2- Les enfants «recueilis »
Les enfants ayant une filiation légalement
établie, en vertu d'une décision d'adoption, peuvent
bénéficier du regroupement familial. En revanche, les enfants
simplement recueillis ne sont pas en principe, titulaires du droit au
regroupement familial114.
Le regroupement familial vise non seulement les adoptés
sous la forme plénière115, mais aussi les mineurs
adoptés sous la forme simple116. Le regroupement familial des
enfants adoptés est soumis à un régime spécifique
puisque le procureur de la République près le tribunal de grande
instance dans le ressort duquel est domicilié le demandeur
contrôle la régularité de la décision d'adoption et
son caractère définitif quand elle a été
prononcée par une autorité étrangère117.
En outre, lorsque le regroupement familial est sollicité pour un enfant
adopté alors que son retour au foyer de ses parents biologiques est
possible, la demande de regroupement familial doit être examinée
au regard du respect de l'intérêt de l'enfant. Par exemple, il a
été jugé que le refus du regroupement familial
motivé par la possibilité d'un retour de l'enfant au foyer de son
père biologique méconnaissait l'intérêt
supérieur de l'intéressé car, adopté à
l'âge de trois semaines et ayant depuis toujours vécu
auprès de ses parents adoptifs, son retour aurait porté atteinte
à son équilibre psychologique et à ses liens
affectifs118. Le regroupement familial peut donc être
sollicité pour les enfants adoptés. Mais les autres modes
d'accueil ou de prise en charge d'un enfant, telle que la
kafala119 n'ouvre pas, en principe, ce droit.
114Dans un arrêt isolé, le Conseil d'État a
assimilé une décision juridictionnelle de kafala
à une adoption: le regroupement familial d'une mineure marocaine
bénéficiant d'une kafala avait été
autorisé, mais le consul avait refusé de délivrer le visa.
Considérant que l'enfant devait être regardée comme ayant
fait l'objet d'une adoption, le Conseil d'État a estimé que
l'autorité consulaire n'était pas fondée à
s'opposer à la délivrance du visa (CE, 8 juin 2005, req. N°
221774, Mohamed A.).
115Adoption provoquant une rupture de tout lien juridique entre
la famille d'origine et l'enfant adopté et assimilant ce dernier
à un enfant légitime dans la famille légitime. Cf. Art.
343 s. du Code civil
116Adoption laissant subsister des liens juridiques entre
l'enfant et sa famille d'origine, tout en créant des liens de filiation
entre l'adoptant et l'adopté. Cf. Art. 360 s. du Code civil.
117cf. Articles L.411-4 et L. 314-11 du CESEDA
118CAA Paris, 5 décembre 2000, req. n°98PA02437,
Epoux Neggaoui, Rec Lebon,T., pp. 1037-1038. 119A l'instar de
l'adoption (plénière ou simple), il existe deux types de
Kafala
-La kafala notariale ou adoulaire établie devant notaire,
qui correspond le plus souvent à une adoption intrafamiliale, les
parents de l'enfant étant connus et
déléguant leurs droits et obligations à un membre de la
famille ;
-La kafala judiciaire, ordonnée par un juge lorsque
l'enfant a été déclaré abandonné, qui permet
à un enfant qui en est
dépourvu d'avoir une famille dans laquelle
s'épanouir.
Quelque soit sa forme, la kafala se définit
habituellement comme un engagement à titre volontaire de prendre en
charge les besoins, l'éducation et la protection d'un enfant mineur
« de la même manière qu'un père le ferait pour son
fils ». Aucun nouveau lien de filiation ne se crée, la filiation
avec la famille d'origine, ou l'absence de filiation, devant rester
gravée sur les registres, d'état civil. En revanche, la kafala
entraine l'exercice de l'autorité parentale par le « kafil »
ou le parent recueillant et une obligation de prise en charge et d'entretien de
l'enfant qui cesse à sa majorité.
