B- Le regroupement familial des enfants mineurs
Le droit au regroupement familial bénéficie aux
enfants mineurs de dix huit ans venant rejoindre leur père ou leur
mère régulièrement établi sur le territoire
français (1). En outre, des enfants « recueillis
» par un membre du couple peuvent également se prévaloir du
droit au regroupement familial (2).
1- Les enfants nés d'un membre du couple
conjugal
Le regroupement familial peut être sollicité au
bénéfice des enfants mineurs de dix huit ans nés de
parents mariés ensemble. Le droit au regroupement familial n'est pas
réservé aux enfants communs des époux. Sous certaines
conditions, il est également reconnu aux enfants nés d'une
précédente relation de l'un des conjoints91
L'étranger qui séjourne
régulièrement en France peut solliciter le regroupement familial
au bénéfice de son conjoint et des enfants mineurs du
couple92. La minorité des enfants titulaires du droit au
regroupement familial s'apprécie à la date du dépôt
de la demande du regroupement familial, le délai d'instruction de la
demande ne devant pas influer sur la réalisation de la condition
d'âge93. Elle est déterminée au regard du droit
français, quel que soit le seuil prévu par la loi nationale de
l'étranger94. Seuls les mineurs de moins de dix-huit ans
peuvent être admis sur le territoire français au titre du
regroupement familial95, indépendamment de leur
capacité à s'intégrer dans la communauté
française, notamment au regard de leur âge et de leur
faculté d'acquérir les connaissances linguistiques.
En principe, lorsqu'un étranger polygame réside en
France avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement
familial ne peut être accordé à un autre conjoint ni aux
enfants nés de
91 Cf. Article L.411-2 du Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile. Rappr. de l'article 4,
paragraphe 1. point b) de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative
au regroupement familial qui vise différemment les enfants mineurs du
regroupant et de son conjoint.
92 Cf. Article L.411-1 du Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile.
93 Cf. Article R. 411-3 du CESEDA. Rappr. De : TA Lyon, 20
décembre 1993, EL Bouadli, JCP G 1994, IV, 2322, p.304.
94 Rappr. De l'article 4, paragraphe 1, alinéa 2 de la
directive 2003/86/CE relative au regroupement familial aux termes duquel les
enfants « doivent être d'un âge légal inférieur
à la majorité légale de l'État membre
concerné ». L'application de la règle de conflit de lois
énoncée par l'art. 3 du Code civil devrait conduire à
apprécier la minorité d'un étranger par rapport à
sa loi nationale.
95 CE, Ass. 29 juin 1990, req. N° 78519, GISTI c.
Ministère de l'intérieur, Rec Lebon , p. 171, concl. R.
Abraham; AJDA 1990, p. 631, note G. Teboul.
cette union96. En d'autres termes, seuls les
enfants du demandeur et de son conjoint qui réside en France peuvent
bénéficier de la procédure de regroupement familial. Les
enfants nés des autres unions ne peuvent valablement soutenir que le
refus de les autoriser à pénétrer sur le territoire
français serait discriminatoire, dès lors que cette mesure est
justifiée par la défense de la famille monogame à laquelle
les États occidentaux sont fermement attachés. En
conséquence, le sort des enfants nés d'une union polygame
dépend non pas du lien de filiation, mais du statut du parent, conjoint
d'un étranger bigame, défini par la politique migratoire du pays
hôte. Ainsi dans l'affaire EL Abasse97, la
mère de l'enfant n'étant pas autorisée à habiter
dans le pays d'accueil dans la mesure où son mari y résidait
déjà avec une autre épouse, la Cour européenne des
droits de l'homme a considéré que l'enfant ne pouvait pas se
prévaloir de la procédure de regroupement familial.
Toutefois, lorsqu'un conjoint bigame réside en France
avec un premier conjoint, il peut être fait droit à la demande de
regroupement familial sollicitée au bénéfice des enfants
nés de l'union avec un autre conjoint, si ce dernier est
décédé ou a été déchu de ses droits
parentaux98. Dès lors que le parent avec qui l'enfant
résidait est décédé ou déchu de ses droits
parentaux, l'intérêt de l'enfant justifie que lui soit reconnu le
droit de rejoindre son autre parent, aux fins du regroupement familial, alors
même que ce dernier vit avec un autre conjoint, car cette
possibilité offre à l'enfant un cadre familial dont il ne dispose
pas, ou plus, à l'étranger. De même, dans son
intérêt, le regroupement familial d'un enfant né d'un
divorce est admis.
Le sort des enfants nés d'une précédente
union ou relation du demandeur ou de son conjoint a connu une évolution
heureuse. Sous l'empire de la loi du 24 août 1993, le regroupement
familial pouvait être sollicité « pour les enfants mineurs de
dix huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande,
la filiation n'était établie qu'à l'égard du
demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent était
décédé ou déchu de ses droits parentaux
»99. Les systèmes juridiques étrangers ne
prévoyant pas forcément la procédure de
déchéance, l'enfant resté dans le pays d'origine avec un
parent qui se désintéresserait de lui ne pouvait pas
bénéficier de la procédure de regroupement familial.
