2. L'exigence d'un lien de causalité entre le
texte et la pratique
Ainsi que la lettre de l'article L.420-4 I 1° du Code de
Commerce l'indique, la pratique anticoncurrentielle doit résulter du
texte invoqué pour la justifier. Cette exigence impose à l'auteur
des pratiques qui entend se prévaloir d'une exemption pour ordre de la
loi de démontrer en quoi son comportement était la
conséquence immédiate et nécessaire de l'application du
texte en question. En l'absence d'une telle démonstration, l'exemption
est tout simplement inapplicable86.
Tout d'abord, la démonstration de ce lien de
causalité exige que le texte justificatif ait été concu
spécialement comme une dérogation au principe de libre
concurrence. Cette dérogation doit être l'objet du texte et en ce
sens, le texte en question doit revêtir un véritable objet
anticoncurrentiel. Ainsi, si une disposition n'a pas été concue
comme une dérogation explicite aux regles normales de concurrence
interdisant les ententes, en aucun cas elle ne peut servir de base à une
exemption, même si le comportement anticoncurrentiel
87
a été adopté par les entreprises afin de
faire application de cette disposition . Cette exigence implique encore que le
comportement adopté par l'entreprise ait été
spécialement prévu par le texte invoqué. Ainsi,
l'interdiction de vente à perte n'oblige en aucun cas un groupement de
producteurs à mettre en Ïuvre une entente sur les prix: tel n'est
pas
88
l'objectif du texte qui n 'a, au surplus, pas prévu de
légitimer un tel comportement . Il en est de même lorsque le
comportement adopté dépasse le champ d'application de l'exemption
prévue par le texte 89 .
85 Cour d'Appel de Paris, 4 février 1997,
Conseil regional de l 'ordre des architectes d 'Auvergne et de M. Dragoljub
Pavlovic.
86 Conseil de la Concurrence, décision
n°01-D-07 du 11 avril 2001 relative à des pratiques mises en
Ïuvre sur le marché de la répartition pharmaceutique.
87 Conseil de la Concurrence, décision
n°91-D-45 du 29 octobre 1991 relative à la situation de la
concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de
cinéma.
88 Conseil de la Concurrence, décision
n°07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises
en Ïuvre dans le secteur de la distribution de jouets.
89 Conseil de la Concurrence, décision
n°87-D-53 du 1er décembre 1987 relative à la
situation de concurrence dans le domaine des honoraires d'architectes.
DÕautre part, le comportement anticoncurrentiel doit
etre la consequence directe et nécessaire du texte invoqué comme
justification. En d Õautres termes, le texte ne doit laisser aucune
latitude à lÕentreprise pour decider de commettre ou non une
pratique anticoncurrentielle : lÕautonomie de decision de
lÕentreprise doit etre anéantie. Le comportement incriminé
doit donc etre la seule solution pour appliquer le texte en cause. Il ne doit
donc pas exister de comportement non-incriminé permettant de
répondre efficacement aux exigences du texte. Dans le cas contraire, le
comportement litigieux trouve son origine à la fois dans le texte en
question mais également dans la decision de lÕentreprise et
l'exception ne peut alors fonctionner.
Ainsi, le Conseil de la Concurrence a rendu un nombre
important de decisions à propos des mesures spécifiques
imposées aux pharmaciens en matiére de sante publique,
considérant que les obligations imposées ne rendaient pas
obligatoires et automatiques les ententes mises en Ïuvre entre les
officines. Le Conseil
a par exemple considéré que le plafonnement des
remises pouvant etre consenties par les grossistes aux officines
nÕétait pas une cause directe et nécessaire de
lÕentente visant à geler les parts de marché ou à
entraver l'entrée dÕun nouveau concurrent90. De
même, le Conseil de la Concurrence a jugs que l'obligation de garde le
dimanche ne légitimait en rien les ententes entre officines afin que
seule la pharmacie de garde soit effectivement ouverte91.
LÕexigence dÕun lien de causalité
nécessaire et ineluctable est donc trés difficile
à
surmonter pour les entreprises qui souhaitent se prévaloir
de l'exemption de l'article L.420-
4 I 1 du Code de Commerce, particuliérement devant les
autorités de concurrence.
Même si elles parviennent à effectuer la
demonstration de l'existence du lien de causalité direct et
nécessaire, leurs efforts sont parfois anéantis par
lÕinterprétation que font les juridictions nationales du droit
communautaire.
90 Conseil de la Concurrence, decision n01-D-07 du 11
avril 2001 relative à des pratiques mises en Ïuvre sur le
march& de la repartition pharmaceutique.
91 Conseil de la Concurrence, decision n90-D-08 du 23
janvier 1990 relative à des pratiques constatées en
matière de fixation de la durée dÕouverture des pharmacies
libérales.
L'intervention de l'État constitue-t-elle un fait
justificatif de l'entente?
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