III.2. Population
d'enquête
Notre enquête a été menée
auprès de soixante élèves dont trente du primaire et
trente autres du secondaire. Les trente élèves finalistes du
cycle primaire sont les plus directement intéressés parce qu'ils
sont arrivés à la fin du cursus et ont utilisé les manuels
ayant fait l'objet de notre analyse. Par contre, il nous a semblé
nécessaire d'élargir ce champ aux finalistes du secondaire,
particulièrement ceux de la section pédagogique, parce que la
législation congolaise reconnaît à ces derniers la
qualification d'enseigner à l'école primaire à la fin de
cette formation.
L'objectif poursuivi est de nous rendre compte de leurs
capacités d'enseigner le et en français par la mesure des
connaissances linguistiques qu'ils ont acquises.
A la recherche de la
« variété », nous avons interrogé des
élèves selon l'emplacement des écoles dans les
« quatre districts » de la ville de Kinshasa (Funa,
Lukunga, Mont-Amba et Tshangu) ; lequel emplacement met à notre
disposition, sur la base d'un brassage socioculturel, des témoins ayant
profité des mêmes méthodes d'enseignement.
Nous avons été dans sept écoles
différentes (Collège Bonsomi, Complexe scolaire du Mont-Amba,
Complexe scolaire Moanda, Lycée Bolingani, Lycée Matonge,
Institut Kimvula et Institut pédagogique de Ngiri-Ngiri).
Toutes ces écoles visitées sont
gérées selon le titre 4 de la loi-cadre de l'enseignement
national n° 86/005 du 22/09/1986. Cette disposition légale a
été renforcée par les états généraux
de l'Education nationale de janvier 1996 qui ont mis au point un
« partenariat éducatif » où l'Etat, les
entités décentralisées, les confessions religieuses, des
organisations non gouvernementales et les parents d'élèves
doivent intervenir dans la création et/ou la gestion des écoles.
Le système éducatif national étant
dès lors ouvert aux initiatives privées, ce partenariat implique
la signature des conventions de gestion. Aussi distingue-t-on des écoles
publiques, privées, conventionnées catholiques,
conventionnées islamiques, conventionnées kimbaguistes,
conventionnées protestantes et conventionnées salutistes.
Situé dans la commune de Ngiri-Ngiri, district de la
Funa, l'Institut pédagogique de Ngiri-Ngiri est une école
publique. Le Complexe scolaire du Mont-Amba est une école privée
située dans la commune de Lemba (district du Mont-Amba) et placée
sous la responsabilité du comité de gestion de
l'Université de Kinshasa (UNIKIN). Le Complexe scolaire Moanda est une
école conventionnée islamique située dans la commune de
Kinshasa (district de Lukunga). Le Collège Bonsomi situé dans la
commune de N'djili (district de Tshangu) et le Lycée Bolingani
situé dans la commune de Kintambo (district de Lukunga) sont
conventionnés catholiques. L'Institut Kimvula est une école
conventionnée protestante située dans la commune de Kintambo
(district de Lukunga). Le Lycée Matonge est une école
conventionnée salutiste située dans la commune de Kalamu
(district de la Funa).
Si le lingala est la langue nationale parlée à
Kinshasa, il faut noter une diversité linguistique remarquable qui fait
de cette ville-province le reflet de la situation sociolinguistique du Congo,
suite à la présence des autres langues congolaises
généralement utilisées par les originaires de mêmes
tribus ou de mêmes groupes ethniques. Ce qui détermine son
caractère de première ville cosmopolite du pays.
La diversité de Kinshasa est aussi socioculturelle et
provient d'abord de ses quartiers, dont les caractéristiques sont
extrêmement divergentes. Le quartier résidentiel, aux larges et
somptueuses villas, longe la rive sud du fleuve Congo. Dans ce quartier de
Gombé réside l'élite, la classe aisée de la
société congolaise et les expatriés. Limete et quelques
quartiers de Lemba et Ngaliema sont très
hétérogènes car, à côté de quartiers
d'auto-construction, on y retrouve des expatriés et une minorité
de Congolais à haut revenu. Jouxtant ces quartiers
privilégiés, la « Cité », zone
populeuse, est constituée de plus anciens quartiers de Kinshasa devenus
vétustes.