L'application littérale de ces dispositions privait les étrangers
installés en France d'être rejoint par leur enfant mineur dont
l'autre parent était ressortissant d'un pays dont la législation
ignorait la procédure de déchéance. Elle exposait le
demandeur à un refus100.
96 V. Art. L. 411-7, al.1er, du CESEDA
97 Comm. EDH, déc. du 6 janvier 1992, req. n°
14501/89, Alliouch El Abasse, spec. p. 128.
98 V. Art. L. 411-7, al. 1er in fine, du CESEDA
99 Cf. Art. 29 I al. 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
100P. WEIL (dir.), Mission d'étude des législations
de la nationalité et de l'immigration, Pour une politique de
Dans une circulaire du 24 juin 1997 relative au
réexamen de la situation de certaines catégories
d'étrangers en situation irrégulière101, il a
été observé que l'application stricte de ces règles
pouvait « conduire à des situations humainement difficiles ».
C'est pourquoi, lorsque le parent résidant en France ne pouvait produire
le document attestant de la déchéance de l'autorité
parentale de l'autre parent, alors que les autres conditions du regroupement
étaient satisfaites, les préfets étaient invités
à demander à l'intéressé de fournir une copie du
jugement du tribunal étranger compétent lui confiant la garde de
l'enfant ainsi qu'une autorisation de l'autre parent pour laisser partir le
mineur en France102. La portée de cette instruction
ministérielle demeurait restrictive puisque le dispositif était
réservé aux enfants de moins de dix ans, considérés
comme les plus vulnérables, et qui étaient susceptibles d'obtenir
un titre de séjour à leur majorité. La jurisprudence
adopta une position plus souple en admettant le regroupement familial dans
l'hypothèse où la législation étrangère
connaissait une institution équivalente à la
déchéance.
Le tribunal administratif de Paris fut saisi de la demande
d'une mère tendant à l'annulation d'une décision par
laquelle le préfet des Hauts-de-Seine avait refusé de l'autoriser
à faire venir sa fille sur le territoire français. Le tribunal
décida de soumettre le dossier au Conseil d'État pour
avis103. Deux questions étaient alors posées à
la Haute juridiction administrative : d'une part, le tribunal s'interrogeait
sur le fait de savoir si les dispositions de l'article 29 I de l'ordonnance du
2 novembre 1945 alors applicable, dans sa rédaction issue de la loi du
24 août 1993, impliquaient que fût rejetée la demande d'un
étranger tendant à l'admission en France de son enfant mineur
alors que l'autre parent était ressortissant d'un pays dont la
législation ne prévoyait pas la possibilité de prononcer
la déchéance de l'autorité parentale ; d'autre part, en
cas de réponse négative, le tribunal souhaitait connaître
les critères auxquels devaient répondre les actes susceptibles
d'être produits par les demandeurs pour être
considérés comme équivalents à une
déchéance de l'autorité parentale dans le cadre de la mise
en oeuvre de la procédure du regroupement familial.
Le Conseil d'État a considéré que, lors de
l'examen d'une demande de regroupement
l'immigration juste et efficace, Rapport remis au
Premier ministre le 31 juillet 1997, la documentation française, Coll.
Des rapports officiels, 1997, p.77.
101V. JORF, 26 juin 1997, p. 9819; D. 1997,
légis., p. 301.
102Point 1.5.3 de la circulaire.
103Avant de statuer sur une requête soulevant une question
de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et
se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la Cour
administrative d'appel peut, par un jugement ou un arrêt qui n'est
susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au conseil
d'État qui examine dans un délai de trois mois la question
soulevée. Sur la procédure de consultation pour avis
instaurée par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987, voir
note D. Labetoulle, Ni monstre, ni appendice, « le renvoi »
de l'art.12, RFD adm. 1988, pp. 213-218.
familial, l'autorité administrative devait examiner si
la législation étrangère applicable à l'enfant dont
la venue en France était sollicitée, prévoyait une
procédure équivalente à la procédure de
déchéance de l'autorité parentale adoptée en droit
français104. Le Conseil d'État n'a pas répondu
à la seconde question dans la mesure où il a constaté que
la législation nationale en cause, le droit colombien, prévoyait
un régime équivalent à la procédure de
déchéance du droit français. En conséquence, en
l'espèce, la venue de la fille mineure de la requérante pouvait
être autorisée au titre du regroupement familial. Le
tempérament de l'équivalence introduit par le Conseil
d'État constituait un progrès. Mais il demeurait encore trop
restrictif dans l'hypothèse où la loi étrangère ne
connaissait pas d'institution équivalente aux procédures
françaises de déchéance ou de retrait de l'autorité
parentale105
La nouvelle rédaction de l'article 29 I de l'ordonnance
du 2 novembre 1945 adoptée quelques mois plus tôt par le
législateur français a corrigé les imperfections du
régime antérieur. A été consacré le droit au
regroupement familial au bénéfice des enfants mineurs de dix-huit
ans confiés à l'étranger régulièrement
établi en France ou à son son conjoint, au titre de l'exercice de
l'autorité parentale, en vertu d'une décision
étrangère106. Cette disposition marque un
progrès indéniable, mais il peut être regretté que
ne soit pas visée l'hypothèse de l'attribution, de plein droit ou
par une autorité non juridictionnelle, de l'autorité
parentale107. Dans l'intérêt de l'enfant, le cas
échéant, il convient d'interpréter largement ces
dispositions, en admettant les cas d'attribution de l'autorité
parentale, par la loi nationale de l'enfant ou des parents; ou bien par une
décision d'une autorité juridictionnelle ou administrative
compétente.
