B. L'adoption d'un système `'sui
generis»
Les pays en développement membres de l'OMC, ayant
souscrit à l'Accord de l'OMC sur les ADPIC se trouvent donc dans
l'obligation d'adopter un système sui generis efficace et
adapté pour la protection des variétés quand ils ne
prévoient pas le système de brevet34 . C'est là
un des enjeux majeurs des rapports entre la CDB et l'Accord de l'OMC sur les
ADPIC pour les pays en développement de manière
générale et ceux d'Afrique en particulier. A travers l'Accord sur
les APDIC, l'OMC oblige les Etats Parties à se doter d'un système
de propriété intellectuelle. L'article 27.3 b de l'Accord sur les
ADPIC permet d'exclure les végétaux de la brevetabilité
« à condition que les variétés
végétales soient protégées par un système
`'sui generis» efficace. Les partisans d'une protection de type
libéral, industriels et pays occidentaux principalement,
défendent l'idée que la meilleure protection `'sui generis est la
Convention de l'UPOV. A l'opposé, les partisans d'une protection
collective et communautaire estiment que le système des brevets et celui
proposé par l'UPOV présentent les mêmes
caractéristiques et la même finalité notamment renforcer
les droits des obtenteurs au détriment de celui des agriculteurs et des
communautés locales. Quels sont donc les critères qui serviront
aux pays en développement et à
33 Commission de la propriété
intellectuelle et industrielle, 15 septembre 1999, l'accord relatif aux APDIC
et la Convention sur la Diversité Biologique : quel conflit ?
3' Voir le document produit en collaboration entre BEDE
(Bibliothèque d'Echange de Documentation et d'Expériences), GRAIN
(Genetic Ressources Action International) et INADES Formation en Avril 2006
intitulé : Les droits des communautés africaines, face aux DPI,
le Neem, l'arbre gratuit, patrimoine de la médecine traditionnelle de
l'Inde, aujourd'hui spolié par des soi-disant bioprospecteurs,
détenteurs de brevets.
l'Afrique en particulier dans le cadre de la constitution et de
l'adoption d'un système de protection sui generis efficace ?
J.A. Ekpere, Chercheur à la Commission de la
Technologie et de la recherche de l'OUA déclarait ceci35 :
« Le type de droits dont l'Afrique a besoin, ce n'est pas de Droits de
Propriétés Intellectuelles (DPI), sous monopole de l'entreprise
privée, mais de droits qui soutiennent les communautés locales,
les agriculteurs, les populations indigènes, et les efforts qu'ils ont
accomplis tout au long du dernier millénaire, pour conserver et
améliorer la biodiversité pour le bénéfice de
l'humanité entière ». Le mot sui generis veut dire
simplement spécifique et unique « de son espèce.
Les Etats ont donc une multitude de possibilités pour adopter les
systèmes qu'ils veulent pourvu que ceux-ci soient efficaces. Les
systèmes sui generis doivent être une alternative au brevet. Ils
sont au croisement des questions de rémunération des innovations
(l'objectif de l'Accord de l'OMC sur les APDIC), d'accès de ressources
génétiques et de protection des savoirs traditionnels (objectifs
de la CDB). Les pays en développement devront notamment s'inspirer du
Traité International sur les ressources phytogénétiques
pour l'alimentation et l'agriculture de la FAO qui, adopte le principe du libre
accès des ressources par les communautés locales, énonce
la notion de droit des agriculteurs et fait prévaloir
l'intérêt général.
En outre, Pour marquer sa réticence vis-à-vis de
l'option de l'ADPIC qui fait la part belle aux industries biotechnologiques et
aux semenciers-obtenteurs de l'UPOV, l'OUA devenue UA s'est placée
à l'avant-garde d'une autre réflexion sur l'usage du vivant.
L'initiative de l'UA36 de développer une
« Législation modèle sur la protection des droits des
communautés locales, des agriculteurs et des sélectionneurs, et
pour la régulation de l'accès aux ressources biologiques
».
Le modèle de législation de l'UA pourrait servir
de base pour un système `'sui generis'' adéquat aux
conditions et au niveau de développement des pays africains et rendre
compatible leur position avec l'Accord sur les ADPIC. Il a certes beaucoup
d'avantages pour les pays africains mais reste toutefois très
limité.
35 Voir le document produit en collaboration entre
BEDE (Bibliothèque d'Echange de Documentation et d'Expériences),
GRAIN (Genetic Ressources Action International) et INADES Formation en Avril
2006 intitulé : Les droits des communautés africaines
36 La Loi-modèle africaine, adopté en
juillet 2001 à Lusaka en Zambie, a avant tout le mérite de
souligner l'inadaptation du système de l'Accord sur les ADPIC.
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Les principes de base de la loi modèle africaine sont
tirés de la CDB et tiennent compte des coutumes et traditions des
peuples africains. Ils insistent sur la non brevetabilité du vivant, la
souveraineté, les droits et les responsabilités
inaliénables de l'Etat, la valeur des connaissances autochtones, le
consentement préalable donné en connaissance de cause, le partage
juste et équitable des bénéfices.
