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L'intervention de l'état constitue-t-elle un fait justificatif de l'entente ?

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par François VOIRON
Paris II Panthéon Assas - Master II Droit européen des affaires 2010
  

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§2 : Les difficultés spécifiques liées au principe de séparation des
ordres juridictionnels

En vertu du principe de séparation entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire, l'ensemble des actes administratifs émis par des personnes publiques doit être soumis au juge administratif. Se pose donc le problème de l'articulation entre cette compétence exclusive et l'application du droit de la concurrence. Cette question ancienne a subi d'importantes évolutions depuis une vingtaine d'années.

La question s'est en premier lieu posée à propos d'un acte de délégation de service public de l'eau de la Ville de Pamiers, qui avait entrainé l'éviction d'un concurrent . Ce dernier porta l'affaire devant le Conseil de la Concurrence, qui refusa néanmoins sa compétence, estimant que l'acte en question ne pouvait constituer une activité économique28. La Cour d'Appel de Paris rendit un arrêt en sens inverse, estimant que la

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commune était intervenue sur le marché par le biais du choix d 'un prestataire(ce qui
aurait pour effet d'élargir considérablement le champ d'application du droit de la
concurrence). Le Tribunal des Conflits est venu calmer les ardeurs de la Cour d'Appel de

27 Conseil de la Concurrence, avis n°08-A-13 du 10 juillet 2008 relatif à une saisine du syndicat professionnel UniCiné portant sur l'intervention des collectivités locales dans le domaine des salles de cinéma.

28 Conseil de la Concurrence, décision n°88-D-24 du 17 mai 1988 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires émanant de la Société d'exploitation et de distribution d'eau (SAEDE).

29 Cour d'Appel de Paris, 30 juin 1988, Ville de Pamiers .

Paris en estimant que l'organisation d'un service public n'était pas constitutif d'une activité économique et donc que le choix d'un prestataire n'était pas en mesure de jouer sur la concurrence30. En effet, pour le Tribunal des Conflits, l'organisation du service public concerne à la fois le choix du mode de réalisation (délégation, gestion directeÉ) et le choix du prestataire lorsqu'une délégation est retenue. Dès lors, le contrôle de l'acte administratif ressort de la compétence des juridictions administratives et non pas du Conseil de la Concurrence. Néanmoins, de manière assez ambiguë, le Tribunal des Conflits a décidé que le juge administratif saisi de la légalité d'un tel acte pouvait effectuer son contrôle en vertu des normes nationales de concurrence. C'est donc davantage la compétence du Conseil de la Concurrence qui est écartée plutôt que l'application du droit de la concurrence en elle- même (qui doit se faire par le biais des juridictions administratives).

Néanmoins, le Conseil d'État a refusé dans un premier temps d'intégrer le droit de la concurrence au bloc de légalité servant de référence dans le contrôle des actes

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administratifs 31. Cette solution a été abandonnée en 1997 . Le Conseil d'État n'a toutefois pas reconnu ni l 'applicabilité du droit de la concurrence aux actes administratifs ni l'existence d'une activité économique. Il est donc préférable de parler d'opposabilité du droit de la concurrence plutôt que d'applicabilité. Il ne s'agit en effet pas de soumettre l'acte administratif en lui-même au droit de la concurrence mais bien d'obliger la personne publique à prendre en compte les effets sur le marché de sa décision. Le juge administratif a donc pour rôle de veiller à l'effet utile des règles de concurrence en analysant concrètement les effets des décisions des personnes publiques.