Les sujets interrogés sont tous bilingues : le
lingala et le français (100 %) constituent principalement leur
répertoire linguistique. Selon l'origine des parents, ce
répertoire s'enrichit d'une ou de deux autres langues nationales (35 %)
ou également d'une langue ethnique (lega, kimbala, kimpelende, kiyaka,
kiyombe) (10 %). Quelques élèves du secondaire (25 %)
déclarent parler aussi l'anglais. Un seul élève
possède un répertoire de cinq langues (français, lingala,
swahili, lega et anglais). 75 % de nos témoins affirment avoir appris
à parler français en famille, c'est-à-dire avant le
début de leur scolarisation.
Le choix des témoins est principalement motivé
par les notes obtenues au cours de français. Nous avons
interrogés dans chaque école visitée les
élèves ayant obtenu la première note, la dernière
ainsi que la note moyenne.
III.3. Présentation
de l'outil d'évaluation et déroulement du test
Afin d'évaluer les compétences linguistiques des
élèves congolais en français, nous avons utilisé le
test mis au point par l'Institut d'études créoles et francophones
de l'Université de Provence sous la direction de Robert Chaudenson
(1995, pp. 225-339). Si les autorités de l'Education nationale
astreignent l'école à doter les élèves de
compétences linguistiques, l'Evaluation des compétences
linguistiques en français dans l'espace francophone nous permet de
vérifier dans quelle mesure ces élèves exploitent les
notions apprises pour faire face à leurs pratiques langagières.
Le test présente particulièrement dans le cadre
de la présente étude un double avantage. Non seulement il
représente la synthèse des tests de langue traditionnels et ceux
de type « communicatif », mais intègre aussi et
surtout les aspects socioculturels locaux par les textes et les images
proposés pour mesurer le niveau de compréhension ainsi que la
capacité productive des témoins.
Il touche à la fois la
« maîtrise », le « transfert » et
l' « expression », caractéristiques des
capacités intellectuelles (Tagliante, 2005, 26-27). A la suite de Bloom
et de Landsheere, Christine Tagliante indique que la maîtrise des
connaissances permet à l'élève de faire un choix
« parmi un nombre limité de réponses
prévisibles », alors que le transfert
(« capacités intellectuelles médianes ») lui
permet d'analyser et de synthétiser. L'expression, qui concerne les
« capacités intellectuelles supérieures »,
lui permet par contre d'aller au-delà de simples savoirs et savoir-faire
et de mettre en jeu sa « personnalité » ainsi que sa
« créativité ».
En outre, ce test vise à mesurer les deux pôles
principaux de toute pratique langagière qui sont l'émission
et la réception, tant à l'oral qu'à l'écrit. Il
comprend une fiche signalétique dont les items permettent de construire
le profil socioculturel du témoin.
Pour adapter cette fiche à notre population
d'enquête, nous avons supprimé les mentions
« marié(e) », « études »,
et « profession » et les avons remplacées par
« profession du père », « profession de la
mère », « école » et
« classe ». Ce qui aide à identifier le milieu
d'origine du témoin et à appréhender ses
possibilités d'usage informel de la langue française.
Le test est composé des exercices répartis selon
les quatre niveaux de compétences qui sont : la
compréhension orale, la compréhension écrite, la
production orale et la production écrite.
1°) Exercices de compréhension
orale
Trois parties (A, B, C) constituent l'essentiel de cette
étape de l'évaluation entièrement enregistrée. La
première partie contient dix questions qui, normalement,
complètent la fiche signalétique avec des informations sur le
répertoire linguistique du témoin. Pour des raisons de
conformité, la dixième question a été
reformulée. « Qu'est-ce que vous faites quand vous
n'êtes pas à l'école ? » au lieu de
« Qu'est-ce que vous faites quand vous ne travaillez
pas ? ». Les dix questions de la deuxième partie,
auxquelles le témoin doit répondre par
« vrai » ou « faux », concernent une
image montrant une jeune fille sur une mobylette, une dame (marchande) assise
devant sa bassine de fruits et une petite écolière passant dans
la rue. La troisième partie (cinq questions) est un entretien oral qui
consiste à favoriser l'expression libre du témoin qui doit donner
son avis sur le test, parler de son répertoire linguistique et se
prononcer sur une question d'actualité.
