§ II - Une vision hiérarchisée de la
société
Selon les critiques, l'Opus Dei chercherait tout simplement
à former des employés de confiance, hommes et femmes qui seront
dociles et travailleurs, en respect des principes de San Josemar'a. Cette
politique d'éducation déployée dans les quartiers pauvres
répondrait aussi à l'inquiétude de la droite qui cherche
des moyens pour s'imposer dans ces milieux, et tout simplement l'appétit
prosélyte de l'Îuvre 63
à . Il
est bien sür certain que l'Îuvre recrute là
ces futures numéraires auxiliaires, mais également des
collaborateurs qui seront techniciens, électriciens, etc, et qui
pourront travailler toute leur vie avec acharnement dans les entreprises qui
ont pour PDG des
62 SAID, Marcela, documentaire précité
63 MONCKEBERG, Maria Olivia, ouvrage précité, p
628
membres de l'organisation. Et ces mêmes hommes
d'affaires qui donnent leur argent à des institutions éducatives
de l'Opus Dei le font d'autant plus que selon eux, les employés
travaillent alors dans de meilleures dispositions, car ils savent qu'une partie
des revenus va à une Ïuvre de charité.
L'Îuvre développe par ailleurs une certaine
vision hiérarchique de la société. Après la sortie
de son documentaire, Marcela Sa ·d avait recu des courriels de la part
d'un numéraire chilien, Nicolás Ferrari, lui exposant ses
oppositions au travail réalisé, qu'il estimait partial et
malhonnête. Dans un de ces courriels, répondant à
l'accusation de paternalisme de Marcela, il écrit Ç Tu ne crois
pas à la sainteté, que nous pourrions peut-être tous
obtenir, tous ceux qui sont baptisés, comme l'a établi le Concile
Vatican II ? (...) Comment? A travers de l'apostolat que jour après jour
nous devons faire dans nos vies. (...)Si tout ca signifie que nous devons
adopter une attitude Ç paternaliste È, comme la mère se
comporte avec son enfant, ou comme le professeur se comporte
64
avec ses élèves, je le ferai alors avec beaucoup de
plaisir, ma chère Marcela . È
Nicolás Ferrari reconna»t donc qu'il existe une
hiérarchie dans la société, entre personnes
éclairées, touchées par la gr%oce de Dieu, qui savent que
l'Opus Dei est la bonne voie pour arriver à la sainteté, et le
reste des gens, toujours dans l'obscurité de l'ignorance, de laquelle il
faut les tirer par l'apostolat, jour après jour. Ce sont donc des
esprits encore fermés à Dieu, qu'il faut avant tout
éduquer, pour qu'ils puissent conna»tre ce bonheur. Pour Natalia
Izquierdo, numéraire, Ç Depuis que je suis entrée à
l'Opus Dei, je suis chaque jour plus heureuse, et j'espère que gr%oce
à mon influence, mes amis se rapprocheront de Dieu aussi65.
È Tous les numéraires prononcent ce genre de phrases typiques,
sorties tout droit de Ç Chemin È. Les numéraires
se pensent comme des anges sur Terre. Ils ont été appelés
par Dieu à former ce groupe restreint (plus de 70% des membres de l'Opus
Dei au Chili sont surnuméraires) qui guide sa vie selon les trois
Ç promesses È de pauvreté, d'obéissance et de
chasteté. Il n'y a pas de Ç vÏu È dans l'Îuvre.
Le mot est différent, mais le concept est le même.
Cependant, selon le Fondateur, personne ne doit
prétendre à une évolution de sa condition. Chacun est
né à sa place, selon le bon vouloir de Dieu, et chacun peut
accéder à la sainteté depuis la place qui lui est
attribuée, gr%oce au travail bien fait, qu'on offre à Dieu. Il
n'est pas nécessaire, donc, de chercher à élever sa
position.
