A- Le droit au regroupement familial du conjoint
L'admission en France au titre du regroupement familial
concerne tout d'abord le conjoint. La qualité de conjoint est
attachée à la célébration régulière
d'un mariage en France ou à l'étranger. Si la qualité
d'époux ne posait jusqu'alors pas de problèmes particuliers,
l'avènement des mariages de même sexe constitue un nouvel objet de
débats. Se pose alors la question de savoir si des étrangers
régulièrement mariés selon leur loi personnelle peuvent se
prévaloir de leur qualité d'époux dans le cadre de la
procédure de regroupement familial. En France, cette possibilité
est écartée puisque le regroupement familial est
réservé au conjoint au sens du droit interne, c'est-à dire
à l'homme et à la femme composant le couple
conjugal55.
Le sort du conjoint de même sexe du citoyen
européen n'est pas plus favorable. Au sens de l'article 2, paragraphe 2,
point a) de la directive, le terme conjoint est réservé aux
membres d'un couple marié composé de deux personnes de sexe
différent. Au moment de la discussion de la proposition de la directive,
le Parlement européen avait préconisé d'adopter une
définition du terme conjoint en visant toute personne mariée,
quel que soit son sexe56. Cet amendement a été
rejeté par le Conseil qui n'a pas souhaité opter pour une
définition qui englobe explicitement les personnes de même sexe
mariées, dès lors que la majorité des États membres
de l'Union ne prévoit pas de dispositions pour les mariages
homosexuels57. Il n'est donc pas exclu, à l'avenir, une
évolution dans l'appréciation du terme conjoint. Mais, pour
l'heure, le terme conjoint vise seulement un rapport fondé sur un
mariage entre deux personnes de sexe opposé. Seul le conjoint de sexe
différent du citoyen européen a le droit d'entrer et de
séjourner sur le territoire de l'État membre58,
dès lors que les intéressés ne sont pas
divorcés59 alors même qu'ils vivraient
séparés60.
55 Sur cette définition du mariage, voir Cass. civ. 1ere,
13 mars 2007, bull. Civ. 2007, I, n°113 pourvoi n°05-16627 Cf. Art.
144 du Code civil tel que modifié par la loi n° 2006-399 du 4 avril
2006, JORF, 5 avril 2006 : « l'homme et la femme ne peuvent
contracter mariage avant dix ans révolus ».
56 V. Art. 2, paragraphe 2, point a) de la Résolution
législative du Parlement européen sur proposition de directive du
Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de
l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner
librement sur le territoire des États membres, JOCE C 43 E, 19
février 2004, p. 42.
57 Il a été soutenu que le « terme mariage,
selon la définition communément admise par les Etats membres,
désigne une union entre personnes de sexe différent [...] sauf
évolution future » (COM (2003) 199 final, du 15 avril 2003
(proposition modifiée, p.11). Rappr. de : Position commune (CE) n°
6/2004 arrêtée par le Conseil le 5 décembre 2003, JOUE
C 54 E, 2 mars 2004, p. 12 (Cf. l'exposé des motifs du conseil, p.
28).
58 V. Art. 2, paragraphe 2, point a) combiné avec
l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE.
59 CJCE, 17 avril 1986, aff. 59/85, État
néerlandais c. Ann Florence Reed, point 15, Rec. CJCE, p. 1283,
concl. C. Otto Lenz.
60 CJCE, 13 février 1985, aff. 267/83, Aissatou Diatta
c. Land Berlin, points 18 et 20, Rec CJCE, p.567, concl. M. Darmon.
Afin d'assurer une meilleure intégration et de
prévenir des mariages forcés, la directive 2003/8661
permet aux États membres d'exiger que le regroupant ou son conjoint
aient atteint un âge minimal qui ne peut être supérieur
à vingt-et-un ans, avant que ne puisse être revendiqué le
droit au regroupement familial62. Jusqu'à une époque
récente, une telle restriction n'était pas introduite en droit
interne. L'article 44 de la loi du 24 juillet 2006 modifie cette règle.
Désormais, il est prévu que l'étranger
régulièrement établi en France « peut demander
à bénéficier de son droit à être rejoint, au
titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est
âgé d'au moins dix-huit ans »63. Cette restriction
du droit au regroupement familial, réservée au seul conjoint
majeur, au sens du droit français, s'inscrit dans la suite du
relèvement de 15 à 18 ans de l'âge nubile de
l'épouse opérée par la loi du 4 avril 2006 visant à
lutter et prévenir les mariages forcés64.
Le droit de vivre en famille n'implique pas le droit pour les
étrangers bigames à vivre avec leurs différents conjoints.
Le principe de la prohibition du regroupement familial des époux bigames
a été consacré par la loi du 24 août 1993 et il n'a
jamais été remis en cause65. Un étranger ne
saurait se prévaloir de son statut personnel autorisant la bigamie pour
faire venir sur le territoire français ses différents conjoints.