2°) Exercices de production orale
Autant que l'ont été les exercices de la
compréhension orale, cette étape est également
enregistrée. Elle est faite des deux parties (A et B), mais nous n'avons
pris en compte que la partie consistant à raconter l'histoire
présentée par la scène du marché parce que nous ne
disposions pas de consignes données par les cartes. Un exercice pareil
se base sur ce que l'on nomme « fonction iconique de l'approche
globale » qui doit déclencher, d'une part, le travail de la
recherche des termes correspondant aux images, des moments forts du discours
à tenir, son architecture, en faisant intervenir, d'autre part, des
données extralinguistiques ayant trait aux faits socioculturels.
3°) Exercices de compréhension
écrite
La compréhension écrite est
évaluée à partir des deux exercices, le premier (A)
à trous et le second (B) un QCM. L'exercice à trous propose un
texte que le témoin complète en remplissant chacun des blancs par
un terme qu'il doit deviner. Le QCM est posé sur un texte de quelques
cent quatorze mots, auquel le témoin doit trouver un titre et au sujet
duquel il doit répondre aux questions de compréhension en
choisissant la bonne réponse parmi les assertions proposées.
4°) Exercices de production
écrite
Pour évaluer la production écrite, le premier
exercice (A) demande au témoin de raconter une suite
d'événements représentés sur des images qui mettent
en scène l'attaque d'une banque perpétrée par une bande de
bandits dont l'un a été arrêté par la police, et
à laquelle des écoliers ont assisté à travers les
fenêtres, car se produisant près de leur école. Le second
(B) est un exercice à trous et un QCM, d'autant que les expressions
à compléter sont d'ores et déjà proposées et
que le témoin doit choisir la réponse correcte parmi
celles-ci.
Nous avons pris les deux versions du test pour interroger,
avec la version enfants d'une part, les élèves de sixième
année primaire (ceux du niveau terminal) dont la tranche d'âge est
comprise entre douze et quatorze ans, et ceux de sixième année
secondaire (âgés de dix-sept à vingt-trois ans), avec la
version adultes d'autre part. Le tutoiement ou le vouvoiement des sujets
marquent la différence entre elles. En outre, les deux textes qui font
l'objet des exercices de compréhension écrite, sous le même
modèle, abordent des questions différentes :
« l'attaque à la banque » (cent et un mots) pour les
petits et « le travail des femmes » pour les adultes. Des
modifications dues à l'adaptation concernent aussi les exercices de
compréhension orale (A et B).
Le test s'est déroulé totalement en milieu
scolaire. Nous saluons ici l'assistance non moins la moindre des chefs
d'établissements (préfets ou directeurs des écoles), des
directeurs des études et des professeurs qui se sont investis pour la
réussite de cette opération. Nous avons pu obtenir de leur part
même la suppression d'autres cours afin que ce test soit passé
dans le délai qui puisse permettre l'enregistrement de tous les
candidats.
Pour obtenir la copie du test à remettre aux
élèves, nous avons saisi la forme publiée (Chaudenson,
1995) en versions enfants et adultes et avons photocopié ces textes pour
avoir le nombre d'exemplaires voulus. Nous avons aussi photocopié en
autant d'exemplaires les images (l'attaque de la banque) concernant la
production écrite, qui sont reprises dans le livre (op. cit.) afin que
chaque sujet ait sa copie. Les autres images pour la compréhension orale
(la jeune fille à la mobylette) et la production orale (le
marché) ont été photocopiées en un exemplaire que
nous présentions au candidat au moment de l'entretien.
Dans la salle de classe, les élèves
étaient placés de façon à éviter toute
tentative de collaboration entre eux. Chacun recevait sa copie du test et
pouvait répondre progressivement aux questions ayant trait à
l'expression écrite en attendant qu'il soit appelé pour
l'entretien oral. La durée limite de passation était de 90
minutes. Pour enregistrer les témoins qui devaient passer à tour
de rôle, nous avons utilisé un dictaphone à microcassette
de 120 minutes. Pour l'ensemble des entretiens oraux réalisés,
nous avons utilisé 6 microcassettes ; la moyenne du temps
d'enregistrement étant de 12 minutes par témoin. Tous ces
entretiens ont été par la suite transcrits.
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