Section 3 : L'obligation de coopération loyale
des États et l'application du droit de la concurrence au pouvoir
normatif
Si l'activité de l'État et de ses
démembrements peut être soumise au droit de la concurrence, selon
l es modalités particulières que nous venons d'étudier, il
n'en reste pas moins que l'État est redevable, à l'égard
des institutions communautaires, d'une obligation de respect du droit
communautaire et donc des dispositions communautaires relatives à la
concurrence lorsque celles-ci sont applicables.
En effet, l'État est tenu de respecter le droit
communautaire. En conséquence, même si une activité n'est
pas en elle-même soumise au droit de la concurrence, il n'en reste pas
moins que l'État (et les personnes publiques) doit respecter le droit de
la concurrence communautaire, notamment dans les actes qu'il édicte.
La Cour de Justice a développé une analyse
consistant à rendre opposable le droit communautaire de la concurrence
à la loi de tout État membre42. En effet, même
si les dispositions pertinentes du traité contiennent des obligations
à la charge des personnes participant à une activité
économique, la Cour indique qu'Ç il n'en est pas moins vrai
aussi
41 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 24 octobre 2002, Aéroports de Paris,
C-82/01.
42 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 16 novembre 1977, SA G.B. -Inno-B.M. contre Association
des détaillants en tabac (ATAB), 13/77.
que le traité impose aux États membres de ne
pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d'éliminer
l 'effet utile>> de ces dispositions. Méme si le droit de la
concurrence n'est pas applicable en tant que tel, l'État est donc tenu
de le respecter dans les normes qu'il édicte.
La justification de cette obligation s 'est tout d'abord
appuyée sur l'ancien article 10 du Traité instituant la
Communauté Européenne qui obligeait les États à
<<s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la
réalisation des buts>> du traité, lu en combinaison
avec les articles prohibant les ententes et les abus de position dominante. Cet
article n'a pas survécu à la naissance du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne. Néanmoins, l'actuel article
4.3 du Traité sur l'Union Européenne est rédigé
comme suit: << En vertu du principe de coopération loyale, l
'Union et les États membres se respectent et s 'assistent mutuellement
dans l 'accomplissement des missions découlant des traités. Les
États membres prennent toute mesure générale ou
particulière propre à assurer l'exécution des obligations
découlant des traités ou résultant des actes des
institutions de l'Union. Les États membres facilitent l 'accomplissement
par l 'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de
mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union
>>. Des lors, il semble possible de se baser sur ce principe de
coopération loyale, combiné avec la prohibition communautaire des
ententes (article 101§1 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne) pour opposer le droit de la concurrence communautaire aux
normes contraires des États. Ainsi, l'État est tenu de respecter
le droit de la concurrence communautaire dans l'édiction de sa
législation au sens large.
L'opposabilité aux États des normes
communautaires de concurrence a permis à la Cour de Justice de l'Union
Européenne de sanctionner un certain nombre de législations
allant à l'encontre de l'interdiction des ententes anticoncurrentielles.
Une telle sanction est néanmoins soumise à la réunion de
deux conditions: une entente doit exister au sens de l'article 101§1 du
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne et cette
entente doit
43
avoir été créée ou ses effets
renforcés par une disposition du droit national . Ainsi, la Cour a
sanctionné la législation italienne imposant à une
organisation professionnelle un tarif unique aux expéditeurs en
douane44.
43 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 1er octobre 1987, ASBL Vereniging van
Vlaamse Reisbureaus, 311/85.
44 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 18 juin 1998, Commission contre Italie,
C-35/96.
L'intervention de l'État constitue-t-elle un fait
justificatif de l'entente? une autre affaire concernant l 'Italie
45
Dans , la Cour a développé un véritable
mode
d'emploi à l'attention des autorités de
concurrence et des juridictions nationales pour appréhender une
législation créant une entente ou renforcant ses effets. Outre
les aspects concernant la possibilité de sanctionner les entreprises
soumises à ce type de législation, la Cour indique clairement aux
autorités nationales qu'elles ont <<l'obligation de laisser
inappliquéeÈ toute norme nationale contraire au droit de la
concurrence communautaire. Cette obligation a été très
bien acceptée en droit interne, notamment par la Cour d'Appel de Paris
qui en faisait déjà application46, et par le Conseil
de la Concurrence qui en a tenu compte la même année dans le cadre
du prononcé mesures conservatoires 47
de .
Cette obligation trouve même à s'appliquer
lorsque l'État délègue son pouvoir normatif à une
institution, notamment à un organisme professionnel ou directement aux
entreprises elles-mêmes48. La Cour indique à cet effet
que l'opposabilité du droit de la concurrence s'applique
également lorsque l'État <<retire à sa propre
réglementation son caractère étatique en
déléguant à des opérateurs privés la
responsabilité de prendre des décisions d'intervention en
matière économique È.
Faute de respecter cette exigence, l'État s'expose
à deux types de procédures.
Tout d'abord, il peut faire l'objet d'une procédure de
manquement devant les juridictions communautaires, afin de le contraindre
à se mettre en conformité avec le droit de la concurrence
communautaire. Le premier arrêt de manquement pour violation du droit
49
communautaire de la concurrence a été rendu par la
Cour en 1996. Si l'État persiste dans sa violation, il peut être
soumis à des sanctions pécuniaires.
D'autre part, l'État peut voir sa responsabilité
extracontractuelle engagée en vertu de la jurisprudence
Francovich50. Il s'agira alors pour des personnes
privées s 'estimant lésées par la violation du droit
communautaire de la concurrence commise par l'État de réclamer
réparation civile devant les juridictions nationales
compétentes.
45 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 9 septembre 2003, Consorzio Industrie Fiammiferi
(CIF), C-198/01.
46 Cour d'Appel de Paris, 7 février 1994,
CMS contre France Télécom.
47 Conseil décision n°03 -MC-03 1
er
de la Concurrence, du décembre 2003 relative à une
demande de mesures
conservatoires présentée par la
société Towercast à l'encontre de pratiques mises en
Ïuvre par la société TéléDiffusion de France
(TDF).
48 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 21 septembre 1988, Van Eycke, C-267/86.
49 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 18 juin 1998, Commission contre Italie,
C-35/96.
50 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 19 novembre 1991, Andrea Francovich et Danila Bonifaci
et autres contre Italie, C-6/90 et C-9/90.
Loin d'être absout du respect du droit de la
concurrence, l'État est donc au contraire fortement contraint au respect
des exigences communautaires en termes de concurrence. Non seulement les
dispositions contraires qu'il édicte peuvent être laissées
inappliquées mais il encourt également la sanction des
autorités de l'Union Européenne et sa responsabilité peut
être mise en jeu. Le droit de la concurrence est donc fortement
contraignant pour l'État, même si une exception est
envisagée par le traité en ce qui concerne les services
d'intérêt économique général.
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