Cette jurisprudence a donné naissance aux concepts d 'abus de position dominante automatique et d'entente automatique qui permettent de sanctionner un acte administratif induisant un e pratique anticoncurrentielle pour les entreprises auxquelles il s'adresse. La notion d'entente automatique dégagée par le Conseil d'État33 est donc particulière. En effet, l'acte en cause ne doit pas rendre automatique l'entente, faute de quoi l'autonomie des entreprises est anéantie et la pratique n'est pas sanctionnable, mais doit induire une entente mise en Ïuvre par les entreprises, favoriser sa conclusion ou renforcer ses effets. Ainsi, cette notion a permis d 'annuler des décisions d'organismes professionnels auxquels l'État

30 Tribunal des Conflits, 6 juin 1989, Société d'exploitation et de distribution d'eau (SAEDE) dit Ç Ville de Pamiers È.

31 Conseil d'État, Sous-sections réunies, 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux.

32 Conseil d'État, Section, 3 novembre 1997, Société Million et Marais.

33 Conseil d'État, Assemblée, 24 mars 2006, KPMG.

prenait 34, 35

part mais également des contrats publics ou des décisions de police

administrative.36

En matière de gestion du domaine public, le Conseil d 'État est même allé plus loin en reconnaissant l'applicabilité complète du droit de la concurrence37. En ce cas, l'illégalité de la décision administrative ne provient pas du fait qu'elle puisse encourager à une pratique anticoncurrentielle mais bien de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle mise en Ïuvre par le gestionnaire du domaine public par le biais de la décision administrative en cause. En effet, il semble que le Conseil d'État considère que le gestionnaire du domaine public puisse être en position d'offreur sur un marché économique dès lors que les entreprises exercent une activité économique sur le domaine public. Il existerait dès lors un marché des concessions d'occupation du domaine public oü le droit de la concurrence a vocation à s'appliquer, comme l'a reconnu le Conseil de la Concurrence38.

De son côté, le Conseil de la Concurrence a dégagé le concept particulier de détachabilité pour s 'intéresser aux comportements des personnes publiques détachables

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d'un acte administratif même si elles y sont liées . Les comportements des personnes publiques, dès lors qu'ils sont détachables des prérogatives de puissance publique qu'elles exercent, sont soumis au droit de la concurrence et de ce fait au contrôle du Conseil de la Concurrence. Le Tribunal des Conflits 40 a accepté une notion restreinte de détachabilité en envisageant largement les activités indissociables des prérogatives de puissance publique et donc soumises à la simple opposabilité du droit de la concurrence devant le juge administratif. La détachabilité permet donc de maintenir un contrôle des activités économiques des opérateurs disposant de prérogatives de puissance publique, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne n'appliquant le droit de la

34 Conseil d'État, Section, 27 juillet 2001, CAMIF.

35 Tribunal administratif de Nice, 9 novembre 1998, Préfet des Alpes-Maritimes contre ville de Nice (pour constitution d'un lot unique lors d'un marché public) et Tribunal administratif de N»mes, 21 avril 2008, Société Durand et autres (même problème pour une délégation de service public).

36 Conseil d'État, 7 décembre 2005, Société Ryanair.

37 Conseil d'État, Section, 26 mars 1999, Société EDA.

38 Conseil de la Concurrence, décision n° 03-D-09 du 14 février 2003 relative à la saisine de la société Tuxedo relative à des pratiques constatées sur le marché de la diffusion de la presse sur le domaine public aéroportuaire.

39 Conseil de la Concurrence, décision n°90-D-20 du 12 juin 1990 relative à des pratiques relevées sur le marché de la banane.

40 Tribunal des Conflits, 18 octobre 1999, Aéroports de Paris.

concurrence qu'aux activités ne faisant pas intervenir de prérogatives de puissance publique41.

La séparation des ordres de juridiction fait donc obstacle à l'apparition d'une définition claire du champ d'application des dispositions nationales relatives à la concurrence. Néanmoins, il est possible de voir que le droit de la concurrence étend au maximum son champ d'application, et que les domaines échappant à son empire sont restreints et tendent à s'amenuiser.

A l'instar du droit communautaire, l'intervention de l'État ou plus largement d'une personne publique n'est donc pas en elle-même un obstacle à la soumission aux règles de concurrence. Ainsi, le Conseil d'État, dans son rapport pour 2002, indique que Çdroit communautaire et droit interne convergent pour soumettre les activités économiques des personnes publiques au droit de la concurrence È.

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