2.2.2. Le point de vue des professeurs principaux
S'exprimant sur les facteurs déclencheurs de
l'absentéisme, les professeurs principaux interrogés estiment que
certaines leçons devraient être retirées pour permettre une
fluidité des
enseignements. Avec les larges effectifs, les cours
dispensés dans la soirée sont pénibles aussi bien pour les
enseignants que pour les apprenants. Les professeurs principaux ajoutent qu'ils
ne sont pas suffisamment motivés. Les conditions de travail et l'image
sociale du métier d'enseignant constituent des facteurs qui
démotivent le professeur. Or, le dévouement et la bonne humeur de
l'enseignant sont des éléments essentiels qui donnent l'envie
à l'élève de rester en classe. Selon Pp.5 :
« Un enseignant démotivé ne peut pas donner
le meilleur de lui même, et la communication pédagogique
comportera certainement des défaillances qui démotiveront
l'apprenant. De plus, l'enseignant ne constitue plus de nos jours un groupe de
référence pour les élèves. Peu
d'élèves s'identifient à leur enseignant avec le souci de
suivre toutes ses prestations.»
De ces propos, nous retenons que les conditions de vie et de
travail dérisoires, tout en démotivant les enseignants, affectent
également la motivation de l'élève à aller suivre
les cours. L'image sociale peu reluisante de l'enseignant ne favorise pas un
attachement de l'élève à son professeur dans le souci de
lui ressembler. C'est ainsi que les élèves
préfèrent le groupe des pairs avec tout le risque de
développer des comportements de travers.
L'un des professeurs principaux affirme qu'il existe une forte
corrélation entre absentéisme, délinquance,
déviance : les absentéistes sont souvent fugueurs, certains sont
violents. Pendant les mouvements de grèves d'élèves, les
absentéistes sont les plus agités et quelques uns cherchent
à se venger des enseignants. Dans ce sens, il faut signaler que les
absentéistes sont toujours présents les jours de mouvements et
sont parmi les premiers à organiser la violence. La plupart des
enseignants affirment que les élèves absentéistes sont
très audacieux et considèrent les surveillants et les professeurs
comme leurs adversaires. De plus, lorsqu'un élève fume ou
consomme de l'alcool ou autres stupéfiants, il n'est pas loin d'adopter
un comportement anti-scolaire, tel que s'absenter des cours. Certainement,
l'opinion des professeurs principaux diffère de celle des
élèves.
2.2.3. Le point de vue des élèves
D'une manière générale, les raisons qui
poussent les élèves à ne pas être en classe, en
dehors des problèmes de santé et des évènements
familiaux, sont le dégoût des cours, les cours non animés,
la cadence des devoirs, la paresse, etc. Plusieurs élèves ont
évoqué l'absence d'une bonne interaction entre enseignant et
élèves pendant la pratique de la classe. De ce fait, il ressort
que l'empathie, la compréhension, l'attention de l'enseignant envers les
apprenants constituent une condition préalable pour transmettre le
savoir. L'empathie et la bonne attitude de l'enseignant permettent de stimuler
les élèves à être assidus aux cours. C'est aussi le
point
de vue de ASPY et ROEBUCK (1990), dans « On n'apprend
pas d'un prof qu'on n'aime pas ". L'enseignant qui sait se montrer gentil
et compréhensif (sans perdre de vue le cours), joue sur le taux
d'absentéisme des élèves qui se réduit. Dans ce
sens, quelques élèves interrogés affirment qu'aucun de
leur classe ne souhaite rater l'heure de Monsieur X qui dispense des cours
intéressants et captivants dont tous les élèves ont de
l'intérêt à venir suivre. De même, plus de la
moitié des participants affirment que non seulement les enseignants font
beaucoup de digressions par rapport au contenu du cours, mais aussi ils
tiennent des propos qui frustrent les élèves. El.3 le
confirme en ces termes :
« Certains professeurs passent le temps à se
vanter et à raconter leur vie privée. Lorsqu'ils ouvrent
une parenthèse ils oublient qu'il faut la fermer sitôt et
continuer le cours. En plus, ils nous insultent et parlent sans pudeur
"
Ce genre de comportement provoque chez les
élèves le désintérêt du cours. Aussi, si les
élèves n'aiment pas certains cours de même que l'enseignant
qui l'assure, cela est tributaire de la manière dont le professeur
dispense son cours : il s'agit ici de la maîtrise du contenu du cours et
de l'art de transmettre le savoir. Par exemple, la diction du cours est non
seulement rapide, mais aussi le cours manque d'explication et d'exemples
concrets. Par conséquent, les élèves ont des mauvaises
notes à l'évaluation. Ces insuffisances font que certains
enseignants enregistrent plus d'absences que leurs collègues.