Le regroupement familial d'un autre conjoint d'un étranger bigame vivant
en France avec un premier époux doit être refusé par les
autorités françaises66. Le cas des Algériens
polygames fut un temps discuté dans la mesure où l'accord
franco-algérien ne contenait aucune stipulation expresse en cette
matière. Tel que modifié par l'avenant du 11 juillet
200167, l'article 4, alinéa 6 de l'accord
franco-algérien, exclut expressément la venue des
différentes épouses d'un Algérien : « lorsqu'un
ressortissant algérien dont la situation matrimoniale n'est pas conforme
à la législation réside sur le territoire français
avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne
peut être accordé par les autorités françaises
à un autre conjoint »68.
Lorsque l'étranger sollicitant le regroupement familial
est ressortissant d'un État autorisant la
61 Directive du 22 septembre 2003 relative au regroupement
familial précité.
62 V. Art. 4 § 5 de la directive 2003/86 du 22 septembre
2003.
63 V. Art. L. 411-1 du CESEDA, tel que modifié par
l'article 44 de la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006.
64 Cf. Loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la
prévention et la répression des violences au sein du couple ou
commises contre les mineurs, JORF, 5 avril 2006, p. 5097.
65 V. Art. L. 411-7 du CESEDA.
66 V. Art L. 411-7 al. 1er du CESEDA.
67 Décret n°2002-1500 du 20 décembre 2002
portant publication du troisième avenant à l'accord du 27
décembre 1968 entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République algérienne
démocratique et populaire relatif à la circulation, à
l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et
de leurs familles et à son protocole annexe, signé à Paris
le 11 juillet 2001, JORF, 26 décembre 2002, p. 21614.
68 Cette solution coïncide avec l'évolution du droit
de la famille algérien qui, quoique ne l'interdisant pas
expressément a une approche de plus en plus restrictive de la polygamie,
au moins depuis 1984.
bigamie, il doit produire une déclaration sur l'honneur
certifiant que le regroupement familial ne crée pas une situation
irrégulière de polygamie. Dans l'hypothèse où le
demandeur aurait déjà sollicité l'admission d'un premier
conjoint au titre du regroupement familial, il lui appartient de prouver que
l'union avec le conjoint résident en France a été dissoute
antérieurement à la sollicitation du regroupement familial au
bénéfice d'un second conjoint, à la suite d'un
décès ou d'une procédure de divorce69.
La situation des étrangers qui ont
répudié une première épouse pose des
problèmes spécifiques. Une répudiation homologuée
par une autorité juridictionnelle étrangère produit les
mêmes effets qu'un divorce dans le pays où l'homologation
judiciaire intervient. L'étranger régulièrement
établi en France peut donc arguer de cet acte pour justifier de la
dissolution de l'union avec la femme qui vivait avec lui en France et se faire
rejoindre par une autre épouse. En pratique, ces cas peuvent
s'avérer délicats. Le tribunal administratif de Besançon a
été saisi par un marocain qui contestait la décision du
préfet du Jura lui refusant le droit au regroupement familial au
bénéfice de la femme qu'il avait épousée en seconde
noce70. Le préfet considérait que
l'intéressé était bigame, estimant que l'acte de
répudiation de sa première épouse n'avait pas dissous
cette union dans la mesure où il avait été rendu hors de
la présence de la femme. Partant du constat que
l'intéressé se croyait valablement libéré de sa
première union, et en l'absence de toute allégation de fraude, le
commissaire du gouvernement invitait le tribunal à constater que le
requérant n'était pas bigame. Le tribunal a suivi les
conclusions. Après avoir constaté que la répudiation est
un mode de dissolution du mariage admis par la loi nationale des deux
époux, il a considéré que le requérant avait
coupé le lien matrimonial avec sa première épouse et,
partant, il ne se trouvait pas dans la situation d'un étranger polygame
résidant sur le territoire français avec un premier conjoint. La
demande de regroupement familial pouvait donc être accueillie.
En ce domaine, les instructions ministérielles
apparaissent plus restrictives, mais en substance, la position adoptée
est identique. Se référant aux arrêts de la Cour de
cassation du 1er juin 199471 et du 11mars 199772, selon
lesquels les répudiations ne produisent effet en France que si la partie
défenderesse a été régulièrement
citée, présente ou légalement représentée,
le ministre de l'Emploi et de la solidarité et le ministre de
l'Intérieur, cosignataires de la circulaire du 28 février 2000
69 v. Art. R. 421-5 4° du CESEDA.
70 TA de Besançon, 29 juin 1995, M. Mohamed Ibar c.
Préfet du Jura, RFD adm. 1996, pp. 533-534, concl. F. Garde.
71 Cass. Civ. 1Ere, juin 1994, EL Madani, Bull. Civ. I,
n°192, pp.141-142 .