Par ailleurs, la kafala est un concept juridique particulier
aux pays musulmans, qui s'appuie entièrement sur une
En 1987, le tribunal administratif de Limoges a
considéré qu'un enfant confié à un étranger
séjournant régulièrement en France pouvait être
admis aux fins du regroupement familial. Il a estimé que la prise en
charge par des époux marocains d'une jeune fille aux termes d'une
décision de justice étrangère qualifiée «
d'acte de remise d'enfant » attestait l'existence d'un lien juridique leur
octroyant « une véritable autorité parentale dont le plein
exercice [supposait] la normalité d'une vie familiale commune » et
impliquait donc que la jeune fille pût entrer en France au titre du
regroupement familial120.
Cette interprétation n'a pas été reprise
par le législateur français. Le regroupement familial est
réservé aux enfants du demandeur ou de son conjoint à
l'égard desquels la filiation est établie. Or, si la kafala
opère un transfère d'autorité parentale, elle ne
modifie nullement le lien de filiation existant entre l'enfant et ses parents
biologiques121. Le parent à qui il est confié ne peut
donc se prévaloir d'un lien de filiation avec l'enfant sur le fondement
duquel il pourrait revendiquer le droit au regroupement familial. Il en va de
même en cas de délégation de l'autorité
parentale122.
La jurisprudence du tribunal Limougeaud n'est plus
d'actualité, mais elle n'est pas anachronique puisque dans le cadre de
l'Accord franco-algérien, ce droit est reconnu. Par application de cet
accord, l'enfant juridiquement à charge en vertu d'une décision
judiciaire algérienne peut rejoindre les parents à qui il a
été confié123. Dès lors, un
préfet ne peut refuser la demande de regroupement familial à un
algérien résidant régulièrement en France
présentée pour sa nièce dont la garde lui a
été confiée par un jugement d'un tribunal
algérien124. A l'exception des enfants algériens, les
enfants recueillis, ceux qui sont seulement à la charge d'un membre
établi en France ou ceux qui font l'objet d'une délégation
de l'autorité parentale ne sont pas titulaires du droit au regroupement
familial.
interprétation de certains articles du Coran sur la
question de la filiation. Elle est reconnue par la Convention des Nations unies
du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant , mais pas par la
Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la
coopération en matière d'adoption internationale, dont le champ
recouvre toutes les formes d'adoption créant un lien de filiation. La
kafala est donc exclue de son champ.
120TA Limoges, 17 décembre 1987, Mme Khatouff.
121Cass. Civ. 1Ere, 10 octobre 2006, bull. Civ. I,
n°431 et 432, pp. 370-372 ; D. 2007, jurisp. ,pp. 816-821, note H.
FULCHIRON.
122CE, 18 octobre 1996, req. n°153669, Oustou, D.
1998, somm. comm., p.17, comm. F. Julien-Laferrière.
La délégation de l'autorité parentale
peut être totale ou partielle, mais jamais définitive. A tout
moment, les parents peuvent recouvrer leurs droits vis-à-vis de leurs
enfants. On distingue deux types de délégation d'autorité
parentale qui sont : la délégation volontaire et la
délégation forcée.
123Cf. le titre II du protocole annexé à
l'Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 prévoit que
le regroupement familial peut être sollicité pour les enfants
mineurs d'un ressortissant algérien ainsi que pour les enfants de moins
de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu d'une
décision de l'autorité judiciaire algérienne. « Les
membres de la famille s'entendent du conjoint du ressortissant algérien
de ses enfants mineurs ainsi que des enfants de moins de dix huit ans, dont il
a juridiquement la charge en vertu d'une décision de l'autorité
judiciaire algérienne dans l'intérêt supérieur de
l'enfant. »
124TA Limoges, 24 juin 1993, Merouani, JCP G 1994, IV,
744, pp. 97-98.
Toutefois, dans des circonstances particulières, le
respect de la vie familiale est susceptible de fonder l'admission de l'enfant
sur le territoire français. Sous le contrôle du juge de
l'excès de pouvoir, il appartient aux autorités
préfectorales de s'assurer qu'une décision refusant le
bénéfice du regroupement familial sollicité pour un enfant
n'appartenant pas à l'une des catégories visées par les
dispositions légales, ne porte pas une atteinte excessive aux droits des
intéressés au respect de leur vie privée et familiale et
ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de
l'enfant125.
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