Désormais, outre les enfants communs des époux,
deux catégories de mineurs sont bénéficiaires du
regroupement familial. D'une part, peuvent bénéficier du
regroupement familial les enfants mineurs du demandeur et ceux de son conjoint
dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à
l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est
décédé ou déchu de ses droits
parentaux108. D'autre part, le regroupement familial peut être
sollicité pour les enfants
104CE, Avis n° 187438, 21 octobre1998, Mme Ramos, Gaz.
Pal. 1999, 1, panor. dr. Adm., p. 81 ; Rev. crit. DIP 1999, pp.
493-500, note F. Jault.
105La loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à
l'adoption ( JORF, 6 juillet 1996, p. 10208) a substitué le retrait de
l'autorité parentale à la déchéance.
106Rappr. De l'article 4, paragraphe 1, points a) et c) de la
directive 2003/86/CE : il est reconnu un droit au
regroupement familial aux enfants mineurs du regroupant et de son
conjoint lorsque ceux-ci exercent le droit de
garde et en ont la charge. En revanche, lorsque la garde est
partagée, les États ne sont plus tenus d'autoriser le
regroupement familial. Ils peuvent le permettre, sous
réserve du consentement de l'autre titulaire du droit de garde. 107F.
JAULT, note sous CE, Avis, 21octobre 1998, Mme Ramos, Rev. Crit. DIP
1999, pp. 493-500, spéc. p. 499. 108V. Art. L. 411-2 du CESEDA
mineurs de dix-huit ans et ceux de son conjoint, qui sont
confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice
de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une
juridiction étrangère dont la copie doit être produite,
accompagnée du consentement de l'autre parent à la venue de
l'enfant en France109 dans les formes prévues par la
législation du pays de résidence110.
La restriction au droit au regroupement familial des enfants
nés d'une précédente relation du demandeur n'est pas en
soi critiquable dans la mesure où ce régime garantit le droit au
respect de la vie familiale du parent qui réside à
l'étranger, en lui permettant de maintenir des relations normales avec
l'enfant. Elle devient contestable lorsqu'elle prive un étranger
établi en France de la possibilité d'être rejoint par
l'enfant alors que le parent resté à l'étranger s'en
désintéresse ou le maltraite. Dans cette hypothèse, le
parent établi en France doit avoir la possibilité d'accueillir
l'enfant, indépendamment d'une décision étrangère
prononçant le retrait de l'autorité parentale ou une mesure
équivalente111. En outre, dans l'intérêt de
l'enfant, il doit être permis de passer outre l'opposition de l'autre
parent et d'admettre l'enfant en France aux fins du regroupement familial.
Notamment, il peut être envisagé de passer outre le refus du
parent s'il s'avère qu'il se désintéresse de l'enfant, le
maltraite ou met en danger sa santé physique ou morale.
Outre les enfants communs du couple, marié ou
nés d'une relation antérieure de l'un des conjoints, sous
réserve que les intéressés aient une filiation
légalement établie112 dont la preuve est
rapportée par la production de tout acte de l'état civil
étranger, conformément aux dispositions de l'article
47113 du Code civil ou bien, en cas d'inexistence de l'acte de
l'état civil ou de doute quant à son authenticité, qui n'a
pu être levé par la possession d'état, par identification
grâce aux empreintes génétiques, le regroupement familial
s'étend également à certains enfants « recueillis
».
109V. Art. L. 411-3 du CESEDA
110V. Art. R. 421-5 du CESEDA
111En ce sens, voir F. JAULT note sous CE, Avis, 21 octobre 1998
préc.
112L'étranger mineur dont la loi personnelle prohibe
l'établissement des filiations hors mariage ne peut donc
bénéficier d'un regroupement familial. Toutefois, en pratique,
leur auteur qui réside en France a la possibilité de le
reconnaître et les autorités préfectorales accueillent
alors la demande de regroupement familial, à moins qu'un motif de refus
ne soit opposé.
113Cf. Art. 47 du Code civil modifié par la Loi
2006/1376 du 14 novembre 2006 qui dispose que : « Tout acte de
l'état civil des français et des étrangers fait en pays
étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce
pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus , des
données extérieures ou des éléments tirés de
l'acte lui-même, établissent le cas échéant ,
après vérifications utiles, que cet acte est irrégulier,
falsifié ou que les faits qui y sont déclarées ne
correspondent pas à la réalité. »
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