Partie I : L'applicabilité de la prohibition des
ententes à l'État
La première question à se poser pour
déterminer si l'intervention de l'État constitue un fait
justificatif de l'entente est celle de savoir si le fait que l'État
intervienne dans un domaine contredit l'application normale de la prohibition
des ententes.
Pour y répondre, il est indispensable de s'interroger
sur les modalités de détermination du champ d'application de la
prohibition des ententes et donc plus largement du droit de la concurrence,
à la fois d'un point de vue communautaire (Section 1) et d'un point de
vue national (Section 2), pour déterminer si l'État peut
être un sujet de droit de la concurrence.
De plus, il convient de déterminer si l'État,
même lorsque ses activités échappent à
l'interdiction des ententes, n'est pas tenu d'une obligation
générale de respect du droit de la concurrence communautaire en
vertu de son obligation de coopération loyale vis -à-vis de
l'Union Européenne (Section 3).
Enfin, il semble nécessaire de vérifier si les
conditions spécifiques applicables aux services d'intérêt
économique général permettent de faire échapper
à la stricte application du droit de la concurrence certaines
activités particuliéres identifiées par l'État
(Section 4).
Section 1 : La notion d'entreprise en droit
communautaire
L'applicabilité de l'article 101§1 du
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne est
conditionnée à l'existence d'une entreprise. Néanmoins, la
notion d'entreprise revêt une acceptation autonome en droit
communautaire, détachée des conceptions nationales5
pouvant exister en droit des sociétés ou en droit fiscal. La Cour
de Justice de l'Union Européenne estime en effet qu'une entreprise est
une « organisation unitaire d'éléments personnels, ma
tériels et immatériels rattachée à un sujet
juridiquement autonome et poursuivant de façon durable un but
économique déterminé »6.
Cette définition particuliére de l'entreprise ne
s'attache donc pas aux critéres liés à la structure de
l'entité mais bien à l'existence d'un but ou d'une
activité économique
5
Cour de Justice des Communautés Européennes, 30
janvier 1985, BNIC contre Clair, 123/83.
6 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 13 juillet 1962, Mannesmann AG contre Haute
Autorité de la Communauté européenne du charbon et de
l'acier, 19/61.
7
exercée au sein de l'entité en cause , et
possède en cela un caractère fonctionnel. Du fait de ce
caractère fonctionnel, les activités de l'État et de ses
démembrements ne sont pas par principe exonérées du
respect du droit de la concurrence.
L'existence d'une entreprise est subordonnée à
l'exercice d'une activité économique. Cette notion a
été définie par la jurisprudence communautaire comme une
<< activité consistant à offrir des biens ou des
services sur un marché donné >>8. Le
caractère général de cette définition a
obligé les juges de Luxembourg à préciser les contours de
la notion et à en définir les modalités
d'appréciation (§1) ainsi qu'à exclure certains types
d'activités liés à l'intervention de l'État du
champ d'action du droit de la concurrence ( §2).
§1 : L'appréciation fonctionnelle de l'existence
d'une activité économique
En raison de son caractère fonctionnel, la notion d
'activité économique ne tient pas
9
compte de l 'existence d'une personnalité juridiqueet
s'applique aussi bien aux personnes
10
morales qu 'aux personnes physiques . De plus, le statut de
droit public d'une entité ne
11
permet pas en tant que tel d e lui faire échapper au droit
de la concurrence . Il n'existe donc pas d'exemption automatique dès
lors qu'une entité est liée à l'État.
Le premier problème d'application concerne
l'activité à prendre en compte pour identifier une
activité économique. S'agit-il de l'activité
<<aval >> ou de l'activité <<
amont>> ? Le problème des activités d'achat est
l'illustration parfaite de cette problématique : une entité
n'exercant pas une activité économique en aval est-elle soumise
au droit de la concurrence lorsqu'elle effectue des achats sur un marché
concurrentiel oü s'exerce une activité économique ?
7 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 23 avril 1991, Klaus Hfner et Fritz Elser contre
Macrotron GmbH, C-41/90: << la notion d'entreprise comprend
toute entité exerçant une activité économique,
indépendamment du statutjuridique de cette entité et de son mode
de financement >>.