L'ennui, comme le rappelle VITALI (2000), est souvent
évoqué par les élèves : qu'il s'agisse d'expliquer
leur comportement indiscipliné, leur rébellion contre le
système scolaire, ou leurs absences. En effet, l'ennui favorise la
réticence à se soumettre à la discipline de
l'école. La majorité des élèves absentéistes
affirment sécher les cours de temps en temps sans être
convoqués systémiquement à la surveillance. Ce qui montre
bien que le système est loin d'être infaillible. La plupart du
temps, les parents ne sont pas au courant des absences de leurs enfants, car
ils ne reçoivent pas d'informations à ce propos. Même quand
il s'agit de venir justifier, les raisons avancées par les
élèves ne sont pas vraies.
Généralement, le manque d'intérêt
au cours revient le plus souvent comme motifs d'absence des
élèves. Des propos tels que, « aller en cours pour ne
rien faire. Je pense que j'ai vraiment mieux à faire " (El.4),
confirment que les élèves ne trouvent pas de sens à
l'école. Certains sont plus précis dans leur critique et ciblent
une matière, un enseignant ou encore un surveillant: El.8 :« Le
surveillant du 1er cycle est très méchant "
El.13 :« Le prof de Maths est vraiment trop nul, en plus
il ne nous laisse pas faire autres choses "
El.14 : « Moi je ne m'absente qu'aux cours
inintéressants, qui ne sont pas primordiaux, comme EPS ». Le
cas de ce dernier rejoint l'absentéisme choisi. L'élève
peut s'absenter pour s'occuper dans une autre discipline. C'est pourquoi, il
est opportun de noter que derrière ces absences se dessine souvent une
véritable stratégie de l'élève qui souhaite avant
tout la rentabilité : il cherche à préparer une
évaluation programmée ou à se rattraper dans une
matière à coefficient élevé.
El.8 : « je voulais `'m'avancer» dans mon
cours de PC. »
El.13 : « j'avais un cours particulier.»
El.14 : « j'avais trop de cours à réviser,
car on a devoir jeudi soir et samedi matin ».
Il ressort que le problème de la hiérarchisation
des coefficients des disciplines enseignées peut être source
d'absentéisme : l'élève privilégie une
matière au détriment d'une autre au regard de son fort
coefficient. De plus, ces remarques mettent l'accent sur le problème
d'organisation de la vie scolaire. Effectivement, il n'est pas souhaitable
qu'une classe ait deux à trois devoirs dans la semaine. De même,
un emploi du temps mal équilibré conduit souvent les
élèves à `'boycotter» le dernier cours, méme
s'il est important. De manière générale, les emplois du
temps dans nos lycées et collèges privilégient le
professeur et non l'élève, l'aspect apprentissage du temps de
travail scolaire n'étant pas assez pris en compte.
Par ailleurs, Il faut distinguer les problèmes
liés à l'histoire personnelle des élèves et les
problèmes engendrés par une scolarité que beaucoup jugent
facteur d'angoisse, de stress, voir de dépression. Ainsi, HUERRE et
LEROY (2006) explique que l'absentéisme est un phénomène
de société qui suscite des inquiétudes et apparaît
comme une transgression normale, comme le symptôme d'une pathologie. Il
existe dans nos sociétés ou dans certaines familles
d'énormes difficultés qui entravent l'apprentissage scolaire des
enfants. Cela va de l'éclatement ou de l'inexistence de la cellule
familiale à l'irresponsabilité des parents. Les
élèves absentéistes interrogés se sont bien
exprimés sur la question en apportant plus de détails. Le
répondant El.15 traverse une crise identitaire et souffre de
manque d'affection parentale :
« Mes parents ne sont pas au courant de mes absences. Mon
tuteur ne connaît pas l'emploi de temps. Comme je suis en 2nd,
il pense que je n'ai pas cours. Il semble que mon père est
décédé, je ne l'ai pas vu. Ma mère seule m'a
élevé. Dans ma vie, je ne connais personne d'autre en dehors de
ma mère. Je ne connais point mes oncles paternels, je ne sais pas
où ils se trouvent. J'ai demandé à connaître les
frères ou la famille de mon père, personne ne me les a
indiqués. Ma mère m'a confié à un ami simple
qu'elle a rencontré lors d'un voyage en Côte d'Ivoire.
