2- De la tradipratique à Douala
La tradipratique encore appelée tradithérapie,
médecine traditionnelle, existe depuis belle lurette dans la ville de
Douala. Seulement, tous ceux-là qui adjoignent à cette
médecine une dimension ésotérique se retrouvent, mieux
sont localisés dans les banlieues de la ville Douala. Le propre ou la
particularité de la tradipratique est qu'elle allie la thérapie
à l'ésotérisme. Donc elle intègre une dimension
métaphysique, méta naturelle (HEGBA M. 1973). Les cas de figure
relevés par le prêtre DE ROSNY dans la ville de Douala des
années 1980-1992 illustrent notre propos (op. cit.)
En outre, la tradipratique, comme le dit AURENCHE E, inclue
une bonne dose de la dimension traditionnelle. Par conséquent,
le « Nganga » (DE ROSNY op.
cit. p30), peut faire appel aux forces occultes pour soigner son patient. Le
« Nganga » est le tradipraticien.
C'est l'appellation Duala du tradithérapeute-. A Douala, ils sont
nombreux et exercent leur métier dans leurs domiciles. (Pour ceux qui
ont préféré rester dans la ville). Ils jouissent
d'ailleurs d'une bonne réputation.
Le « Nganga »
est un homme tout à la fois admiré et craint. Admiré pour
les services inappréciables qu'il rend à ses patients. C'est
généralement un monsieur d'âge mûr, marié et
père d'enfants. Son attitude toujours paternaliste qu'il adopte face au
malade traduit son désir de susciter la confiance en celui-ci. C'est le
cas du « Nganga » que nous allons
appeler X pour des besoins d'anonymat. X est non seulement tradipraticien mais
également chef de quartier à Deido. X est comme un père
pour tous ses patients, lesquels
affirment : « Il nous écoute, il nous
conseille et il nous soigne. Parfois, quand j'ai des problèmes dans mon
foyer, il appelle ma femme et moi pour qu'on s'arrange »
(Entretien réalisé le 05-01-07 au quartier Deido au
domicile du chef de quartier).
Le tradipraticien est craint par ses patients parce qu'il
détient un pouvoir qui lui vient de ses aïeuls, de ses
ancêtres. En effet, le fait de pouvoir faire guérir un malade de
sa maladie entraîne immanquablement du respect de la part de celui-ci et
de ses proches. Dès lors, quand on adjoint à ce pouvoir, le
mystique, l'ésotérique, domaine non moins important pour le vrai
africain, il est certain que le tradipraticien sera admiré,
honoré et tout aussi craint. Ce qui lui permet sans doute de comprendre
ses malades et de les soigner. Les tradipraticiens sont nombreux dans la ville
de Douala. Il n'y a qu'à suivre les annonces qu'ils font lire aux
média de la place. Seulement, ceux qui font ces annonces sont beaucoup
plus phytothérapeutes que tradipraticiens ou pour emprunter un mot cher
à ERIC DE ROSNY, que
« Nganga ». il s'agit, entre
autres bien sûr ,du Dr Prince Aimé de New-bell, du Dr ABIDOU, du
Dr LOUMPIT et qui chacun dispose d'une pharmacie considérable dans sa
clinique. Ceux-là sont plus scientifiques que les Nganga ou les
« Mbock-mbock » (tradipraticien, chef traditionnel en
langue bassa du Cameroun).
Ces scientifiques de la médicine naturelle, de par ces
annonces, bénéficieront d'une aura considérable. Les
tradipraticiens par contre doivent très souvent se contenter du
téléphone arabe (Nouvelle qui se transmet de bouches à
oreilles). Ce qui fait penser au paradigme épidémiologique de
Henri MENDRAS (Rocher G, 1968). Selon ce paradigme, une innovation se
répand sur une population comme une épidémie de
choléra sur celle-ci ou comme un tâche d'huile sur une feuille
blanche. Ce qui veut dire que pour les
« Nganga », les patients
fidélisés vont parler de leurs prouesses aux personnes malades et
les leur conseillent. C'est ainsi ici qu'ils finissent par devenir
célèbres et jouissent aussi d'une bonne réputation.
L'assimilation de la réputation du tradipraticien
à l'expansion d'une innovation tient au fait que le processus est
sensiblement identique. Un tradipraticien qui exerce nouvellement dans la ville
de Douala et qui vient de s'y installer est vu comme un
« fait nouveau » par la
population de son quartier. Ceux des malades qui vont l'aborder en premier se
rapprochaient de ce que MENDRAS H. appelle « les
pionniers ». Ces derniers, ayant été
guéris par ce nouveau tradipraticien, s'en iront ne et ne manqueront
pas de parler de lui à leurs proches. Ceux-ci, lorsqu'ils tomberont
malades, se rendront volontiers chez notre tradipraticien. Ils constitueraient
ce que MENDRAS H. désigne par la notion de « la
majorité précoce ». Celle-ci va
également entrer en contact avec d'autres malades qui jusque-là,
avaient hésité à consulter le tradithérapeute pour
des raisons sommes toutes subjectives. Mais ayant vu les prouesses dudit
tradipraticien sur leurs proches, ils se décident alors de se faire
soigner par lui. Cette catégorie est appelée par Henri MENDRAS
« Les retardataires ».
La dernière catégorie, celle dite des
« réfractaires », est
celle qui abhorraient ou tenaient en piètre estime la médecine
traditionnelle et lui préféraient les hôpitaux. Cette
catégorie est caractérisée par son conservatisme.
Cependant, Henri dit qu'à force d'entendre parler de la médecine
traditionnelle et de ses vertus, ils se verraient obliger de
reconsidérer leur position, leur attitude envers elle.
L'évolution de la réputation du tradipraticien
que nous venons de faire et que nous avons assimilé au paradigme
épidémiologique de Henri MENDRAS, met en évidence les
étapes qui sous-tendent la construction et la consolidation de ladite
réputation. La réputation dont il est question ici, est la
résultante du type de rapport que ce Nganga aura au préalable
entretenu avec tous ses patients. C'est sans doute ce qui fait dire à
PIAULT C. (1975) que ce qui fait la force d'un thérapeute, c'est son
aptitude à comprendre et à réconforter ses malades dans
tous les rapports qu'il a avec eux. Selon lui donc, la médecine doit pas
seulement être somatique, elle doit s'occuper tout à la fois du
psychique et du somatique (le corps) du patient. C'est également un des
objectifs que s'efforce d'atteindre la médecine naturelle dans cette
ville.
|