conciliables
Il s'agira ici de montrer comment il est difficile pour le
droit de la biodiversité de concilier données scientifiques et
exigences environnementales avec les préoccupations à
caractère anthropocentriste. Cette réalité apparaît
clairement dans le contenu de la Convention notamment au niveau de ses
objectifs et principes.
Dans un premier mouvement, il sera question de la
détermination des objectifs et principes de la Convention (Paragraphe
1), puis dans un deuxième mouvement, nous soulèverons les
différents points et éléments qui justifient leur
difficile conciliation (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La détermination des objectifs et
principes de la Convention
A- les objectifs de la Convention
L'article premier de la Convention dispose que : « les
objectifs de la présente Convention, dont la réalisation sera
conforme à ses dispositions pertinentes, sont la conservation de la
diversité biologique, l'utilisation durable de ses
éléments et le partage juste et équitable des avantages
découlant de l'exploitation des ressources génétiques,
notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources
génétiques et à un transfert approprié des
techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et
aux techniques, et grâce à un financement adéquat.
».
Ainsi, il ressort de la lecture de cette disposition trois
objectifs majeurs. Il s'agit respectivement :
· de la conservation de la diversité biologique ;
· de l'utilisation durable des éléments de
cette diversité ;
· du partage juste et équitable des avantages
découlant de l'exploitation des ressources
génétiques.
La conservation et l'utilisation durable de la diversité
biologique, suppose le développement de stratégies nationales
pour la conservation et l'utilisation durable
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de la diversité biologique4 qui permettront
notamment d' identifier et de contrôler les éléments
constitutifs de la diversité biologique (écosystèmes,
espèces, génomes et gènes) importants pour sa conservation
et son utilisation durable, aux fins de conserver les données qui s'y
rapportent. En outre, la mise en oeuvre des objectifs de la Convention
impliquera la surveillance et l'analyse scientifique des processus et
activités susceptibles d'avoir une influence défavorable sur la
conservation et l'utilisation durable. Aux termes de la Convention, la
conservation de la diversité biologique dans chaque pays peut se faire
de différentes manières. Deux types de conservation ressortent
expressément de la présente Convention au niveau des articles 2,
8 et 9. La conservation «in-situ», premier moyen de conservation, qui
concerne la conservation des gènes, des espèces, et des
écosystèmes dans leurs milieux naturels en créant, par
exemple, des zones protégées, en reconstituant les
écosystèmes dégradés, et en adoptant une
législation propre à assurer la protection des espèces
menacées. Ensuite, la conservation «ex-situ» s'effectue dans
les zoos, les jardins botaniques et les banques de gènes qui conservent
les espèces.
Il deviendra de plus en plus important d'encourager
l'utilisation durable de la biodiversité, si l'on veut maintenir la
diversité actuelle dans les années et les décennies
à venir. Il est judicieux de rappeler que l'utilisation durable de la
diversité biologique suppose une utilisation des éléments
constitutifs de la diversité biologique d'une manière et à
un rythme qui n'entrainent pas leur appauvrissement à long terme, et
sauvegardent ainsi leur potentiel pour satisfaire les besoins et les
aspirations des générations présentes et futures. Aux
termes de la Convention, l'approche de la conservation et de l'utilisation
durable de la diversité biologique doit permettre d'agir dans un cadre,
où tous les biens et services fournis par la biodiversité dans
les écosystèmes sont pris en compte.
Outre leurs activités nationales, les États
doivent coopérer, selon qu'il conviendra, directement ou par
l'intermédiaire d'organisations internationales compétentes,
notamment à l'octroi d'un appui financier et autre pour les
activités de conservation des pays en voie de développement, la
coopération technique et scientifique, l'éducation, la formation
et la sensibilisation du public mais aussi la notification et l'échange
d'informations en cas d'activités susceptibles de nuire ou de
présenter un danger grave ou imminent, et faciliter les arrangements aux
fins de l'adoption de mesures d'urgence (articles 5 et 12-14).
4 Article 6. Mesures générales en
vue de la conservation et de l'utilisation durable de la CDB
En ce qui concerne le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques, la Convention encourage l'accès aux ressources
génétiques, selon des modalités mutuellement convenues et
avec le consentement préalable de la Partie qui fournit ces ressources,
et la participation du fournisseur à la recherche scientifique
afférente. Il faut donc retenir que la Convention sur la
diversité biologique reconnaît que la souveraineté
nationale s'étend à toutes les ressources
génétiques, ainsi lorsqu'un micro-organisme, un
végétal, ou un animal est utilisé à des fins
commerciales, le pays dont il provient a le droit de tirer partie des avantages
qui en découlent. Ces avantages peuvent prendre la forme de paiements en
espèces, d'une participation à toute forme de
bénéfices réalisés grace à l'exploitation de
ces ressources, du transfert d'équipement ou de des ressources
recueillies, de formation et de participation des chercheurs.
L'accès aux technologies et le transfert de
celles-ci aux pays en voie de développement doivent être
assurés et/ou facilités à des conditions justes et les
plus favorables et les États doivent prendre des mesures
législatives et administratives afin que le secteur privé
participe à ces activités (articles 15-16).
A cet effet, il serait judicieux de rappeler que la
réalisation de ces objectifs implique nécessairement la prise en
compte des droits des Etats sur les ressources et les techniques et des
questions de financement.
