapporte rien. Ce temps
qu'on va alors consacré au malade et qui ne rapporte peut être
utilisé dans le cabinet médical privé qui, lui ;
rapporte en terme de présent de relation, de devise et de
considération. D'où l'on comprend pourquoi bien des patients et
des soignants sont très souvent sur le pied de guerre.
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