Section 2 : La prise en compte de l'intervention de
l'État en droit communautaire
L'existence d'une entente suppose un accord de volontés
entre au moins deux entreprises indépendantes conduisant à une
coordination plus ou moins planifiée de leurs comportements et allant
à l'encontre du principe d'incertitude.
Dès lors, si une entente existe entre deux
entités non-autonomes, le droit de la concurrence ne peut trouver
à s'appliquer en raison de l'absence de rencontre de volontés
entre entreprises. Ainsi, l'article 101§1 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne ne permet pas de sanctionner des
accords intra -groupe (entre une société mère et des
filiales ou entre filiales) méme s 'ils présentent des
éléments anticoncurrentiels.
De la méme facon, il convient de tirer les
conséquences de l'absence d'autonomie des entreprises participant
à une entente dès lors que celle-ci leur a été
imposée par l'État.
Le droit communautaire ne prévoit pas textuellement une
exception tirée de l'intervention de l'État, faute de quoi il
donnerait un blanc
seing à l'ensemble des États membres pour aller
à l'encontre du droit communautaire. Néanmoins, la jurisprudence
communautaire a tiré les conséquences d'un défaut
d'autonomie des entreprises du fait d'une intervention de l 'État (
§1) méme si cette inapplication de l'article 101§1 du
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne est en
pratique soumise à des critères strictes et donc difficile
à obtenir ( §2).
§1 : La justification d'une entente imposée par
une intervention de l'État
Alors que l'exemption pour ordre de la loi prévue
à l'article L.420-4 I 1 du Code de Commerce consiste à
empécher l'application de la prohibition des ententes aux comportements
dictés par un texte législatif, le mécanisme d'exemption
pour intervention de l'État existant en droit communautaire intervient
à un stade différent. L'objectif de ces deux mécanismes
reste tout de même identique: garantir un certain degré de
sécurité juridique aux entreprises et ne pas aller à
l'encontre du principe d'interdiction de la Ç pénalisation
retroactive des comportements (nulla poena sine lege)
È100, autrement dit de la légalité des
délits et des peines.
100 Conclusions de l'avocat général M. F.G. Jacobs,
présentées le 30 janvier 2003 dans l'affaire C-198/01.
101
En effet, le droit communautaire a rapidement
su très tirer les conséquences du
défaut d 'autonomie des entreprises du fait de
l'intervention de l'État. Il ne s 'agit pas d'exonérer la
pratique mais de considérer qu'elle n'est tout simplement pas
constituée. Du point de vue communautaire, lorsque des entreprises se
sont entendues conformément à une disposition normative
étatique, le comportement anticoncurrentiel ne leur est plus imputable
du fait de leur défaut d'autonomie. Dès lors, la pratique trouve
son origine non pas dans le comportement des entreprises mais bien dans
l'intervention de l'État, ainsi que
102
l'indique clairement la jurisprudence communautaire . En
conséquence, il ne s'agira plus de mettre en jeu la
responsabilité des entreprises participant à l'entente mais
éventuellement de rechercher la responsabilité de l'État
pour violation du droit communautaire.
La jurisprudence communautaire a précisé que
l'inapplication de l'article 101§1 du Traité sur le Fonctionnement
de l'Union Européenne à des comportements imposés par
l'État devait être maintenue même si la disposition
nationale en cause était contraire au droit communautaire (et devait en
conséquence être écartée en vertu du principe de
primauté). En effet, quelque soit la légalité
communautaire de la norme nationale, non seulement il n'est pas normal de faire
supporter aux entreprises concernées la méconnaissance par
l'État de ses obligations communautaires, mais le défaut
d'autonomie reste toujours constitué même si la
réglementation est illégitime d u point de vue communautaire.
La jurisprudence CIF103 a permis de
clarifier la grille de lecture de la Cour de Justice sur le problème de
la justification d'une entente du fait d'une intervention de l'État.
Elle laisse le soin aux autorités nationales de concurrence d'appliquer
cette jurisprudence aux cas d 'espèce, même si la Cour
précise rigoureusement les critères qu'elles doivent mettre en
Ïuvre, en distinguant deux cas.
