2. LÕharmonisation, le reflet dÕun long
travail
LÕharmonisation des regles au niveau communautaire en
ce qui concerne les fusions transfrontalieres a fait lÕobjet dÕun
travail long et minutieux. Tout dÕabord, par la directive 78/855/CEE,
adoptée par le Conseil le 9 octobre 1978, la legislation des fusions au
niveau interne a été harmonisée. Il sÕagissait
Ç dÕintroduire dans tous les Etats-membres lÕinstitution
de la fusion È.38 CÕest ainsi quÕune même
et unique notion de Ç fusion È a été retenue pour
tous les Etats-membres, celle-ci pouvant etre soit réalisée par
absorption, soit par constitution. La fusion par absorption est «
lÕopération par laquelle une ou plusieurs sociétés
transferent à une autre, par suite dÕune dissolution sans
liquidation, lÕensemble de leur patrimoine activement et passivement
moyennant lÕattribution aux actionnaires de la ou des
sociétés absorbées dÕactions de la
société absorbante et, éventuellement, dÕune soulte
en especes ne dépassant pas 10% de la valeur nominale des actions
attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair
comptable » (article 3 al 1 de ladite directive) ; la fusion par
34 Hoffmann, NZG 1999, 1077 ff
35 Baums, JITE 155 (1999), 119 ff.
36 M. Luby, Liberte d'etablissement des societes
et fusion transfrontaliere, Dalloz 2006, n6, p451.
37
M. Luby, Impromptu sur la directive n° 2005/56 sur les
fusions transfrontalieres des societes de capitaux, Droit des societes n
6, Juin 2006, etude 11.
38 J-J. Caussain, Des fusions transfrontalieres
dans l'Union europeenne, droit bancaire et financier, Mélanges
AEDBF-France II, Banque editeur, p 113 s, 5.
constitution d'une nouvelle société est
<<l'opération par laquelle une ou plusieurs sociétés
transfèrent à une société qu'elles constituent, par
suite de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine
activement et passivement moyennant l'attribution à leurs actionnaires
d'actions de la nouvelle société, et éventuellement, d'une
soulte en espèces ne dépassant pas 10% de la valeur nominale des
actions attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de
leur
pair comptable >> (article 4 al 1 de ladite directive).
Ces deux définitions ont été reprises en France par
l'article L236-1 du code de commerce et en Allemagne par le paragraphe (§)
2 de la loi sur les transformations (Umwandlungsgesetz).
Bien que cette directive 78/855/CEE ait posé un cadre
juridique pour les fusions au niveau interne, insuffisante. 39
cette harmonisation restait toutefois Certes, la notion de
fusion
était identique dans tous les Etats membres. Le
principe de reconnaissance s'appliquant, il aurait dü faciliter l'exercice
de fusions transfrontalières. Mais ces opérations n'étant
pas mentionnées par la directive, la majorité des Etats membres
ne les autorisaient pas, car les différences juridiques étaient
encore trop importantes sur de nombreux points, com me pour la question de la
participation des salariés. De plus, certains Etats membres bien
qu'autorisant ces opérations, les soumettaient à des conditions
presque impossibles à réunir, comme l'unanimité des
actionnaires de la société absorbée. Il fallait donc
rendre les fusions transfrontalières licites dans l'ensemble du
fiscalement praticables. 40
marché intérieur et C'est ainsi qu'un travail de
plusieurs années a été entrepris au niveau communautaire
pour permettre de telles opérations.
Tout d'abord fallait-il que de telles opérations soient
attrayantes pour les entreprises elles-mémes. C'est ainsi qu'un
régime fiscal commun favorable pour les fusions transfrontalières
a été adopté avec la directive 90/434 du 23 juillet 1990,
dite <<directive Fusions >>, afin que les opérations de
fusions transfrontalières ne soient pas entravées par des
considérations fiscales. Le principe de ce régime fiscal commun
<<consiste à rendre la fusion fiscalement neutre
>>.41 C'est ainsi que <<les plus-values ne sont pas
taxées au moment de la réalisation de l'opération de
fusion transfrontalière, mais seulement lorsque celles-ci sont
effectivement réalisées >>.42 L'idée est
que les fusions transfrontalières sont des opérations <<
intercalaires >>. Il y a un report d'imposition. La société
nouvelle continue des droits et
39 J-J. Caussain, Les fusions transfrontalieres
dans l'Union Européenne, droit bancaire et financier,
Mélanges AEDBF-France II, Banque éditeur, p113s, § 13.
