2o - Deuxième étape
38 - L'évolution de la jurisprudence ne s'est pas
arrêtée à ce stade, la réaction contre la stricte
interprétation des articles se lançait depuis le début du
XIXe siècle(43). Ce mouvement aboutissait à
l'extension du domaine de solidarité aux délits civils, vu la
sûreté procurée à la victime.
On peut souligner dans cette étape deux voies
d'arrêts, ceux qui interprètent strictement l'article 1202 du code
civil, et ceux qui s'appuient sur l'article 55 du Code pénal.
39 - En 1813(44) la cour de cassation, et pour la
première fois, condamna solidairement les coauteurs d'une injure. Le
sieur Pasteur et son fils ont battu Desbiez qui les avait injuriés. La
cour d'appel les a condamnés solidairement. Ils formaient pourvoi au
motif que la condamnation solidaire est contre l'article 1202 C.civ., la cour
de cassation rejetait le pourvoi en : « Considérant que, dans
l'espèce et les circonstances de la cause, la condamnation solidaire aux
dommages et intérêts et dépens ne doit être
regardée, quant aux dépens, que comme la supplément et le
complément de la réparation civile du délit qui avait
donné lieu à l'action, et qu'en ce sens, elle n'est contraire ni
à l'art. 1202 du code civil, ni à aucune loi ».
40 - Cette formule fut encore affirmée le 29 novembre
1836(45), et à plusieurs reprises la cour de cassation l'a
réaffirmée(46).
41 - L'étendue restrictive de l'article 1202 du C. Civ.
incitait la jurisprudence à s'appuyer
(42) Besançon, 3 août 1859, D., 1860.2.4 ; Lyon, 21
mai, 1855, D., 1856.2.35 ; Bourges, 16 mai 1870, D., 1871.2.98 ; Douai, 9 juin
1896, D., 1898.2.206 ; Bourges, 16 mai 1870, D., 1871.2.98 ; Douai, 9 juin
1896, D., 1898.2.206.
(43) Lafay, thèse précitée, page35.
(44) Cité par Toullier, op. cit., tome XI,
no 152, page 198.
(45) Cass. Civ., 29 nov. 1836, D., 1836.1.131 «
Attendu, y est-il dit, que l'article 1202 du Code civil qui statue que la
solidarité ne se présume pas, qu'il faut qu'elle soit
expressément stipulée, indique manifestement par cette
dernière expression que la règle posée par 1'article 1202
ne gouverne que la solidarité contractuelle ; qu'elle ne saurait donc
s'appliquer aux cas des délits et des quasi-délits, lesquels
constituent des engagements qui, suivant la définition du Code
lui-même, se forment sans convention ».
(46) Cass. Civ., 29 février 1836, S., 1836.1.293 ;
Req., 15 janvier 1878, D.P., 1878.1.152.
sur l'article 55 du code pénal. L'évocation de
cet article commença depuis 1817(47), même si la cour
de cassation ne l'avait jamais mentionnée clairement, lors de la
condamnation solidaire des coauteurs d'un délit qui était la
conséquence d'un concert frauduleux. En 1818 elle invoquait clairement
l'article 55 du Code pénal en déclarant << que le
jugement attaqué, loin d'avoir violé aucun principe, s'est au
contraire, exactement conformé à l'art. 55 du Code pénal,
en prononçant la solidarité contre tous les individus
condamnés pour le même délit
>>(48), et au-delà de cette date
plusieurs arrêts se sont appuyés sur cet
article(49).
42 - L'établissement dans la jurisprudence d'une voie
d'arrêts qui s'appuyait sur l'article 55 du Code pénal exige une
interprétation subjective, vu le caractère pénal de cet
article. Par conséquent, les arrêts du XIXe
siècle, dans le domaine des délits, utilisaient des expressions
qui marquaient cette subjectivité : << concert frauduleux
>>(50), << dol et de fraude
>>(51), << manceuvres frauduleuses et de dol
>>(52), << manceuvres frauduleuses
>>(53), << actes frauduleux
>>(54), << actes frauduleux et dolosifs
>>(55), préjudice causé par << la
fraude >>(56), << mauvaise foi
>>(57), << complicité civile
>>(58), << démarches abusives
>>(60), << complice de stellionat
>>(61), << qui se sont concertés
>>(62), << fautes concertés
>>(63), <<accord «commun
>>(64), << ceuvre commune
>>(65).
43 - Dans cette étape la condamnation solidaire
était tributaire de l'élément subjectif, qui se fondait
sur l'article 55 du Code pénal, et qui se limitait seulement aux
délits civils. Dans cette optique, la cour de cassation refusait de
condamner solidairement les auteurs d'un quasi-délit par absence d'une
disposition légale prononçant la solidarité. Mais cette
subjectivité fut rejetée en troisième étape au
profit d'une subjectivité dépourvue de toute intention de nuire,
il s'agissait d'une communauté de fait.
(47) Cass. 3 juillet 1817, S., 1818.1.338.
(48) Cass. Civ., 25 décembre 1818, cité par
Toullier, tome 11, page 201.
(49) Cass. Civ. 10 avril 1852, D., 1852.5.483 ; Cass. Civ., 3
décembre 1836, D., 1836.1.131 ; Paris 26 février 1829, S.,
1829.2.136, et 7 août 1837, S., 1837.1.889 ; Cass. Civ., 30 avril 1838,
rapporté sous cassation, 29 janvier 1840, D., 1840.1.123, 2e
espèce.
(50) Cass. Civ., 3 juillet 1817, précité.
(51) Cass. Civ., 12 février 1818, cité par Lafay,
op. cit., page 40 ; Cass. Civ., 27 février 1839, cité
par Lafay, op.cit., page 41.
(52) Nancy, 18 mai 1827, cité par Lafay, op.
cit., page 40 ; Cass. Civ., 12 janvier 1863, D., 1863.1.302.
(53) Toulouse, 20 juillet 1896, D., 1897.1.542 ; Cass. Civ., 14
août 1867, cité par Lafay, op. cit., page 47.
(54) Poitiers, 2 décembre 1852, D., 1855.2.332.
(55) Cass. Civ., 12 janvier 1863, D., 1863.1.302.
(56) Bordeaux, 16 mars 1832, D., 1832.2.164, S., 1832.2.630 ;
Cass. Civ., 12 février 1818, cité par Lafay, page 43 ; Cass.
Civ., 3 février 1829, cité par Lafay, page 43 ; Cass. Civ., 20
mars 1883, D., 1883.1.202 ; Cass. Civ., 12 janvier 1881, D., 1881.1.248.
(57) Cass. Civ., 20 juillet 1852, D., 1852.1.247
(58) Cass. Civ., 24 avril 1865, D., 1865.1.291.
(60) Cass. Civ., 25 juillet 1870, D., 1871.1.25.
(61) Rennes, 21 mars 1870, D., 1872.2.87.
(62) Cass. Civ., 24 juin 1872, D., 1873.1.19.
(63) Cass. Civ., 26 mars 1874, S., 1874.1.230
(64) Cass. Civ., 26 juin 1894, D., 1894.1.439 ; Cass. Civ., 14
février 1898, D., 1900.1.73.
(65) Cass. Civ., 14 février 1898, D., 1900.1.73.
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