72 Cass. Civ. 1Ere, 11 mars 1997, Dame Malki c. Sieur Bahri,
D. 1997, jurispr., pp. 400-403, note M.-L. NiboyetHoegy.
relative au regroupement familial, invitent les préfets
à vérifier que ces mentions figurent expressément dans
l'acte de répudiation. A défaut, les préfets sont
fondés à requérir la production de tout document attestant
que, lors du prononcé de la décision, la partie
défenderesse a été légalement citée ou
représentée. Si ces éléments ne peuvent être
vérifiés, le demandeur qui sollicite le regroupement familial
pour un nouveau conjoint doit être considéré comme
polygame. Dès lors, s'il ne peut attester la présence à
l'étranger de son précédent conjoint, un refus peut
être opposé à sa demande73. Le regroupement
familial n'est pas exclu lorsque le demandeur démontre qu'il n'y a plus
de communauté de vie avec la première épouse sur le
territoire français. C'est donc la communauté de vie en France
avec plusieurs épouses qui est prohibée.
A cet égard, la position adoptée par certaines
décisions de juridictions du fond peut paraître restrictive.
Ainsi, dans un jugement du 21 octobre 2003, le tribunal administratif
d'Orléans a considéré qu'un préfet est fondé
à rejeter la demande de regroupement familial présentée
par un Marocain au profit de sa seconde épouse alors que la
première, dont il prétendait être divorcé,
résidait toujours en France. Selon la juridiction orléanaise,
l'ordre public français en matière internationale s'opposant
à la reconnaissance du jugement de divorce rendu au terme d'une
procédure non contradictoire, le Préfet pouvait estimer que le
lien matrimonial n'avait pas été rompu et, partant, refuser de
faire droit à la demande de regroupement familial sollicitée au
bénéfice de la seconde épouse74. Dans une
décision du 9 février 2006, le tribunal administratif de Dijon a
également statué en ce sens. Il a considéré que
c'est à bon droit que le préfet avait refusé le
bénéfice du regroupement familial à la seconde
épouse d'un Marocain qui se trouvait en situation de polygamie dans la
mesure où le jugement du tribunal marocain homologuant la
répudiation dont avait fait l'objet la première épouse
n'était pas opposable en France car elle n'avait pas été
appelée en la cause75. Dans un arrêt du 10 avril 1998,
la Cour administrative d'appel de Lyon a également adopté cette
position76.
Certes, les conditions de la dissolution de lien conjugal sont
sujettes à caution, mais, eu égard à la question de
l'admission d'un autre conjoint aux fins du regroupement familial, il importe
de vérifier, in concreto, l'absence de situation de polygamie,
sans se prononcer sur la validité du mode de dissolution du mariage. A
défaut, à la lumière de la jurisprudence récente
aux effets de
73 V. Circulaire du 28 février 2000 relative au
regroupement familial, pp. 15-16, point III-B-1, abrogée et
remplacée
74 TA Orléans, 21 octobre 2003, req. n°01-4511,
Boudabbouz, Rec. Lebon, T., p. 808.
75 TA Dijon, 9 février 2006, req. n°0500624 et
0500918, M. et Mme Naciri.
76 CAA Lyon, 10 avril 2008, req. n° 06LY02165, M.
Mokadim, AJDA 2008, p. 1557.
répudiations sur le territoire
français77, selon laquelle les procédures de
répudiation sont intrinsèquement contraires à l'ordre
public français en matière internationale78, tout
étranger qui répudierait l'une de ses épouses et qui
solliciterait le regroupement familial au bénéfice d'une autre
risque de se voir opposer ce motif. Il importe de privilégier une
méthode pragmatique, sans que soit porté un jugement sur la
validité de la répudiation en tant que mode de dissolution du
lien conjugal. Dès lors, au regard du droit au regroupement familial,
seules les situations de bigamie avérée devraient justifier le
rejet d'une demande. Dans la circulaire du 17 janvier 2006, le ministre de
l'Emploi, de la cohésion sociale et du logement et le ministre de
l'Intérieur et de l'aménagement du territoire ont d'ailleurs
adopté cette position. Lorsqu'une union précédente a
été dissoute par une décision qui n'est pas opposable en
France, telle la répudiation unilatérale du mari, le demandeur
peut faire venir un second conjoint sous réserve qu'il apporte la preuve
que le précédent conjoint ne se trouve pas sur le territoire
français79.
Ajoutons qu'il fut un temps où le juge estimait que
« le jugement de répudiation » violait le droit au
procès équitable, du fait du caractère unilatéral
de la décision de répudiation, de l'absence de citation à
comparaitre de l'épouse. Période servant de base à la
circulaire du 28 février 2000. Mais depuis 2004, le juge80
estime que ce jugement de répudiation viole le principe
d'égalité des époux servant cette fois de base à la
circulaire de 2006 susmentionnée, permettant aussi un revirement de la
Cour de cassation.
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