C - LA SOLIDARITÉ IMPARFAITE
54 - La solidarité réglée par le code
civil produit des effets principaux et secondaires. Aucune divergence d'opinion
n'est soulevée sur l'effet principal. Le désaccord se concentre
sur les effets secondaires qui reposent sur un mandat réciproque entre
les débiteurs. Peut-on dire que les coauteurs d'un délit civil
sont représentés par l'un d'eux à l'égard du
créancier ? Pour cette raison certains auteurs ont essayé de
formuler une théorie dualiste de la solidarité.
55 - Cette théorie différencie entre deux
espèces de solidarité l'une parfaite, l'autre
imparfaite(97). La solidarité qualifiée de parfaite
est celle qui produit tous les effets de solidarité principaux et
secondaires, tandis que celle qualifiée d'imparfaite ne produit que les
effets principaux à l'exclusion des effets secondaires. La
solidarité conventionnelle est toujours parfaite, alors que la
solidarité légale est tantôt parfaite tantôt
imparfaite et le critère de distinction entre ces deux espèces
étant le mandat réciproque(98). II en résulte
que dans la solidarité parfaite les partis sont
représentés par chacun d'eux à l'égard du
créancier, ce qui n'existe pas dans la solidarité imparfaite.
56 - La matière en question est la
responsabilité délictuelle de plusieurs personnes. Comment les
auteurs l'ont-elle qualifiée ? Rodière, un des tenants de la
théorie dualiste de solidarité, considère que l'obligation
des coauteurs d'un délits civil est in solidum et n'est
solidaire ni parfaitement ni imparfaitement. Cependant, Mourlon ne fait aucune
allusion à la responsabilité des coauteurs d'un délit
civil. Alors qu'Aubry et Rau présument que l'obligation des coauteurs
d'un délit civil est solidairement imparfaite.
57 - Cette théorie n'a pu échappé aux
critiques, et a été fortement combattue
doctrinalement(99). Premièrement, la loi n'adopte
pas cette distinction et on ne trouve aucune trace de la solidarité
imparfaite dans le Code civil. Deuxièmement, la loi ne distingue pas
entre la solidarité conventionnelle et la solidarité
légale. En plus, les tenants de la solidarité
(97) Rodière, thèse précitée,
no 165, 175 ; Mourlon, Répétitions écrites
sur le code civil, tome II, no 1247, 1275 et s.; Aubry et Rau,
op. cit., page 33 et s.
(98) Critique de la représentation réciproque,
Ripert et boulanger, Traité élémentaire de droit
civil, tome II, page 611, no 1884 et s.; Weill et Terré,
Droit civil, Les obligations, no 910 ; même certaines
auteurs l'a nommé «folklore juridique » D. Veaux et
P.Veaux-Fournerie, La représentation mutuelle des
coobligés, Mélanges dédiés à A. Weill,
Dalloz-Litec 1983 ; Marc Mignon, Les obligations solidaires et les
obligations in solidum en droit privé français,
Dalloz 2002, page 127 et s.
(99) Laurent, tome XVII, no 314, 315 et 316, page
312 et s. ; J. Français, op. cit., page 46, 47 ; F. Derrida,
Dalloz Répertoire, Yo solidarité ; Sourdat, op.
cit., no 133; Ripert et Planiol par Gabolde, tome VII,
no 1098 ; Baudry-Lacantinerie et Barde, tome VIII, no 848
et s., page 630 ; Beudant et Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit
civil français, tome VIII no 848 et s., page 630 ; J.
Vincent, op. cit., no 53 ; Josserand, Cours de droit
civil positif, tome II, no 771, page 420.
imparfaite ne sont pas d'accord sur son domaine. Enfin, la
condamnation solidaire d'après Aubry et Rau transforme la
solidarité imparfaite en une solidarité parfaite, tandis que dans
le raisonnement de Mourlon la solidarité imparfaite conserve son
caractère même après condamnation.
58 - Les reproches contre la théorie de la
solidarité imparfaite ne se limitent pas à la doctrine, il en est
de même pour la jurisprudence. La cour de cassation(100)
considérait que la distinction entre deux espèces de
solidarité « est contraire aux articles du Code civil qui
traitent de la solidarité, que l'article 1202 indique qu'elle doit
résulter, soit d'une stipulation, soit d'une disposition de la loi, et
que les articles suivants tracent les règles de la matière sans
distinguer entre la solidarité légale et la solidarité
conventionnelle ; qu'elles doivent donc s'appliquer à l'une comme
à l'autre». La même solution fut adaptée dans
plusieurs arrêts(101).
59 - La solidarité divisée en deux
espèces n'a pas convaincu certains auteurs pour lesquels il n'y a qu'une
seule solidarité quelle que soit sa source(102). Cette
distinction n'a aucune base légale, la loi ne connaît qu'une seule
solidarité. En plus le mandat réciproque qui est le
critère de distinction entre ces deux espèces, dérive de
la communauté d'intérêts entre les codébiteurs qui
peut exister qu'elle que soit la source de solidarité.
60 - Bien que la solidarité imparfaite fut
critiquée, certains auteurs la confèrent le caractère de
l'obligation in solidum, et l'expression est maintenant
utilisée comme synonyme de l'obligation in
solidum(103). D'ailleurs, la cour de cassation n'hésite
pas à déclarer que les termes solidarité imparfaite et
obligation in solidum sont synonymes(104).
61 - C'est le point de vue doctrinal et jurisprudentiel
français touchant le problème de la solidarité entre les
coauteurs d'un même dommage. Il nous reste encore à savoir celui
du droit libanais, qui, au contraire du Code civil français,
règle ce point sous le visa de l'article 137 du COC qui prononce la
solidarité contre les coauteurs en matière délictuelle.
(100) Req., 17 mars 1902, D.P. 1902.1.541.
(101) Paris 28 mai 1900, D.P. 1902.2.453 ; Cass. Civ., 3 juillet
1900, D. 1900.1.417, note Levillain ; Req., 23 mars 1927, D.P.
1928.1.73 et la note de Savatier ; Req., 9 décembre,
1929, D.H. 1930.117 ; Cass. Civ., 26 octobre, 1931, D.H. 1931.569.
(102) G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit
civil d'après le traité de Planiol, tome II, no
1884, page 628 ; Josserand, Cours de droit civil positif, tome II,
no 771 p. 420; Colin et Capitant, Cours
élémentaire de droit civil français, tome II,
3e éd., no 429 ; Moustafa el Awgi, Le droit
civil, page, 51 et s.
(103) Mazeaud Chabas, Leçons de droit civil,
tome II, Vol I, Les obligations théorie générale,
no 1070, page 1115 ; Philippe le Tourneau, Répertoire Dalloz,
Yo Solidarité, no154 et s.
(104) Cass. Civ., 3, 22 mars 1968, Bull. civ. III,
no 124, p. 97 ; - 10 mai 1968, Bull. civ. III,
no 208, p. 161 ; - 7 mars 1969, Bull. civ. III,
no207, p. 158 ; - 30 mai 1969, Bull. civ. III,
no 466, p. 340.
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