2. La protection des associés et des
créanciers
En ce qui concerne la protection des associés et des
créanciers, la directive européenne effectue un renvoie aux
règles de protection prévues dans les législations des
Etats membres. La directive n° 2005/56/CE se borne à autoriser les
États membres à accorder une garantie typique aux
<<actionnaires minoritaires >> et aux
<<créanciers>> << dans le respect des principes de
proportionnalité définis par la Cour de justice
européennes >>.83
des Communautés Ainsi,
chaque Etat membre con tinue à appliquer en grande partie
ses propres règles.
a) La protection des associés
Comme il a été indiqué
précédemment, les associés de la société
absorbée deviennent automatiquement, après la réalisation
de la fusion, associés de la société issue de la fusion.
Leur engagement est successives. 84
alors soumis à deux lois nationales En effet, par cette
opération, ils perdent le bénéfice de la
loi en vertu de laquelle ils se sont engagés et vont être
80 C. Schubert, Die Mitbestimmung der Arbeitnehmer
bei grenz·berschreitender Verschmelzung, RdA 2007, Heft 1, 9.
81 H. Le Nabasque, Les fusions
transfrontalières après la loi n° 2008-649 du 3 juillet
2008, Revue des sociétés 2008 p. 493.
82 M. Menjucq, Droit international et
européen des sociétés, Domat droit privé,
Montchrestien, 2008, §332.
83 M. Luby, Impromptu sur la directive n°
2005/56 sur les fusions transfrontalières des sociétés de
capitaux, Droit des sociétés n° 6, Juin 2006,
étude 11.
84 M. Menjucq, Des fusions
transfrontalières des sociétés de capitaux, Revue
Lamy droit des affaires, Mai 2006, Nr 5, p10.
soumis à une autre loi, celle du de société
te nouvellement constituée. 85
siège absorban
la ou
Jusqu'à la transposition de la directive, il
était communément retenu en France que ce changement de loi
applicable Çfonde l'exigence d'une décision des associés
à l'unanimité, ceux-ci ayant un droit individuel au maintien de
la loi ayant présidé à la conclusion de leur engagement
avec la È.86
société Mais cette règle avait
l'inconvénient de rendre pratiquement
impossible toute fusion transfrontalière, à moins
que la société absorbante ne détienne 100%
87
du capital de la sociét é absorbée.Elle
n'a donc pas été retenue, d'autant plus que la
88
réglementation applicable aux fusions nationales
s'applique. Or d'après l'article L236-9 du Code de commerce, la fusion
est décidée par l'assemblée générale
extraordinaire des sociétés participant à la fusion. Au
cours de cette assemblée, les actionnaires décident en France
à la majorité des deux tiers.89 Par contre, en
Allemagne, le droit allemand relatif aux fusions internes est plus strict: la
décision est prise à la majorité des trois quarts
(articles 50 et 65 de la loi de transposition).
Toutefois, il convient de noter que les sociétés
de personnes n'étant pas concernées par la directive 2005/56/CE
et pour lesquelles la transposition n'est pas applicable, restent soumises, en
France, à la loi de l'unanimité, la fusion entra»nant un
changement de loi applicable.90 La même solution devrait
être retenue pour les sociétés de personnes allemandes.
Etant donné que l'unanimité des actionnaires
pour approuver le projet de fusion n'est pas requise, une protection des
associés minoritaires s'avère nécessaire. Comme
précédemment, une large marge de manÏuvre est laissée
aux Etats membres sur ce point, le régime des fusions internes
s'étendant aux fusions transfrontalières. Mais on peut regretter
une telle solution. En effet, la directive 78/855/CEE a été
blâmée pour avoir omis une protection spécifique des
actionnaires des sociétés parties à la fusion. Ainsi, on
relève certes une obligation de rédaction du projet de fusion et
d'information préalable à la réunion de l'assemblée
générale, mais quid d'un droit de retrait ?91
85 M. Menjucq Michel, Droit international et
européen des sociétés, Domat droit privé,
Montchrestien, 2008, §45.
86 M. Menjucq, Droit international et
européen des sociétés, Domat droit privé,
Montchrestien, 2008, §312.
87 H. Le Nabasque, Les fusions
transfrontalières après la loi n° 2008-649 du 3 juillet
2008, Revue des sociétés 2008 p. 493.
88 M. Cozian / A. Vivandier / F. Deboissy, Droit
des sociétés, Litec, 2009, § 1408.
89 B. Dondero, Droit des
sociétés, Dalloz, Hypercours, §896.
90 H. Le Nabasque, Les fusions
transfrontalières après la loi n° 2008-649 du 3 juillet
2008, Revue des sociétés 2008 p. 493.