Aujourd'hui, elle est mariée à BOBO, mais son époux ne
m'aime pas ; il me déteste et fait la différence entre les
enfants. Je ne vois aucune direction à ma vie. Je me demande chaque fois
: qui suis-je ? Que vais-je devenir demain ? Aller à l'école, ce
n'est que retrouver des amis ».
Cet élève en difficulté donne des raisons
qui le tourmentent et porte un coup à son assiduité. Il a besoin
de connaitre ses parents pour avoir un sens à sa vie et à
l'école. Lorsque aller à l'école ne correspond qu'à
la simple retrouvaille d'amis, l'assiduité aux cours n'est point
une préoccupation. Tous les enfants ont besoin de
connaître leurs parents, même si les géniteurs sont
décédés. C'est en se sentant aimé et membre d'une
famille connue qu'il peut développer un sentiment d'appartenance, de
l'estime de soi, et de l'autoréalisation. Il appartient à
l'administration scolaire d'apporter un soutien moral à de pareils
élèves qui ne trouvent aucun sens à la vie ni à
l'école.
Lorsque l'enfant a une famille bien identifiée, il a
besoin d'être aimé et de voir les promesses se réaliser.
L'irresponsabilité de certains parents les conduit à ne pas tenir
leurs promesses. S'il est nécessaire de galvaniser les enfants en leur
promettant des cadeaux de réussite, il est aussi impératif de les
honorer afin qu'ils ne soient pas déçus au point de ne trouver
aucun sens à l'école. Le répondant El.16 exprime
ce qui le démotive et le rend absentéiste aux cours :
« Mes parents ont divorcé mais mon père est
au courant de mes absences, puisqu`il me voit à la maison. Je peux
être assidue en classe à condition que mon père
m'achète un nouveau vélo. Il m'a promis au CM2 que si j'obtiens
mon CEP, qu'il m'achèterait un vélo. Il ne l'a pas fait. J'ai
continué à marcher. Arrivée en quatrième il a pris
le vieux vélo de mon grand frère me remettre, et ce, parce qu'il
partait à l'université. En troisième il m'a promis que si
je suis admise au BEPC, il m'achètera un nouveau vélo. Je me suis
battue pour avoir le BEPC au premier tour et l'entrée en seconde. Je
croyais qu'il allait être heureux et tenir sa promesse, mais rien.
Pourtant il construit une maison en étage qu'il couvre avec des carreaux
et met du pavé dans la cour. »
Il ressort de tels propos que certains parents n'encouragent
pas leurs enfants dans une perspective de bonne fréquentation et de
réussite scolaire. Non seulement ils ne tiennent pas leurs promesses,
mais aussi, ils ne cherchent jamais à voir les bulletins des enfants.
Lorsque la famille est démunie, il est très aisé de
comprendre en partie le père qui n'arrive pas à honorer ses
promesses. L'achat du moyen de déplacement procure d'une part la
satisfaction morale à l'enfant, et d'autre part lui permet d'être
ponctuel à l'école. En fait, il faut reconnaître que le
divorce ou la séparation des parents affecte indéniablement les
enfants.
En plus des raisons ci-dessus évoquées, certains
élèves relèvent les difficultés de restauration qui
tourmentent la plupart d'entre eux. L'élève est motivé
à venir à l'école, s'il est convaincu qu'il aura à
manger à midi. Ce n'est pourtant pas le cas chez plusieurs
élèves. Le répondant El.17 dit : «
lorsque mes vivres finissent, je ne peux pas venir à l'école. Je
retourne au village ou je vais travailler sur des chantiers. Il y a aussi le
problème de frais de scolarité. Mon père a plusieurs
femmes, et les autres frères ne veulent pas qu'il investisse de mon
côté ».
Aujourd'hui, force est de constater que certains
élèves venant des villages se regroupent pour habiter ensemble.
N'ayant pas eu de tuteur pour eux, leurs parents ont été
obligés de louer des maisons et ces enfants deviennent du coup leur
propre chef de ménage. Ces élèves qui sont à leur
propre charge, n'ont parfois pas à manger. Par conséquent, ils
vont faire de petits boulots pour survivre ou bien ils retournent au village
pour chercher de l'aide. Enfin, il y a des élèves
qui évoquent des difficultés d'apprentissage dans
certaines matières qu'ils n'aiment pas. Cela a aussi un lien avec les
absences.
L'entretien avec les élèves absentéistes
nous a permis d'avoir des réponses approfondies sur les raisons de
l'absentéisme. Cependant, il est nécessaire aussi de
connaître l'opinion des chefs d'établissements, des encadreurs
pédagogiques et responsables d'éducation.
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