B. Le caractère limité de l'exemption
L'exception de l'article L.420-4 I 1 du Code de Commerce peut
sembler très large en ce qu'elle permet à l'État de
légitimer n'importe quelle entente. Néanmoins, la jurisprudence a
toujours procédé à une interprétation limitative de
cette exception en se basant sur le texte méme de l'article (1), en
exigeant un lien de causalité très prononcé (2) et enfin
en s'appuyant sur les exigences du droit communautaire (3).
1. L'interprétation stricte des textes à
l'origine de l'exception
L'article L.420-4 I 1 du Code de Commerce indique clairement
que le fait justificatif des ententes pour intervention de l'État est
limité aux cas oü ces comportements Ç résultent
de l 'application d 'un texte législatif ou d 'un texte
réglementaire pris pour son application È. Cette
rédaction est issue de l'ordonnance de 1986, puisqu'auparavant, et ce
depuis l 'ordonnance de 1945 73, l'exception pouvait provenir d 'un
texte législatif ou d'un texte réglementaire.
Depuis 1986, l'exception doit donc trouver obligatoirement sa
source dans un texte de nature législative, méme si un acte
réglementaire pris pour son application peut venir s'interposer entre la
pratique et la loi.
Le Conseil, puis l'Autorité de la Concurrence, ont
toujours procédé, à l'unisson des autres juridictions
civiles ou administratives, à une interprétation stricte de cette
exigence.
Cette condition a tout d'abord conduit à écarter
du champ d'application de l'article L.420-4 I 1 du Code de Commerce l'ensemble
des actes extérieur s à l'administration. Tel est le cas
notamment des conventions ou accords signés entre des
fédérations sportives, des
73 Article 51 de l'ordonnance n45 -1483 du 30 juin
1945.
74
syndicats professionnels même si le Ministre de la
Jeunesse et des Sports y est partie , des
75
contrats signés entre personnes privées , ou des
usages professionnels même s'ils sont reconnus dans un code de
déontologie édité par le syndicat professionnel d'une
profession76. Toute norme ou pratique extérieure a
l'administration ne peut donc en aucun cas permettre de procéder a la
justification d'une entente.
Les exigences de la jurisprudence ne s'arrêtent
cependant pas a l'exigence d'un acte propre a l'administration.
L'interprétation stricte dégagée par la jurisprudence a
ainsi conduit a respecter la lettre de l'article L.420-4 I 1° du Code de
Commerce qui exige un acte législatif ou un acte réglementaire
appliquant un acte législatif. L e texte a l 'origine de la pratique
doit donc être matériellement et formellement une loi ou un acte
réglementaire d'application d'une loi.
La fermeté du Conseil de la Concurrence l'a conduit a
refuser que cette exception soit appliquée pour un acte
réglementaire autonome relevant de l'article 37 de la Constitution. Une
exigence supplémentaire a été posée en ce qui
concerne le rattachement de l'acte réglementaire a la loi, même si
elle est plus ambiguë selon les décisions. Ainsi, le Conseil a
refusé d'appliquer l'article L.420-4 I 1° du Code de Commerce sur
la base d'un
77
arrêté ministériel pris en vertu d 'un
décret d 'application d 'une loi , considérant que l'exigence de
rattachement direct de l'acte réglementaire en cause a la loi
n'était pas satisfaite. Le Conseil de la Concurrence a également
exigé que la loi mise en Ïuvre par un acte réglementaire
contienne le principe de l'exemption et ne se contente pas de renvoyer a
l'adoption du règlement pour décider de l'exemption78.
Dans le cas contraire, le Conseil considère que l'acte
réglementaire n'a pas été pris en application de la loi et
donc que l'article L.420-4 I 1° du Code de Commerce ne peut s 'appliquer.
A l'inverse, d'autres décisions se montrent plus souples dans
l'appréciation de ce lien de rattachement,
74 Conseil de la Concurrence, décision
n°94-D-40 du 28 juin 1994 relative a la situation de la concurrence dans
le secteur de l'assurance ski.