91 M. Luby, Liberté d'établissement
des sociétés et fusion transfrontalière, Dalloz 2006,
n6, p451
Il convient de rappeler tout d'abord que toute fusion
transfrontaliére donne lieu à un échange de droits sociaux
: les associés de la société absorbée recoivent, en
échange de leurs actions, des actions de la société
absorbante ; sauf exception dans le cas des fusions simplifiées, lorsque
l'absorbante détient 100% de l'absorbée. Cette opération
d'échange repose sur la parité, calculée à partir
des évaluations des deux sociétés.92
Toutefois, ce calcul qui doit être équitable afin
qu'aucun actionnaire ne soit lésé ne peut pas toujours faire
l'objet d'une révision. Ainsi, contrairement au droit allemand, en
France, aucune procédure d'analyse ou de révision de la
parité d'échange n'existe, pas plus, au demeurant, qu'un droit de
retrait des associés minoritaires qui se seraient déclarés
opposés à la réalisation de la fusion.93
Malgré tout, le commissaire à la fusion désigné par
le président du tribunal de calcul pa est équitable.
94
commerce s'assure le
que de la rité Un tel contrTMle
réalisé au moment du calcul même, rend
inutile toute modification ultérieure.
D'autre part, l'article L236-28 du Code de commerce francais
dispose que les associés se « prononcent par une résolution
spéciale, sur la possibilité de mise en oeuvre de
procédures d'analyse et de modification du rapport d'échange des
titres ou d'indemnisation des associés minoritaires, lorsque celle-ci
est offerte aux associés de l'une des sociétés participant
à la fusion par la législation qui lui est applicable
».95 L'idée est donc que « de tels droits, qui
risquent de modifier la parité d'échange et/ou le cofit de la
fusion, ne puissent être mis en oeuvre par leurs
bénéficiaires que si les associés de la
société qui ne les connaissaient pas les ont expressément
acceptés, au terme de résolutions spéciales, à des
conditions de majorité qualifiée ».96
Dans le cas d'une fusion entre une société
francaise et une société allemande, comme les associés de
la société allemande ont la possibilité au sens de
l'article 122 h de la loi de transposition de modifier la parité
d'échange, les associés de la société francaise se
prononceront alors, par résolution spéciale, sur la
possibilité de mise en oeuvre d'une telle modification. L'examen du
rapport d'échange s'effectuera en Allemagne dans le cadre d'une
« Spruchverfahren ».97
92 M. Cozian / P-J. Gaudel, La comptabilité
racontée aux juristes, Litec, 2006, §728.
93 H. Le Nabasque, Les fusions transfrontalieres
aprés la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008, Revue des
sociétés 2008 p. 493.
94 M. Cozian / P-J. Gaudel, La comptabilité
racontée aux juristes, Litec, 2006, §728.
95 M. Menjucq, Droit international et
européen des sociétés, Domat droit privé,
Montchrestien, 2008, §328.
96 H. Le Nabasque, Les fusions transfrontalieres
aprés la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008, Revue des
sociétés 2008 p. 493.
97 S. Kulenkamp, Die grenz·berschreitende
Verschmelzung von Kapitalgesellschaften in der EU, Nomos, 2009, S341.
Le droit allemand donne une protection supplémentaire
aux associés (article 122 i de la loi de transposition), mais seulement
à ceux d'une société absorbée ayant son siege en
Allemagne, en ce que cette société absorbée doit offrir,
aux associés opposés à la fusion,
98
l'acquisition de leurs titres en échange d'une
indemnité. Ainsi, lorsque la société absorbée a son
siege en France et que la société issue de la fusion a son siege
en Allemagne, aucun associé ne pourra se prévaloir des
dispositions de l'article 122 i de la loi de transposition allemande.
b) La protection des créanciers
Le risque lors d'une fusion transfrontalière consiste
en ce que les créanciers des sociétés participant à
la fusion ne soient pas suffisamment protégés ou qu'ils perdent
leur protection. Le risque est d'autant plus important lorsqu'une
société « en bonne santé » fusionne avec une
société « malade ».99 Les créanciers
peuvent s'inquiéter du fait de la disparition de leur débiteur et
de l'augmentation du passif de la société issue de la fusion,
nouveau débiteur, résultant de la transmission universelle du
patrimoine, 100 surtout que cette transmission est automatique et
n'implique pas l'information individuelle des créanciers. Un
régime de protection est nécessaire, mais celui-ci est mis en
oeuvre au niveau de chaque Etat membre.