Ce dernier est en effet accusé d'accorder des monopoles
sur des être vivants tout en refusant catégoriquement d'admettre
les innovations communautaires collectives et d'être opposé aux
aspirations des communautés qui sont en premier lieu les innovatrices de
la biodiversité nécessaire à la survie de la
planète. La Loi-modèle refuse le brevetage du vivant et ne fait
pas obstacle au privilège de l'agriculteur (article 3). En
matière d'accès aux ressources biologiques ainsi qu'aux
connaissances associées, la Loi-modèle affirme non seulement la
nécessité du consentement de l'Etat, mais aussi celle du
consentement des communautés locales et autochtones.
L'article 5 reconnaît les communautés locales
comme étant « les conservatrices légitimes et uniques
des connaissances, innovations et pratiques » et engage les Etats
à respecter leurs droits. De plus, elle s'inscrit parfaitement dans la
logique de la CDB car elle réitère ses principes les plus
importants pour les pays en développement. D'une part, elle revalorise
et promeut considérablement le principe de souveraineté des
Etats, d'autre part, elle prend en considération les vraies
préoccupations des populations africaines notamment la
sécurité alimentaire, le partage équitable, la
santé des populations
Si la Loi-modèle de l'UA est silencieuse sur certaines
questions, notamment sur les définitions des termes utilisés
ainsi que sur la concrétisation finale des méthodes de partage
entre les différentes communautés, elle reste par ailleurs
très critiquée par l'OMPI et l'UPOV. Il existe des controverses
sur les la loi modèle de l'UA, elle doit notamment relever deux
défis majeurs.
Le premier est lié au fait que le projet ne semble pas
prendre en considération certaines questions importantes aux yeux des
pays développés. La Loi-modèle remet
en question ce qui est convenu dans l'Accord sur les ADPIC,
notamment en matière de la brevetabilité du vivant et de la
protection des DPI de manière générale37.
Nombreuses sont les critiques actuelles que l'UPOV et l'OMPI
adressent à l'UA. Loin de faciliter le dialogue, elles remettent en
question la Loi-modèle. L'OMPI s'est empressée de mettre en avant
que l'interdiction des brevets sur les organismes vivants allait contre
l'article 27.3 b des accords ADPIC qui exige la reconnaissance des brevets au
moins sur les micro-organismes. Elle rejette le principe
d'inaliénabilité des droits des communautés inclus dans la
Loi-modèle. Pour le reste, la thèse de l'OMPI souligne de
nombreuses imperfections concernant la manière dont la Loimodèle
entend la définition et l'opérationnalité des droits des
communautés.
Pour sa part, l'UPOV a retravaillé plus de 30 articles
de la Loi-modèle afin de la rendre conforme aux standards de leur propre
convention. On l'aura bien compris, la bataille ne fait que commencer !
Le second défi est celui de garder l'unité du
groupe africain qui commence à se perdre. Les nombreuses pressions
qu'exercent les pays industrialisées sur certains pays africains ne sont
pas de nature à rendre le débat plus serein et équitable.
Devant cette situation, les incohérences entre le régime de la
biodiversité de la CDB et celui des DPI de l'Accord sur les ADPIC,
illustrées par l'incompatibilité entre les objectifs et moyens de
l'un et les dispositions de l'autre, ne pourrait en fin de compte se
résoudre qu'au détriment des pays en développement. Il
convient de rappeler que le Groupe de Travail Spécial Intersessions
à Composition Non Limitée sur L'article 8 (J) et des dispositions
connexes de la Convention sur la Diversité Biologique à
abordé les questions relatives à l'élaboration
d'éléments de systèmes sui generis de protection
des connaissances, innovations et pratiques traditionnelles afin d'identifier
les éléments prioritaires38.
En somme, il convient de retenir que le droit de la
biodiversité est caractérisé par un droit conventionnel
limité en raison de la confrontation perpétuelle des enjeux
environnementaux, sociaux et économiques. L'illustration nous a
été donnée d'une part, à travers une analyse de la
CDB et d'autre part, dans le cadre d'une étude
37 La Convention sur la Diversité Biologique et
Les Accords de Droit de Propriété Intellectuelle : enjeux et
perspectives, Solagral 2001, Hélène IIbert.
38 Cinquième réunion du Groupe de
travail tenue à Montréal, du 15 au19 octobre 2007
comparative de la CDB avec d'autres instruments juridiques
internationaux notamment l'Accord sur les APDIC. Aujourd'hui plus que jamais,
il conviendrait d'envisager un Droit International de l'Environnement plus
adapté aux défis liés à la conservation de la
biodiversité, susceptible de concilier les aspirations
environnementales, économiques et financières de la conservation
de la biodiversité, à travers un arsenal juridique
approprié.
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