75 Conseil de la Concurrence, décision
n°97-D-71 du 7 octobre 1997 relative a une saisine présentée
par les sociétés Asics France et autres.
76 Conseil de la Concurrence, décision
n°95-D-39 du 30 mai 1995 relative a des pratiques relevées dans le
secteur de la location d'emplacements publicitaires destinés a
l'affichage de grand format.
77 Conseil de la Concurrence, décision
n°94-D-41 du 5 juillet 1994 relative a des pratiques relevées dans
le secteur des volailles sous label.
78 Conseil de la Concurrence, décision
n°07-D-41 du 28 novembre 2007 relative a des pratique s s'opposant a la
liberté des prix des services proposés aux établissements
de santé a l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens
anatomo-cyto-pathologiques.
notamment en faisant application de l'exemption pour un
arrété ministériel sans vérifier le
caractère immédiat de son rattachement à un texte
législatif79.
De méme, l 'application de l'article L.420-4 I 1°
du Code de Commerce a toujours été refusée en ce qui
concerne l'ensemble des comportements que peut adopter l'administration face
à certaines pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, les incitations ou
encouragements80, les tolérances81 approbations
82
ou données par des autorités
administratives n'ont jamais pu constituer une base pour
exempter un comportement anticoncurrentiel. Selon cette logique, la Cour de
Cassation indique que Çla compromission des ma»tres de
l'ouvrage avec les entreprises (...) ne fait pas échec à l
'application des textes invoqués È83.
La sévérité de la jurisprudence fait
qu'il est donc préférable de parler d'exemption par ordre de la
loi que d'exemption du fait de l'intervention de l'État puisqu'un acte
législatif doit obligatoirement intervenir en amont du processus
d'exemption pour que l'article L.420-4 I 1° du Code de Commerce soit
applicable et entraine effectivement l'exonération d'une entente
anticoncurrentielle.
En outre, la jurisprudence a indiqué
l'appréciation temporelle qu'elle faisait de l'exemption en
précisant qu'il n'était possible de justifier une pratique que
par le biais d'un
84
texte entré en vigueur après le commencement des
pratiques anticoncurrentielles . De méme, la Cour d'Appel de Paris a
toujours refusé de légitimer une pratique selon un texte
postérieur mais a néanmoins accepté de réduire le
montant de l'amende en se basant sur le fait qu 'un texte légitimant une
telle pratique soit intervenu peu après le comportement
79 Conseil de la Concurrence, décision
n°04-D-49 du 28 octobre 2004 relative à des pratiques
anticoncurrentielles dans le secteur de l 'insémination artificielle
bovine.
80 Conseil de la Concurrence, décision
n°05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en
Ïuvre sur le marché du chou fleur de Bretagne et Conseil de la
Concurrence, décision n°96-D-14 du 12 mars 1996 relative à
des
pratiques constatées lors des marchés de
fourniture de fioul domestique à la ville de Lavelanet.
81 Conseil de la Concurrence, décision
n°90-D-20 du 12 juin 1990 relative à des pratiques relevées
sur le marché de la banane et Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 30
mai 1995, Société Bedel.
82 Conseil de la Concurrence, décision
n°92-D-44 du 7 juillet 1992 relative à des pratiques
relevées lors de la XXème foire exposition de
Velay-Auvergne.
83 Cour de cassation, 6 octobre 1992, SA
Entreprise Jean Lefebvre et autres.
84 Conseil de la Concurrence, décision
n°93-D-27 du 30 juin 1993 relative à des pratiques
constatées dans le secteur du déménagement.
incriminé85. Si la loi postérieure
n'est pas une cause d'exonération, elle peut donc constituer une
circonstance atténuante au regard de la détermination du montant
de la sanction de la pratique anticoncurrentielle.
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