Section 2 : Le regroupement familial et le droit
communautaire
Le droit au regroupement familial a tout d'abord
été reconnu aux membres de la famille des citoyens
européens (§1), avant qu'il ne soit étendu
aux membres de la famille d'un étranger régulièrement
établi sur le territoire d'un État membre
(§2).
§ 1 : Le regroupement familial des membres de la
famille du citoyen européen
En droit communautaire, le droit au regroupement familial est
entendu comme un droit propre du travailleur communautaire. Il a pour objet de
permettre l'intégration du travailleur dans le pays dans lequel il s'est
établi pour exercer une activité professionnelle. A cette fin,
des droits dérivés sont reconnus aux membres de sa famille, en
particulier le droit d'entrer, de séjourner et de travailler. Le droit
au regroupement familial et la reconnaissance de droits dérivés
aux membres de la famille sont donc entendus comme des moyens de rendre
effectif l'exercice de la liberté de circulation des travailleurs
communautaires garantie par le Traité de Rome145.
Indirectement, la vie familiale des citoyens européens
est protégée en vue d'éliminer les obstacles à
l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité de
Rome146. Cet objectif est la clef de voûte de la
consécration du droit au regroupement familial au bénéfice
des membres de la famille du citoyen européen. Le rattachement au droit
au respect de la vie familiale est plus récent.
En 1989, à la lumière des stipulations de l'article
8 de la Convention européenne, La Cour de justice des communautés
européenne a considéré que le regroupement familial
constituait un droit
145Le droit au regroupement familial n'est pas
réservé aux étrangers membres de la famille du citoyen
européen. Il a également été reconnu dans le cadre
de l'application de l'Accord d'association conclu entre l'union
européenne et la Turquie. Le droit au regroupement familial est reconnu
aux travailleurs turcs afin de rendre effectif l'accès au marché
du travail dans les États membres de l'Union européenne.
146Voir not. : CJCE, 11 juillet 2002, aff. C-60-00, Mary
Carpentier, point 38 ; CJCE, 25 juillet 2002, aff. C-459/99, MRAX c.
Belgique, point 53.
fondamental147. Depuis, la référence au
droit au respect de la vie familiale est plus prégnante.
§ 2 : Le regroupement familial des membres de la
famille des étrangers
Jusqu'à une époque récente, ni le droit
communautaire originaire ni le droit communautaire dérivé, ne
consacraient le droit au regroupement familial des étrangers au sens du
droit communautaire, c'est à dire des ressortissants qui n'ont pas la
nationalité de l'un des États membres. L'adoption de la directive
2003/86/CE du Conseil européen du 22 septembre 2003 relative au droit au
regroupement familial148 marque donc une étape importante
dans la protection des droits des étrangers dans les États
membres de l'Union européenne. Le droit au regroupement familial est
défini comme étant la cohésion au sein du pays
d'accueil149. Il permet donc d'atteindre un double objectif
correspondant pour le premier à un intérêt individuel,
garantir la vie familiale des étrangers, et pour le second à un
intérêt général, assurer la cohésion sociale
et économique dans les pays d'accueil .
Le champ d'application personnel de la directive 2003/86/CE
est restreint. Le régime défini dans cet instrument communautaire
ne s'applique qu'aux ressortissants de pays tiers titulaires d'un titre de
séjour d'une durée de validité supérieure ou
égale à un an et justifiant d'une perspective fondée
d'obtenir un droit de séjour permanent150 ainsi qu'aux
réfugiés151. Les étrangers qui ont
sollicité la reconnaissance de la qualité de
réfugié et dont la demande n'a pas fait l'objet d'une demande
définitive152, les bénéficiaires de protections
temporaire ou subsidiaire et les membres de la famille d'un citoyen
européen153 sont exclus de son domaine d'application.
Élaborée à partir d'un
147CJCE, 18 mai 1989, aff. C-249/86, Commission c.
République fédérale d'Allemagne, point 10, Rec. CJCE,
p. 1263, concl. J.Mischo ; JDI 1990, chron. De jurisprudence de la
Cour de justice des communautés européennes, pp. 476- 477, obs.
M-C Boutard-Labarde.
148Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative
au droit au regroupement familial, JOUE L 251, 3 octobre 2003, p. 12.
Sur ce texte , voir not. : C. Urbano de Sousa, le regroupement familial au
regard des standards internationaux, in F. Julien-Laferrière, H.
Labayle et Ö. Edstrôm (dir.), La politique européenne
d'immigration et d'asile : bilan critique 5 ans après le Traité
d'Amsterdam, pp. 127-139.
149Considérant 4 de la directive 2003/86/CE : « le
regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en
famille. Il contribue à la création d'une stabilité
socioculturelle facilitant l'intégration des ressortissants des pays
tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir
la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la
Communauté énoncé dans le Traité instituant la
Communauté européenne ».
150 Cf. Art. 1Er et 3, paragraphe 1, de la directive
2003/86/CE.
151 Cf. Art. 9, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE.
152 Cf. Art. 3, paragraphe 2, point a) de la directive
préc.
