B. La méconnaissance des droits des
communautés locales
La CDB exige, au niveau de ses articles 8j et 10, de la part
des Etats parties la promotion des droits des communautés, des
agriculteurs et des populations autochtones en ce qui concerne l'usage
traditionnel des ressources biologiques et des systèmes de connaissance.
A l'opposé, les systèmes de DPI prévus par l'Accord sur
les APDIC ne prennent pas en considération cette préoccupation.
Les critères qu'ils posent pour qu'une innovation, puisse
bénéficier d'une protection notamment ceux relatifs à la
nouveauté et aux applications industrielles affaiblissent les droits des
communautés locales et écartent les innovations
traditionnelles28. En réalité, l'Accord sur les ADPIC
ne reconnaît ni explicitement, ni implicitement aucun DPI à
l'égard des droits des communautés autochtones et locales. Il
considère uniquement les DPI des individus et non ceux détenus
sur une base collective par la communauté ou par la nation dans sa
totalité29. Les connaissances traditionnelles et locales,
compte tenu de leur nature même ne peuvent jouir d'une protection sous
l'Accord sur les ADPIC. En effet, le critère de nouveauté ne
semble pas pouvoir s'appliquer aux connaissances et inventions traditionnelles
qui, eux sont, par essence anciennes. De même, l'obligation pour le
demandeur de brevet de divulguer le contenu détaillé de son
invention en contrepartie de sa protection par le brevet risque de permettre
l'érosion des droits des peuples indigènes et locaux qui verront
leurs connaissances ancestrales manipulées par les intérêts
commerciaux et de contredire leurs valeurs spirituelles et religieuses. De
plus, les connaissances
28 Voir le document produit en collaboration entre
BEDE (Bibliothèque d'Echange de Documentation et d'Expériences),
GRAIN (Genetic Ressources Action International) et INADES Formation en Avril
2006 intitulé : Les droits des communautés africaines, face aux
DPI page 29.
29 La Convention sur la diversité biologique et
Les Accords de Droit de Propriété Intellectuelle : enjeux et
perspectives, Solagral 2001, Hélène IIbert.
traditionnelles et les droits qui s'y attachent sont en
général des droits collectifs alors que les DPI sont des droits
privés. Les DPI sur les formes de vie, proposés par l'Accord sur
les ADPIC, ne répondent pas aux besoins des pays en
développement30. Il en est de même, du système
de Droits d'Obtentions Végétales (DOV), considéré
comme plus souple par rapport au brevet et qui s'inscrit parfaitement dans la
philosophie des économies industrielles, où l'accent est mis sur
la protection des investissements et des intérêts de grandes et
influentes entreprises semencières, qui emploient les
sélectionneurs professionnels.
Enfin, les systèmes classiques de DPI ont des
implications profondes sur la sécurité alimentaire nationale et
régionale, ainsi que sur le développement rural et la
santé des populations des pays sous développés. Ils
encouragent la biopiraterie en ce sens qu'ils permettent d'exploiter les
innovations et créativités des communautés tout en leur
privant des bénéfices économiques en découlant, qui
sont pourtant essentiels pour leur survie. A titre d'illustration, nous pouvons
évoquer le cas du Neem en Inde qui est un pur exemple de
biopiraterie31.
En effet depuis plus de 2000 ans, le Neem est appelé
« l'arbre gratuit » en raison du fait qu'il symbolise la
diversité des espèces et la libre circulation des connaissances
dont il dispose. Il est utilisé en Inde, en médecine et en
agriculture, il possède notamment des vertus insectifuges et
antiparasitaires très apprécier par les fermiers qui s'en servent
à l'effet de purifier l'air et soigner presque toutes les maladies des
animaux. En Inde, la loi sur les brevets de 1970 interdisait toute
brevetabilité des produits agricoles et médicinaux.
Malheureusement, en 1971, l'importateur de bois américain Robert Larson
constatant les bienfaits du Neem, importait des semences de Neem dans sa
compagnie au Wiscosin. Dans la décennie suivante, il a mené des
expériences sur la sécurité et le rendement d'un pesticide
extrait du Neem, appelé Margosan-O. En 1985, l'EPA (Environmental
Protection Agency ou l'Agence pour la Protection de l'Environnement) lui
délivre l'autorisation de mettre ce produit en
30 Voir le document produit en collaboration entre
BEDE (Bibliothèque d'Echange de Documentation et d'Expériences),
GRAIN (Genetic Ressources Action International) et INADES Formation en Avril
2006 intitulé : Les droits des communautés africaines, face aux
DPI page 30 à 33.
31 Voir le document produit en collaboration entre
BEDE (Bibliothèque d'Echange de Documentation et d'Expériences),
GRAIN (Genetic Ressources Action International) et INADES Formation en Avril
2006 intitulé : Les droits des communautés africaines, face aux
DPI, le Neem, l'arbre gratuit, patrimoine de la médecine traditionnelle
de l'Inde, aujourd'hui spolié par des soi-disant bioprospecteurs,
détenteurs de brevets page 45 à 49.
32
circulation. Trois ans plus tard, il vendait le brevet du
produit à la multinationale de produits chimiques Grace. La
multinationale Grace est parvenue à aménager en Inde une usine
qui traite près de 20 tonnes de graines par jour. Elle mit
également sur pied un réseau de fournisseurs de semences du Neem
jouant sur l'extrême pauvreté des populations indiennes, pour
s'assurer un approvisionnement constant. La conséquence directe, c'est
que le Neem a perdu sa qualité d'« arbre gratuit » dans la
mesure où ces 20 dernières années, le prix du Neem est
passé de 300 roupies par tonnes à 3000 voire 4000 roupies par
tonne. Ainsi, pour lutter contre cet abus des DPI, plus de 200 organisations
ont contesté devant les tribunaux deux des brevets détenus par la
multinationale Grace, l'un aux Etats-Unis et l'autre à l'OEB. Le 10 mai
2000, l'OEB annule le brevet détenu conjointement par le Gouvernement
américain et Grace, aux motifs que ce brevet était fondé
sur le pillage de connaissances existantes et manquait de nouveautés et
d'inventivité. Certes, cette décision est une victoire, mais elle
paraît insignifiante car le mal a été déjà
commis.
L'ensemble de ces éléments permet de constater
que le régime des DPI, s'il paraît raisonnable dans le contexte
des pays industrialisés, est injuste pour les pays en
développement, d'où la nécessité pour ces derniers
de trouver des alternatives plus adaptées.
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