B-Les obstacles d'origine politique à l'application
du droit à la santé
1- L'inefficacité du système judiciaire
L'application du droit à la
santé nécessite des garanties judiciaires qui autorisent aux
populations des recours en cas de violation. Or dans les pays en
développement, le système judiciaire présente de nombreux
maux. Il ne bénéficie pas d'une réelle indépendance
vis-à-vis du gouvernement, il est gangrené par la corruption, et
il souffre de nombreuses insuffisances qui l'empêchent de prendre des
décisions convenables en matière de droit à la
santé. Les gouvernements sont surtout occupés par des chiffres de
croissance élevés, et ne se soucient guère des violations
du droit à la santé qui peuvent être causées par les
entreprises privées par exemple, du moment que ces dernières
soutiennent l'économie nationale. L'ambition d'attirer des
sociétés transnationales sur leur sol pousse même les
gouvernements à fermer les yeux sur des violations parfois graves. Les
entreprises privées peuvent être à l'origine de pollutions
environnementales et de violations des droits du travail. Les activités
des sociétés transnationales peuvent être
considérées comme des obstacles à l'exercice du droit
à la santé. Il est en effet difficile d'appliquer les lois et
règlements des droits humains au secteur privé.
Au Nigeria, depuis une dizaine d'années, les
sociétés pétrolières étrangères ont
pollué de vastes superficies de terre dans les zones
pétrolifères. Les autorités ont réagi avec une
effroyable brutalité quand les populations autochtones ont voulu
défendre leurs droits fondamentaux. Les forces de sécurité
nationales sont utilisées pour réprimer les protestations des
populations locales contre les activités de Shell et d'autres compagnies
pétrolières dans le delta du fleuve Niger.
En Birmanie, la compagnie pétrolière et
gazière d'état, est accusée de graves violations des
droits de l'homme perpétrées par les forces de
sécurité birmanes pour déblayer le terrain et recourir au
travail forcé afin de construire un gazoduc (25).
Lors du procès porté devant la justice par des
communautés indigènes et paysannes contre la
société Texaco en 2003, le coût économique des
dommages environnementaux a été estimé à 6 600
millions de dollars pour nettoyer les plaques de déchets
pétroliers et les fleuves. Chevron Texaco a calculé que les
dégâts environnementaux coûteraient 40 millions de dollars
américains et les a réparti sur différents secteurs afin
de calmer les revendications gouvernementales, organisations indigènes,
Eglise, UNICEF. Chevron Texaco n'a pas investi dans le nettoyage et a
préféré investir dans les relations publiques (11).
Les dégradations environnementales avec leurs
conséquences sur la santé sont rarement prises en
considération par les autorités publiques des pays en
développement. Au cours de ces dernières années, plusieurs
jugements importants ont été prononcés en faveur des
demandeurs, mais ils restent très rares par rapport au nombre de cas
où les sociétés s'en sont tirées à bon
compte et par rapport au nombre encore plus important de violations
dénoncées auprès des organisations de défense des
droits de l'homme, des syndicats et des organisations de protection de
l'environnement. Par ailleurs, bon nombre d'instruments internationaux
existants, conçus pour réglementer les activités des
entreprises transnationales, sont inapplicables et donc largement inefficaces
en pratique. Ces instruments sont très nombreux, mais peu, voire aucun
d'entre eux n'est contraignant et les entreprises n'ont aucun scrupule à
les ignorer, surtout dans les pays du Sud où les mécanismes
nationaux de responsabilisation sont rares, où l'accès à
la justice pour les simples citoyens est difficile, et où les
gouvernements sont prêts à s'entendre avec les entreprises pour
préserver les bénéfices que ces dernières apportent
à leur économie. Face à cette situation, les avocats, les
syndicats et les organisations de défense des droits de l'homme qui
militent en faveur des travailleurs ou de toute autre personne dont les droits
sont bafoués, se retrouvent dans une impasse (25).
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