Section 2 : Aperçu historique sur les rapports
entre l'exécutif et le législatif en RDC de 1960 à
2006
Ainsi que nous le disions, depuis l'accession de la
République Démocratique du Congo à l'indépendance,
le 30 juin 1960, son organisation politique est basée sur le
schéma classique de trois pouvoirs, à savoir : le Pouvoir
législatif, le Pouvoir exécutif et le Pouvoir judiciaire. En
règle générale, seules sont prises en comptes les
relations entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif pour
qualifier les régimes politiques. Même Montesquieu écartait
le pouvoir judiciaire de l'analyse. C'est en effet, par analyse des rapports
entre l'Exécutif et le Législatif, que le chercheur peut
distinguer un régime démocratique de celui qui ne l'est pas et
savoir qui détient le pouvoir dans l'Etat, qui l'exerce et comment
l'exerce-t-il.
Le rétrospectif historique nous amène à
parler de la loi fondamentale, la Constitution de Luluabourg, la Constitution
révolutionnaire de 1967 et enfin les différentes constructions
Constitutionnelles qui ont caractérisées la période de
transition de 1990 à 2006.
§1. La Loi fondamentale du 19 mai 1960
Sans rentrer dans l'histoire du Congo, de l'Etat
Indépendant du Congo au Congo Belge, nous pourrions retenir que la loi
fondamentale du 19 mai 1960 suivie de celle du 17 juin 1960 relative aux
libertés publiques, est une Constitution provisoire, une oeuvre belge et
un bouclier juridique de l'ordre colonial établi. Cette loi
reflétera la volonté des colons belges plutôt que celles
des Congolais réunis à la Table Ronde politique de Bruxelles de
janvier à février 1960.
DALOZE écrit à propos : << Un des
spectacles les plus insolites auxquels nous avons assisté dans notre
longue carrière journalistique a été celui de la Table
Ronde qui a abouti à l'indépendance du Congo Belge. Nos
délégués voulaient absolument que le futur Zaïre
copie nos mécanismes de démocratie Parlementaire et de
système électoral » 40. D'autres auteurs pensent
également que les structures établies par la loi fondamentale
étaient de type fédéral, bicaméral et
bicéphale ; c'est-à-dire que le pouvoir était
partagé entre les instances centrales et provinciales, entre une chambre
et un sénat et entre le Chef de l'Etat et le Premier Ministre. Ces trois
partages du pouvoir correspondaient aussi bien aux exigences des dirigeants
belges qui entendaient créer un Congo indépendant à
l'image de la Belgique, qu'à celles des délégués
congolais à la Table Ronde. Aucun n'osait prendre le risque d'instaurer
un régime fort dont il aurait pu être la première
victime41.
Le Chef de l'Etat est désigné au scrutin
indirect c'est-à-dire par le Parlement (articles 12 et 33). De ce fait,
il détient une légitimité biaisée, indirecte qui en
fait un personnage faible par rapport aux chambres qui l'ont
élu42. Pendant son mandat qui est transitoire, il jouit d'un
statut particulier. En cas de vacance, ce poste est pourvu provisoirement par
le Conseil des Ministres jusqu'à la convocation des chambres qui doivent
désigner un nouveau Chef d'Etat dans les trente jours de
l'événement ayant entraîné la vacance
(décès, démission, empêchement définitif,
etc.). Et si les chambres dans trente jours ne réunissent pas à
la majorité requise pour la désignation du Chef de l'Etat, les
fonctions de celui-ci sont provisoirement assumées par le
Président du Sénat.
40 DALOZE (J), << Zaïre et nous »
in La libre Belgique du jeudi 22 décembre 1988, p. 4
41 HUYBRECHTS (A) at alii, Du Congo
Zaïre, Bruxelles, CRISP, 1981, p. 112
42 KALUBA (D), Démocratie et
Développement au Congo Kinshasa, l'Harmattan, Kinshasa, 2010, p.
51
Le Gouvernement est, quant à lui formé du
Premier Ministre et des Ministres dont le mandat commence par le jeu de double
confiance (du Chef de l'Etat et des chambres). Il est chargé des
affaires courantes est doublement responsable, à la fois, devant le
Parlement qui peut lui retirer sa confiance et devant le Chef de l'Etat qui est
en droit, aussi de mettre fin à ses fonctions comme bon le
semble43.
Ensuite, une séparation simple et
équilibrée de pouvoir. Simple parce que chaque organe participe
aux fonctions de l'autre et équilibrée parce que chaque organe
peut aussi exercer des pressions décisives sur l'autre. La latitude
accordée au Parlement pour renverser le Gouvernement par les motions de
censure et la possibilité pour le Président de la
République de dissoudre les chambres d'où l'instabilité
politique et institutionnelle car tous les efforts fournis pour ramener le
calme et la stabilité n'ont pas pour autant épargner le pays
d'être victime des crises d'origine Constitutionnelle44.
Parmi ces crises il sied de rappeler les conflits au sommet de
l'Etat entre le Président Joseph Kasa-Vubu et son Premier Ministre
Patrice Lumumba qui se révoquèrent mutuellement. Nous sommes le 5
septembre. Le 13 septembre, les chambres réunies en assemblée
commune annulèrent les deux révocations et confèrent les
pleins pouvoirs au Gouvernement Lumumba. Le conflit a alors connu un
glissement. Il n'était plus confiné entre le deux Chefs de
l'exécutif. Il s'ouvrait également entre le Chef de l'Etat et le
Parlement. Le 14 septembre, usant des prérogatives Constitutionnelles
que lui conférait la loi fondamentale, le Président Kasa-Vubu
ajourna les chambres pour un mois (article 2).