40 G. Montagnier, Harmonisation fiscale
communautaire, Janvier 1988-décembre 1990, RTDE, 1991, Chroniques p
79.
41 M. Menjucq, Droit international et
européen des sociétés, domat droit privé,
Montchrestien, 2008, §317.
42 J-J. Caussain, Des fusions transfrontalieres
dans l'Union européenne, droit bancaire et financier,
Mélanges AEDBF-France II, Banque éditeur, p113s, §36.
obligations fiscaux de la société
apporteuse43. De plus, lÕattribution à un actionnaire
de la société apporteuse de titres de la société
absorbante ne donne pas lieu non plus à imposition tant que titres
nÕont pas valeur plus élevée fusion. 44
ces une quÕavant la Les Etats ont
cependant la possibilité, par le jeu de la clause de
sauvegarde prévue à lÕarticle 11-1 de la directive, de ne
pas appliquer ces regles fiscales, lorsque lÕopération Ç a
comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou
lÕévasion fiscale È.
Cette directive nÕa cependant fait lÕobjet que
dÕune transposition restrictive en Allemagne, le législateur
allemand arguant de lÕimpossibilité, selon le droit national, de
réaliser des fusions transfrontalieres45 et de
lÕabsence de reglementation communautaire à ce sujet. Il a fallu
attendre que lÕAllemagne autorise les fusions transfrontalieres suite
à lÕadoption du reglement 2157/2001/CE du 8 octobre 2001 relatif
au statut de la société européenne puis à
lÕarrêt Sevic de la Cour de justice des communautés
européennes pour que le législateur allemand se decide à
transposer la directive Ç Fusions È. La loi de transposition
portant sur les mesures fiscales pour lÕintroduction de la
société européenne et pour la modification dÕautres
dispositions fiscales a européanisé le droit fiscal applicable
aux
46
transformations et élargi le régime fiscal de
faveur aux fusions transfrontalières.
Au contraire, en France, la directive Ç Fusions
È a été transposée des 1991, et le
législateur est allé au-delà de la directive en ce
quÕil a institué des regles fiscales uniformes, applicables aux
différentes formes des fusions, quÕelles soient internes,
intracommunautaires ou extracommunautaires.47 Mais une telle
transposition nÕa présenté un interest que lorsque les
fusions transfrontalieres étaient juridiquement réalisables.
En définitive, bien que cette directive 90/434 ait pour
objectif de faciliter les fusions transfrontalieres en supprimant tout obstacle
dÕordre fiscal, une telle démarche ne présente
quÕun interêt limité, tant quÕen raison de
lÕabsence de regles juridiques communes les fusions transfrontalieres ne
sont pas réalisables. Le travail dÕharmonisation des regles
juridiques sÕest donc avéré nécessaire.
43 G. Montagnier, Harmonisation fiscale
communautaire, Janvier 1988-decembre 1990, RTDE, 1991, Chroniques p 92.
44
J-J. Caussain, Des fusions transfrontalieres dans l'Union
europeenne, droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF-France II,
Banque editeur, p113s, 39.
45 CJCE 13 dec 2005, aff Sevic System AG, C 411/03,
JCP ; D 2006, p 451, note M. Luby ; JCP G 2006, II 10077, note R. Dammann.
46 S. Kulenkamp, Die grenzüberschreitende
Verschmelzung von Kapitalgesellschaften in der EU, Nomos, 2009, S45.
47 M. Cozian / P-J. Gaudel, La comptabilite
racontee aux juristes, Litec Fiscal, 2006, 758.