En raison du principe du transfert universel des patrimoines,
par lequel « l'ensemble du patrimoine actif et passif de la
société absorbée est transféré à la
société absorbante », les créanciers
bénéficient d'une protection indirecte,101 puisque les
créanciers de la société absorbée deviendront
créanciers de la société absorbante, et que la directive
2005/56/CE oblige les Etats membres à mettre en place un systeme de
protection des intérêts des créanciers, ne pouvant
être différent de celui prévu en cas de fusion
interne.102 Cependant cette protection est
insuffisante,103 et des conflits peuvent survenir lorsque les
sociétés participant à la fusion sont soumises à
deux régimes de protection différents, l'un a priori, l'autre a
posteriori (comme en France). Le système de protection a priori «
subordonne la pratique de la fusion au paiement des créanciers, ou
à l'obtention par ceux-ci de garanties » ;
98 S. Kulenkamp, Die grenz·berschreitende
Verschmelzung von Kapitalgesellschaften in der EU , Nomos, 2009, S353.
99 S. Kalss, Glubigerschutz bei Verschmelzungen
von Kapitalgesellschaften, ZGR 2009, 74-125.
100 M. Cozian / A. Vivandier / L. Deboissy, Droit
des sociétés, Litec, 2009, § 1393.
101
M. Luby, Impromptu sur la directive n 2005/56 sur les fusions
transfrontalieres des sociétés de capitaux, Droit des
sociétés n° 6, Juin 2006, étude 11.
102 J-J. Caussain, Des fusions
transfrontalières dans lÕunion européenne, droit
bancaire et financier, Mélanges AEDBF-France II, Banque éditeur,
p113 s, § 20.
103 M. Luby, Liberté
dÕétablissement des sociétés et fusion
transfrontaliere, Dalloz 2006, n°6, p451.
le systeme de protection a posteriori « permet aux
créanciers de faire opposition à la fusion pour qu'elle leur soit
inopposable ». Une telle situation peut conduire à un blocage (ou
du moins à un alourdissement de la procédure). Il s'agit à
la fois de satisfaire aux demandes en amont et de lever l'opposition en
aval.104
En France, on peut noter que les créanciers
bénéficient d'une protection a posteriori, en ce qu'ils ont un
droit d'opposition à la fusion. En effet, les créanciers non
obligataires des sociétés participant à l'opération
de fusion et dont la créance est antérieure à la
publication du projet de fusion peuvent faire opposition dans un délai
de 30 jours (article R236-8 du Code de Commerce)105. Le tribunal
peut alors ordonner le remboursement immédiat de la créance, la
constitution de garanties supplémentaires si elles sont proposées
par l'absorbante et jugées suffisantes, ou rejeter l'opposition. Cette
opposition, rarement mise en Ïuvre en pratique,
106
n'interdit pas de mener à bien les opérations de
fusion. Par contre, les créanciers
obligataires de la société absorbée sont
consultés sur le projet de fusion, à moins que la
société émettrice ne leur offre le remboursement des
titres sur simple demande de leur part. Si la voie de consultation est choisie,
ils peuvent alors s'opposer au projet de fusion, le conflit sera tranché
par le tribunal de commerce (article L236-13 et L228-72 du code de
commerce).107
Au contraire, en Allemagne, les créanciers de la
société absorbée ont le droit de demander l'obtention de
garanties de protection, si un paiement n'est pas possible, d'apres l'article
122 j de la loi de transformation.108 Il s'agit ici d'une protection
a priori. Mais aucun conflit ne devrait na»tre lors d'une fusion
franco-allemande, puisque les créanciers de la société
absorbée qui a son siege en Allemagne seront déjà
satisfaits en amont de la fusion transfrontaliere.
La législation des opérations de fusions
transfrontalieres a certes fait l'objet au niveau communautaire d'une
harmonisation. Toutefois, le législateur européen a laissé
les Etats membres libres quant à la protection des différents
acteurs. Ceci démontre une certaine volonté d'unification tout en
respectant la diversité qui caractérise l'Union
Européenne.
104
M. Luby, Impromptu sur la directive n 2005/56 sur les fusions
transfrontalieres des sociétés de capitaux, Droit des
sociétés n° 6, Juin 2006, étude 11.
105 A.S. Cornette de Saint Cyr / O. Rault, Aspects
juridiques et sociaux des operations de fusions au sein de lÕUnion
européenne, JCP E 2008, 1477.
106 M. Cozian / A. Vivandier / F. Deboissy, Droit
des sociétés, Litec, 2009, § 1393.
107 M. Cozian / A. Vivandier / F. Deboissy, Droit
des sociétés, Litec, 2009, § 1398.
108 S. Kulenkamp, Die grenz·berschreitende
Verschmelzung von Kapitalgesellschaften in der EU, Nomos, 2009, S316.
Les fusions transfrontalieres ainsi rendues possibles, ne
prennent effet que suite à lÕaboutissement dÕune longue
procedure.
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