Dans le premier cas, la législation nationale en cause
impose la conclusion d'une entente ou élimine toute possibilité
de concurrence, empêchant ainsi les entreprises
101 Cour de Justice des Communautés Européennes, 29
octobre 1980, Van Landewyck et autres contre Commission, 209/78
à 215/78 et 218/78.
102 Tribunal de Première Instance des
Communautés Européennes, 18 septembre 1996, Asia Motors et
autres contre Commission , T-387/94 et Cour de Justice des
Communautés Européennes, 11 novembre 1997, Commission et
France contre Ladbroke, C-359/95 et C-379/95: Ç Dans une telle
situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l
'impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises
È.
103 Cour de Justice des Communautés Européennes, 9
septembre 2003, Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF), C-198/01.
d'adopter un comportement respectueux de la concurrence, faute
d'enfreindre la norme nationale en cause. Alors, l'autonomie des entreprises
est inexistante dans l'adoption d'un comportement répréhensible
au regard du droit de la concurrence et ce comportement ne peut etre
sanctionné sur la base de l'article 101§1 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne. La Cour tire logiquement les
conséquences du défaut d'autonomie et du commandement de la loi,
selon un mécanisme proche de celui existant en droit national.
Néanmoins, cette exonération est limitée aux comportements
qui ont été adoptés avant toute décision d'une
autorité de concurrence déclarant la norme nationale inapplicable
en raison de sa contrariété avec le droit communautaire. En
effet, une telle décision s'impose aux entreprises qui retrouvent alors
leur autonomie, n'étant plus contraintes par la norme dont
l'applicabilité a été écartée par une
autorité compétente.
A l'inverse, si la législation « laisse
subsister la possibilité d 'une concurrence qui serait encore
susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée
par des comportements autonomes desdites entreprises »104,
l'article 101§1 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne reste applicable. En ce cas, l'autonomie des entreprises est
sauvegardée, puisqu'elles n'ont été qu'incitées ou
encouragées à adopter un comportement anticoncurrentiel. Des
lors, la décision d'adopter ce comportement leur est imputable et elles
peuvent en conséquences etre sanctionnées. Néanmoins, la
Cour précise que le fait qu'une entente anticoncurrentielle ait
été encouragée ou facilitée par des dispositions
nationales est susceptible de constituer une circonstance atténuante
dans la détermination du montant des sanctions.
La Cour de Justice reconna»t la liberté pour la
Commission Européenne dans le choix des voies de droit
appropriées suivant l'appréciation qu'elle effectue des pratiques
en cause105.
Si la Commission Européenne considere que l'autonomie
des entreprises est maintenue malgré l'intervention de l'État,
elle peut décider de poursuivre les entreprises sur la base de l'article
101§1 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne
(et éventuellement d'engager une procédure de manquement contre
l'État).
En revanche, si elle estime que la réglementation
nationale TMtait toute autonomie aux entreprises dans la décision
d'adopter un comportement anticoncurrentiel, la
104 Considérant n°80 de la jurisprudence
CIF.
105 Cour de Justice des Communautés
Européennes, 19 octobre 1995, Rendo et autres contre
Commission, C- 1 9/93 : « la Commission pouvait, à bon
droit, considérer que la procédure la plus appropriée,
pour examiner la question de la compatibilité de la loi sur
l'électricité avec le traité, était celle du
recours en manquement ».
Commission Européenne ne peut que poursuive
l'État en cause selon la procédure de manquement prévue
à l'article 258 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne.
La Cour de Justice précise à cet égard
que la constatation d'un manquement de l'État n'est pas
nécessaire pour juger de l'absence d'autonomie des entreprises parties
à une entente106. Il peut donc exister une exonération
des comportements pour intervention de l'État sans que la
responsabilité de cet É tat ne soit engagée.
Le principe de l'inapplication de l'article 101§1 du
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne aux
comportements imposés par l'État est donc clairement posé
par la jurisprudence communautaire. Néanmoins, le caractère
strict des conditions d'appréciation de cette exonération rend
difficile la reconnaissance d'une réelle absence d'autonomie.
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