Avec le reglement 2157/2001/CE du 8 octobre 2001 relatif au
statut de la société européenne, les fusions
transfrontalières sont devenues réalisables, tant qu'il
s'agissait de fonder une société européenne. En effet, une
des quatre possibilités pour la constitution d'une société
européenne, consiste en la fusion de deux ou plusieurs
sociétés de capitaux, constituées selon le droit d'un Etat
membre et ayant leur siege statutaire et leur administration centrale dans la
communauté, à la condition que deux d'entre elles au moins
relevent du droit d'Etats membres différents (article 2 al 1 dudit
reglement). Ce reglement reprend les définitions retenues par la
directive 78/855/CEE concernant les fusions, la fusion pouvant ainsi etre
réalisée par absorption ou par constitution.
Ce reglement répondait à la préoccupation
de l'Union européenne de la constitution au niveau européen de
sociétés de dimension suffisamment importante pour pouvoir faire
face à la concurrence mondiale et faciliter ainsi l'intégration
de l'économie européenne par l'intégration des
entreprises.48 Pourtant, il s'est avéré etre un outil
précieux pour l'adoption de la directive 2005/56/CE. En effet, ce
reglement posait un cadre juridique aux fusions transfrontalieres dont les
législateurs européens se sont largement inspirés pour la
rédaction de la directive 2005/56/CE portant sur les fusions
transfrontalieres de sociétés de capitaux, tant du point de vue
du régime de participation des salariés que de celui purement
technique de l'opération de fusion.49
La directive n° 2005/56/CE adoptée le 26 octobre
2005 par le Parlement européen et le Conseil leve les obstacles des
techniques juridiques à la réalisation d'opérations
transfrontalieres.50 Elle reprend en premier lieu les
définitions établies aux articles 3 et 4 de la directive
78/855/CE concernant les fusions. Mais aux fusions par constitution et par
absorption, la directive 2005/56/CE ajoute une troisieme forme de fusions, la
fusion simplifiée, lorsque la société absorbante
détient 100% des titres représentatifs du capital de la
société absorbée. Pour cette fusion, la procédure
applicable est simplifiée. De plus, cette directive apporte une autre
variante en ce qu'elle s'applique aussi lorsque le droit d'un Etat membre
concerné permet le paiement d'une soulte en espece supérieure
à 10% de la valeur nominale ou à défaut du pair
comptable.51 Cette modalité a été introduite
dans le droit francais à l'article L236 -26 du Code de commerce, ce qui
suppose une modification de l'article 210-0 A du Code général des
Impôts pour que la fusion avec soulte supérieure à 10%
bénéficie de la neutralité fiscale applicable aux
opérations de fusions aux sens de ce texte fiscal.
48 J. Boucourechliev, Les voies de lÕEurope
des Societes, JCP E, 1996, 560.
49 M. Menjucq, Droit international et europeen des
societes, Domat droit privé, Montchrestien, 2008, §322.
50 M. Menjucq, Les fusions transfrontalieres de
societes de capitaux , rev Lamy dr. Aff. Mai 2006, p10.
51 M. Menjucq, Droit international et europeen des
societes, Domat droit privé, Montchrestien, 2008, §325.
Ç Au delà de la directive 2005/56/CE,
résolvant les difficultés relatives à lÕobjet et
aux méthodes de la fusion transfrontaliére, cette operation a
été consacrée dans son principe par la Cour de Justice des
Communautés Européennes, dans un arrest Sevic du 13
décembre 2005, affaire C411/03, comme une modalité de la
liberté dÕétablissement communautaire, ce qui interdit
dorénavant aux Etats membres de sÕopposer à
lÕimmatriculation dÕune société issue dÕune
fusion transfrontaliére È.52 Toute discrimination
entre les fusions nationales et transfrontaliéres est contraire à
lÕarticle 49 du traité sur le fonctionnement de lÕUnion
européenne53. Par cet arrest, la cour européenne
applique pour la première
fois la jurisprudence
54
portant sur la liberté dÕétablissement aux
fusions transfrontalières.
Suite à lÕarrêt Sevic de la cour de
justice des communautés eur opéennes, la directive 2005/56/CE
peut sembler superficielle et sans grand interest, puisque cet arrest interdit
les Etats membres de sÕopposer aux fusions transfrontaliéres.
Mais cet arrest ne pose quÕun principe. Sans la directive 2005/56/CE qui
établit une procedure pour la réalisation
des fusions
transfrontaliéres, celles-ci ne seraient certes pas
impossibles, mais difficilement réalisables.55
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