8 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 16 juin 1987, Commission contre Italie, 118/85 (de
manière implicite) puis Cour de Justice des Communautés
Européennes, 18 juin 1998, Commission contre Italie,
C-35/96.
9 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 28 juin 2005, Dansk Rrindustri A/S et autres,
C-189/02, C-202/02, C-205/02 à C-208/02 et C-213/02.
10 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 12 septembre 2000, Pavel Pavlov et autres contre
Stichting Pensioenfonds Medische Specialisten, C-180/98.
11 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 16 juin 1987, Commission contre Italie, 118/85.
Le Tribunal de Première Instance des Communautés
Européennes est venu répondre à cette question, à
propos d'organismes chargés de la gestion du système de
santé espagnol, en indiquant que l 'applicabilité du droit de la
concurrence aux achats était subordonnée à
12
l'exercice d 'une activité économique en aval
par l 'entité acheteuse . Par la suite, le Tribunal a affirmé le
caractère général de cette jurisprudence (au-delà
des organismes sanitaires ou sociaux) en précisant qu'il n'était
pas possible de déduire de la nature économique de
l'activité d'achat la nature de l'activité << aval
>> en indiquant à l 'inverse que << le
caractère économique ou non de l 'utilisation ultérieure
du produit détermine nécessairement le caractère de l
'activité d'achat >>13. La Cour a confirmé
cette analyse suite au recours effectué dans cette même
affaire14. Il appartient donc de vérifier le caractère
économique de l'activité << aval >> pour
décider de soumettre ou non l'activité
<<amont>> au droit de la concurrence.
Pour déterminer ensuite si l'activité
<<aval >> d'achat de l'entreprise constitue une
activité économique, il est nécessaire d'effectuer une
analyse multicritères et adaptative selon les particularités de
chaque cas d'espèce.
Tout d'abord, il convient de s'attacher à la
présence ou l'absence de but lucratif pour l'entité en question.
Ce critère n'est pas déterminant en lui-même : l'absence de
but lucratif ne permet pas de préjuger de l'absence d'activité
économique. L'absence de recherche de profits peut néanmoins
constituer un indice sur la nature de l'activité en cause. Ainsi, une
association effectuant une activité non-lucrative peut tout de
même être soumise au droit de la concurrence si son activité
entre en concurrence avec l'activité exercée par des organismes
lucratifs15. En conséquence, l'absence de but lucratif est un
critère
pertinent
mais non suffisant pour écarter l'existence d'une
activité économique.
Pour identifier une activité économique, la
jurisprudence analyse également la nature de cette activité. Pour
ce faire, elle utilise le critère de l'exercice de la même
activité
12 Tribunal de Première Instance des
Communautés Européennes, 4 mars 2003, Federación
Nacional de Empresas de Instrumentación Cient'fica, Médica
Técnica y Dental (FENIN) contre Commission, T-319/99.
13 Tribunal de Première Instance des
Communautés Européennes, 12 décembre 2006, Selex
Sistemi Integrati SpA contre Commission, T-155/04.
14 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 26 mars 2009, Selex Sistemi Integrati SpA contre
Commission, C-113/07.
15 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 1er juillet 2008, Motosykletistiki
Omospondia Ellados NPID (MOTOE) contre Elliniko Dimosio, C-49/07.
par une entité privée. Il s'agit alors de
vérifier si l'activité exercée par une entité
pourrait être exercée de la même manière par un
opérateur privé. Si tel est le cas, l'existence d'un
marché de biens ou de services est donc démontrée, ce qui
permet de caractériser une activité économique. Ainsi, la
Cour a jugé que l'activité de placement de main d'Ïuvre
pouvait être exercée par des entités privées et donc
qu'elle constituait une activité
16
économique, même si elle était en
l'occurrence exercée par une personne publique . Il en fut de même
pour l'organisation de compétitions sportives par une association sans
but lucratif17, mais à l'inverse pas de l 'élaboration
de normes techniques par un organisme de contrôle18.
Ce critère n'est cependant pas utilisé de facon
autonome, faute de quoi il conduirait à faire une application trop
extensive du droit de la concurrence, notamment pour des activités
étatiques (maintien de l'ordre ou éducation).
Il est donc combiné avec d'autres critères
permettant de circonscrire utilement la notion d'activité
économique et de limiter le champ d'application de l'interdiction des
ententes.
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