153 CF. Art. 3, § 3 de la directive . Le regroupement
familial des membres de la famille du citoyen européen qui a
exercé son droit à la libre circulation est régi par la
directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril
2004 relative a droit des citoyens de l'Union et des membre de leur famille.
dénominateur commun minimal des politiques nationales
migratoires, la directive est un texte novateur dans la mesure où le
droit des étrangers au regroupement familial est formellement
consacré par l'Union européenne alors que, jusqu'ici, le droit au
regroupement familial garanti par le règlement (CEE) 1612/68, concernait
exclusivement les travailleurs communautaires154. En outre,
l'adoption de règles communes permet d'éviter que les
étrangers choisissent un pays d'accueil en considération du
régime favorable au regroupement familial adopté dans cet
État.
La directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre
2003155 étend le régime de regroupement familial
défini par la directive 2003/86/CE aux membres de la famille du
résident de longue durée, c'est à dire du ressortissant
d'un État tiers156 qui réside de manière
légale et ininterrompue depuis cinq ans sur le territoire d'un
État membre157. Afin de maintenir l'unité familiale et
de ne pas entraver l'exercice du droit au séjour du résident de
longue durée. Les membres de sa famille peuvent l'accompagner ou le
rejoindre dans tout État membre autre que celui qui a octroyé le
statut de résident de longue durée et dans lequel il exerce son
droit de séjour158. Les membres de sa famille qui remplissent
les conditions visées à l'article 4, paragraphe 1, de la
directive 2003/86/CE sont autorisés à l'accompagner . Pour les
autres membres de la famille, les États sont libres de les autoriser
à vivre auprès du résident de longue
durée159. Le deuxième État membre, remet aux
membres de la famille un titre de séjour renouvelable de durée
identique à celle du titre délivré au résident de
longue durée. Lorsque le résident de longue durée a
fondé une famille dans le deuxième État membre, il est
fait application des règles énoncées par la directive
2003/86/CE160.
Le droit au regroupement familial au sens de la directive
2003/86/CE est fondé sur l'obligation des États de
protéger la famille et de respecter la vie familiale. Dans la directive
2003/109/CE, à l'instar de la directive 2004/38/CE du Parlement
européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au
154H. TAGARAS, le champ d'application personnel du regroupement
familial et de l'égalité de traitement des membres de la famille
du travailleur dans le cadre du règlement 1612/68, Cah. dr. Eur. 1998,
pp. 329-341.
155Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative
au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue
durée, JOUE L 16, 23 janvier 2004, pp. 44.
156Le champ d'application ratione personae de la directive est
défini de manière restrictive. Aux termes de son article 3,
§ 2, elle ne s'applique pas aux ressortissants de pays tiers qui : «
a) séjournent pour faire des études ou suivre une formation
professionnelle : b) sont autorisés à séjourner dans un
État membre en vert d'une protection temporaire ou ont demandé
l'autorisation de séjourner pour ce même motif et attendent une
décision sur leur statut... .
157 V. Art. 4, § 1 de la directive 2003/109/CE.
158 Lorsque le résident concerné exerce son droit
de séjour dans un deuxième État membre, les membres de sa
famille ne peuvent l'accompagner ou le rejoindre que si la famille était
déjà constituée dans le premier État membre. Le
principe et les conditions de séjour dans un deuxième État
membre du résident de longue durée sont énoncées
aux articles 14 à 23 de la directive 2003/109/CE.
159 V. Art.16 § 2 , de la directive 2003/109/CE.
160 V. Art. 19, § 3 de la directive 2003/109/CE.
Par ailleurs, avec la signature du Traité de
Lisbonne161, outre le fait que la Charte des droits fondamentaux de
l'Union a dorénavant une force juridique contraignante, l'on peut enfin
de nouveau affirmer que l'harmonisation européenne sur la politique
migratoire se veut être dorénavant effective, notamment en ce qui
concerne le regroupement familial avec l'article 63 bis dudit
Traité qui dispose que :
« 1. L'union développe une politique commune de
l'immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion
efficace des flux migratoires, un traitement équitable des
ressortissants de pays tiers en séjour régulier dans les
États membres, ainsi qu'une prévention de l'immigration
illégale et de la traite des êtres humains et une lutte
renforcée contre celle-ci ;
2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le
Conseil, statuant conformément à la
procédure législative ordinaire, adoptent les
mesures dans les domaines suivants :
a) les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que
les normes concernant la délivrance par les États membres de
visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins
du regroupement familial ; ... ». Il n'en demeure pas moins, que le
Traité de Lisbonne ne vient que consolider les instruments juridiques
communautaires existants en leur donnant une force juridique obligatoire.
Ceci dit, l'on a pu constater tout au long de cette
première partie, que les États membres de l'Union
européenne, tiennent à préserver leur souveraineté
en matière migratoire, en voulant maîtriser les flux migratoires,
notamment, pour le regroupement familial en particulier. Ainsi, ces
restrictions législatives des États membres applicables au
regroupement familial, tel qu'en France, pouvant susciter des discriminations,
ne laissent pas les juges des libertés fondamentales162
indifférents. A cet égard, un contrôle visant à
faire respecter et appliquer cette liberté fondamentale qui est «
le respect de la vie familiale » s'impose.
161 Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre
2007, et entré en vigueur le 1er décembre 2009.
162 En l'occurrence, le juge communautaire, le juge
européen, le juge administratif, le juge constitutionnel.
|