B- les principes de la Convention
La CDB énonce plusieurs principes destinés
à encadrer la mise en oeuvre de ses objectifs. Chacun d'eux,
présente une particularité au niveau de son mode de
consécration.
Il s'agit notamment des principes de souveraineté des
Etats sur leurs ressources5, de précaution6, de
partage juste et équitable des avantages découlant de
l'exploitation des ressources génétiques7, et enfin du
principe reposant sur le concept de développement durable, celui de
l'utilisation durable.
5 ROSENBERG Dominique, Le principe de
souveraineté des États sur leurs ressources naturelles.
6 Préambule de la Convention sur la
Diversité Biologique Préambule du Protocole de Cartagena sur la
prévention des risques biotechnologiques.
7 Protocole de Nagoya sur l'accès aux
ressources génétiques et le partage juste et équitable des
avantages découlant de leur utilisation.
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En vertu du principe de la souveraineté des Etats sur
leurs ressources, les Etats disposent du droit souverain d'exploiter leurs
ressources naturelles, ils ont a ce titre le droit de déterminer seuls
leurs politiques à suivre et les réglementations
nécessaires à la mise en oeuvre de ces politiques.
En effet, ce principe a été
singulièrement consacré au niveau de l'article 3 de la CDB qui
dispose que : « Conformément à la Charte des Nations
Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain
d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et
ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées
dans les limites de leur juridiction ou sous le contrôle ne causent pas
de dommage à l'environnement dans d'autres Etats ou dans des
régions ne relevant d'aucune juridiction nationale ».
L'adoption de ce principe par la CDB a été le
fruit de négociations intenses entre pays en développement et
pays développés au niveau de l'accès des ressources
biologiques. Les pays en développement, en majorité riches en
biodiversité souhaitaient obtenir un large pouvoir de contrôle sur
leurs ressources biologiques. A l'opposé, les Etats du Nord qui sont
avancés en matière de biotechnologies, désirent que
celles-ci bénéficient d'un régime de protection
via des droits de propriété intellectuelle. Finalement
la CDB, en consacrant le principe de la souveraineté en son article 3, a
opté pour la souveraineté nationale des Etats proposée par
les pays en développement en reléguant notamment la notion de
patrimoine commun de l'humanité en un simple concept.
La complexité écologique liée à la
notion de diversité biologique, le développement des sciences du
vivant notamment par la biotechnologie et ses effets imprévisibles sur
l'environnement, les impératifs de développement durable, sont
des raisons permettant de comprendre l'intégration du principe de
précaution dans la CDB.
Le principe de précaution est une des innovations
juridiques les plus importantes de la dernière décennie du XXe
siècle. C'est un principe juridique particulièrement utile par
rapport à la protection de l'environnement et de la santé des
populations.
La précaution est la gestion a priori, consistant
à la prise de mesures face à un risque mal connu ou inconnu. Il
se manifeste notamment par les études d'impact environnementales sur les
projets de développement. La précaution vise à limiter des
risques potentiels ou hypothétiques. Le principe de précaution a
été l'un des plus
importants de la Déclaration de Rio sur l'environnement
et le développement. Il fut expressément consacré dans la
déclaration au titre du Principe 15 qui stipule : « Pour
protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent etre
largement appliquées par les États selon leurs capacités.
En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour
remettre à plus tard l'adoption des mesures effectives visant à
prévenir la dégradation de l'environnement. ». En ce
qui concerne la CDB, le principe de précaution tire sa
consécration juridique du point 9 du Préambule qui stipule
que lorsqu'il existe une menace de réduction sensible ou de perte de la
diversité biologique, l'absence de certitudes scientifiques totales ne
doit pas être invoquée comme raison pour différer les
mesures qui permettraient d'en éviter le danger ou d'en atténuer
les effets. Il faut cependant rappeler que ce principe a été
récemment consacré par deux Protocoles négociés
dans le cadre de la CDB. Il s'agit respectivement du Protocole de Cartagena sur
la prévention des risques biotechnologiques de 2000 et du Protocole de
Nagoya l'accès aux ressources génétiques et le partage
juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation de
2010.
Les deux principes qui suivent à savoir le principe
du partage juste et équitable des avantages découlant de
l'exploitation des ressources génétiques, et celui de
l'utilisation durable bien que consacré par la Convention sur la
diversité biologique sont en réalité des corollaires du
principe de souveraineté des Etats dans la mesure où il revient
aux Etats conformément à leurs droits souverains de créer
les conditions pour faciliter l'accès aux ressources
génétiques pour des utilisations environnementales
adéquates.
Il faut retenir que le principe de souveraineté des
Etats sur leurs ressources est dans le cadre de la CDB, le principe fondamental
de gestion des ressources biologiques8. Par conséquent, la
mise en oeuvre des différents objectifs de la Convention ainsi que la
satisfaction des intérêts des Etats parties à la Convention
devront se faire dans le profond et strict respect de ce principe.
8 Préambule et article 3 de la Convention sur
la Diversité Biologique montre l'importance et le caractère
incontournable de ce principe que ce soit au niveau de l'accès aux
ressources génétiques, qu'au niveau du partage des
bénéfices.
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