B - L'INDIVISIBILITÉ DU DOMMAGE
74 - L'impossibilité de déterminer la part
contributive de chacun des coauteurs dans le dommage, cette formule,
disposée par l'alinéa 2 de l'article 137 COC a été
utilisée par la cour de cassation française à plusieurs
reprises(120), lorsqu'elle a admit la solidarité sur le
fondement de la communauté de résultat.
75 - Cette idée explique que « du moment que
l'intervention de l'un a joué dans la réalisation du dommage un
rôle suffisant pour en être considéré comme la cause,
c'est tout le dommage qu'il a causé »(121). En
plus, cette impossibilité de déterminer la part de chaque
coauteur rend le dommage indivisible(122).
76 - Cet étai sur l'indivisibilité en
matière de solidarité a été réfuté
par plusieurs auteurs. L'impossibilité de division est la base des deux
institutions, mais sa source diffère dans chacune. Dans la
solidarité elle provient de la volonté des partis ou celle du
législateur, tandis que dans l'indivisibilité,
l'impossibilité de division est naturelle et provient de la nature de
l'objet (art. 1218)(123) .
77 - Le problème consiste à savoir si
l'indivisibilité du dommage qui rend l'obligation solidaire est en
cohérence avec la solidarité. En premier lieu,
l'indivisibilité du dommage est
(119) Appel Beirut, 2 février 1967, revue Hatem,
arrêt no 198, G78, page 48.
(120) Cass. Civ., 11 juillet 1826, D. 1826.1.424, S.
1826.1.138 ; Cass. Civ., 3 mai 1827, S. 1827.1.435, D. 1827.1.230 ; Caen, 23
mai 1873, D. 1875.2.41 ; Aix, 11 janvier 1873, D. 1874.2.68 ; Angers, 10 mars
1875, D. 1876.2.14 ; Cass. Civ., 12 février 1879, D. 1879.1.281 ; Cass.
Civ., 6 février 1883, D. 1883.1.451 ; Douai, 4 mai 1891, D. 1893.2.39 ;
Cass. Civ., 22 juillet 1892, D. 1892.1.335 ; Cass. Civ., 11 juillet 1892, D.,
1894.1.561 ; Cass. Civ., 15 juillet 1895, D. 1896.1.31 ; Cass. Civ., 31 mars
1896, D. 1897.1.21 ; Cass. Civ., 10 novembre 1897, D. 1898.1.310 ; Paris, 7
avril 1898, D. 1898.2.501 ; Cass. Civ., 24 janvier 1898, D. 1899.1.109.
(121) H. et L. Mazeaud, Traité théorique et
pratique de la responsabilité civile, tome 2, 4e
éd., p. 786.
(122) Chabas, L'influence de la pluralité des
causes sur le droit à réparation, thèse,
no16, page 22, 23.
(123) J. Français, De la distinction entre
l'obligation solidaire et l'obligation in solidum, thèse Paris,
page 98; Baudry-Lacantinnerie et Barde, op. cit., tome II,
no 1304 ; Demolombe, précité, tome XXVI, no
193 et 194 ; Laurent, Principe de droit civil, tome XVII,
no 322 à 324 ; R. Demogue, op. cit., tome IV,
no 768.
une institution inconnue dans le droit positif. C'est
l'indivisibilité de l'obligation que le Code des obligations et contrats
règle, et aucune disposition légale fait allusion à
l'indivisibilité du dommage. Il faut donc la réfuter lorsqu'il
s'agit de la solidarité car la solidarité est une institution
légale réglée par la loi, tandis que
l'indivisibilité du dommage est une institution extralégale. En
deuxième lieu, cette indivisibilité du dommage découle de
l'article 1382 du Code civil et n'a aucune liaison avec la
solidarité(124). Chaque fait est la cause du
préjudice, il doit donc réparer tout le dommage en vertu de
l'article 1382, parce ce que cet article ne détermine pas
l'étendue du fait dans le dommage.
78 - Notons aussi que la référence au concept de
l'impossibilité de déterminer la part contributive de chaque
coauteur est fictive par ce qu'elle n'explique pas la possibilité d'un
recours exercé par le coauteur solvens contre l'autre (s)
coauteur (s). Si l'un des codébiteurs solidaire supporte la dette envers
le créancier, il pourrait subroger ce dernier (article 40/310 COC) ou
profiter d'une action personnelle (article 40 du COC) pour demander la part
incombant à l'autre coobligé (s), et la jurisprudence de la cour
de cassation libanaise est dans le même sens(125).
79 - Il résulte de ce qui est présenté
que l'obligation née de la responsabilité collective selon
l'article 137 COC n'a aucune liaison avec la solidarité. La dette, dans
la solidarité, se divise et pas question d'une impossibilité de
division, et la communauté d'action a un caractère pénal.
En réalité, chaque coauteur est responsable de la part qu'il a
causée et devrait être garant envers la victime de la part
causée par l'autre (s) coauteur (s)(126). Dans la
solidarité tous les coauteurs doivent la même chose (article 23
COC), mais en matière de pluralité d'auteurs chacun doit une
obligation distincte de l'autre(126bis).
La solidarité entre coauteurs, disposée par
l'article 137 COC, est inconcevable avec la solidarité, le même
dommage généré par plusieurs auteurs est in
solidum. Il faut donc une reformation de l'article 137 COC pour admettre
l'obligation in solidum. D'où provient cette institution,
comment a-t-elle évolué ? Quelles sont ses conditions ? On
exposera en premier lieu, la nature juridique de l'obligation des coauteurs
d'un même dommage (chapitre I), puis sa structure (chapitre II).
(124) Lafay, thèse précitée, page 113 ;
Demolombe, Traité des contrats, tome III, no 280 ;
Colmet de Santerre, op. cit., tome V, no 135 bis3 ; Sourdat,
no 473 ; Baudry-Lacantinerie et Barde, Précis de droit
civil, 6e édit., tome II, no 219 ; Aubry et
Rau, op. cit., 4e édit., tome IV, § 298 ter, p.
23, note 14 ; J.Francais, thèse précitée, page 100 ;
Rodière, De la solidarité et de 1'indivisibilité,
thèse précitée, no 50 ; Chabas, thèse
précitée, page 22, 23.
(125) Civ. Lib., ch. 2, 25 mai 1956, revu Baz 1956,
no 37, page 180 ; Civ. Lib., ch. 3, 5 décembre 1967, revu Baz
1967, no 124, page 264.
(126) Marc Mignon, sur la théorie de Mignon infra
nos 147 et s. ; Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munik,
Droit civil, les obligations, Defrénois, 2004, no
1284.
(126 bis) Sur la doctrine de pluralité de liens
et d'objets, Infra n° 198 et s.
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