Pourtant, force est de constater que, mis à part
quelques contre-exemples nécessaires pour la réputation de
l'institution, aucun numéraire ne vient d'un milieu
64 Voir annexe n° 8
65 Voir annexe n° 9
défavorisé, ni de quartiers
particulièrement pauvres de Santiago, par exemple. Au contraire, le
profil type du futur numéraire est un enfant ou adolescent de bonne
famille, intelligent et bien éduqué, chrétien, avec si
possible des parents possédant assez d'argent pour aider l'organisation
par des dons divers.
Katixa Gallegos habite avec sa famille à deux pas du
centre commercial Las Condes, dans un quartier très riche. La famille de
Coni Reyes vient, elle, de Concepci--n, et son père est directeur d'une
petite entreprise. Coni est venue à Santiago pour continuer ses
études dans une des plus prestigieuses universités,
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l'Université catholique de Santiago .
Des profils parfaits pour l'Opus Dei, qui recrute beaucoup
chez les étudiants, de préférence ceux qui ont les
meilleurs résultats, et qui, par leur acharnement au travail, peuvent
servir l'organisation une fois dans la vie active.
Selon Marcela Sa ·d toutefois, le profil type des
membres numéraires de l'Opus Dei n'englobe pas les personnes les plus
intelligentes, mais les plus travailleuses, celles qui s'efforcent beaucoup
pour atteindre le même but qu'une personne qui a des facilités. De
plus, ce sont des gens plus fragiles, car les plus forts sont capables de
résister au bombardement affectif qui précède et suit de
près l'entrée d'un nouveau membre67.
L'Opus Dei est donc, pour ses membres, une organisation
d'élus, qui doivent sauver le monde depuis le haut de l'échelle,
car même s'ils ne l'avouent pas, tous ces membres se sentent bel et bien
supérieurs au reste des gens, touchés par la
Vérité. Comme le décrit la revue secrète de l'Opus
Dei, Cr--nica, l'institution est Ç le reste saint,
immaculé, de la véritable Eglise, fondée pour sauver
papauté 68
l'Eglise et la È.
L'Opus Dei, dit le Père Ringliet, Ç ne vise que
l'élite de la société, ce qui est inacceptable pour notre
université. (É) La quête de la perfection a quelque chose
de très orgueilleux et malsain69 È. En effet, l'Opus
Dei, s'articule à travers une structure hiérarchique ou
l'autorité du leader symbolise la figure paternelle et oü tous les
membres sont subordonnés, regroupés entre frères
spirituels. Comme la figure du Fondateur n'est plus visible, ce sont un certain
nombre de dirigeants, à différentes
échelles, qui représentent cette figure paternelle,
qui donne un sentiment de sécurité aux membres70
.
L'organisation emploie donc une forme de sélection
mystérieuse, qui sépare même ses membres en
différents groupes. La revue Cr--nica, et sa version
féminine, par exemple, sont accessibles seulement aux numéraires.
Même les surnuméraires ne peuvent pas les consulter.
Toute une hiérarchie règne en fait sur l'Opus
Dei, aussi bien au Chili que dans les autres pays, et l'organisation des
établissements éducatifs de l'OEuvre ne fait que la
refléter. Sous des dehors de générosité, Msg
Escriva de Balaguer entretient des divisions déjà existantes dans
la société, qui se retrouvent dans l'organisation, sous une forme
encore plus figée, puisque les changements de statut, entre
numéraires auxiliaires et numéraires ou surnuméraires sont
interdits.
Tout le travail que fait l'Opus Dei dans le champ de
l'éducation est en grande partie lié au besoin intrinsèque
à toute organisation de se conserver elle-même, et de se
reproduire. Le but est donc de convaincre de nouveaux membres et de former tous
les individus qui composent l'OEuvre, dans un constant souci d'apostolat, pour
maintenir l'institution et lui permettre de grandir. Pourtant, l'institution
travaille, depuis son origine, à répandre ses valeurs et ses
préceptes dans la société entière. Dans les
établissements éducatifs de l'OEuvre, le public est loin
d'être exclusivement composé de membres ou de futurs membres, mais
le message que véhicule l'institution ne leur est pas
réservé. L'Opus Dei tente au contraire de l'étendre
à la plus large part possible de la société, par tous les
biais possibles.
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