43 LUMANU (A), Droit Constitutionnel et
institutions politiques, Syllabus de cours, G2 SPA et RI, UNIKIN, 2005-
2006, p. 131
44 Idem
Dans le cas de la révocation du Premier Ministre
Lumumba par le Président Kasa-Vubu, il y a lieu d'évoquer
l'inconstitutionnalité de cet acte. Car la pratique Parlementaire veut
en effet, qu'une fois le Gouvernement installé à la suite de la
double confiance, seules les chambres puissent mettre fin à son mandat,
à la suite de quoi, le Chef de l'Etat en prenant acte prononce la
révocation. Comme le Chef de l'Etat accompli le Premier acte (la
nomination du cabinet) la réciprocité Parlementaire exige que
ça soit les chambres qui aient les derniers actes45.
La révocation de Patrice Lumumba, son arrestation et
son assassinat, sans parler de la chasse aux lumumbistes, firent éclater
le pays en plusieurs pouvoirs dont deux se réclamant de la
légitimité nationale (Stanley ville et Léopoldville) et
deux embourbées dans le sécessionnisme (Sud Kasaï et
Katanga) 46.
Il fallait refaire l'unité du pays à travers la
réconciliation nationale. Pour y parvenir, on s'évertua alors
à organiser les conférences extra- Parlementaires de
Léopoldville, Brazzaville, Tananarive, Coquilhatville. Peine perdue, car
il fallu rouvrir le Parlement pour venir à bout de la grave crise
politique et Constitutionnelle qui minait le pays depuis d'une
année47.
C'était chose faite au mois de juillet 1961 où,
avec le concours de l'ONU, fut convoqué un conclave au siège de
l'Université Lovanium à Léopoldville pour réunir
les chambres lesquelles scellèrent la réconciliation nationale et
accordèrent leur confiance au Gouvernement Adoula.
Le deuxième conflit entre le Chef de l'Etat et le
Parlement éclate au grand jour lors de la session Parlementaire de
septembre 1963.
45 LUMANU (A), Op. Cit., p. 132
46 BOMANDEKE (B), Histoire Parlementaire
Congolaise, Kinshasa, FKA, 2007, p.15
47 Idem
En effet, lors de l'ouverture solennelle de la session de mars
1963, le Président de la République avait demandé aux
Parlementaires d'accorder la priorité à l'étude du
problème Constitutionnel. En application de ces voeux
Présidentiels, une commission mixte (Sénat/Chambre) avait
été instituée pour examiner le projet de Constitution
transmis au Parlement par le Gouvernement.
Malheureusement, le fonctionnement de cette commission s'est
avéré trop lent en raison de plusieurs séances publiques
des chambres qui se tenaient au même moment.
Etant donné cette lenteur dans l'avancement des travaux
de ladite commission Constitutionnelle Parlementaire, et évitant que la
session de septembre soit une « ordinaire », occasion pour les
députés et sénateurs de s'assigner, comme à la
session de mars, d'autres buts que l'étude du projet de Constitution, le
Président de la République convoque, dès le 26 août,
les chambres en assemblée constituante (Ordonnance n°184, du 26
août 1963, M.C. n°16, p.807).
La décision du Président de la République
fut mal accueillie par les Parlementaires. Voués exclusivement à
l'élaboration de la Constitution, les représentants du peuple se
voyaient privés de leurs droits et notamment celui de voter le budget et
de censurer le Gouvernement.
Tout en admettant le caractère « extraordinaire
» de la session, les Parlementaires voulaient en même temps
s'occuper de certains travaux ordinaires jugés aussi prioritaires. Par
ailleurs, pour eux, l'extraordinaires devait être hors session,
ordinaire, s'entend, et non pas se confondre avec cette dernière qui est
Constitutionnelle.
Les chambres envoyèrent alors une proposition de
procédure et de compromis au Chef de l'Etat le 18
septembre48. Par cette proposition, le Président de la
République se voyait notifier leur intention de poursuivre les travaux
ordinaires.
Il se produit une tension entre le Législatif et
l'Exécutif. Les conditions jugées défavorables pour ce
dernier et dans lesquelles se déroulaient les travaux Parlementaires
depuis une année, incitèrent le Chef de l'Etat à renvoyer
les chambres en vacances.
Et c'est le 29 septembre (cfr. coïncidence de date avec
le premier ajournement) qu'il porte ce coup au Parlement en clôturant
brutalement et sans ménagement, sa session de septembre et en
désignant une commission extra - Parlementaire pour l'élaboration
d'une nouvelle Constitution qui devra être directement soumis au
référendum (Ordonnance n°226 du 29 septembre, MC n°17,
p.842).
On notera que le premier ajournement de 1960 (pendant dix
mois) et ce deuxième en 1963 (sine die) par le Chef de l'Etat
étaient tous deux anticonstitutionnels (loi fondamental, article 70). De
plus, ils ont chaque fois provoqué des effets politiques
dévastateurs : l'éclatement du pays en plusieurs pouvoirs pour le
premier et l'insurrection armée généralisée pour le
second. Celle- ci conquit même les trois quarts du pays49.
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