B- les politiques de développement s'appuyant
uniquement sur la croissance économique n'assurent pas
l'amélioration du niveau de santé
Le modèle de croissance associé à la
conception libérale de l'économie, privilégiant
l'accroissement du PIB et la maximisation des profits, néglige
l'investissement social. Ce modèle est à l'origine de
discrimination envers les personnes vulnérables et marginalisées,
en matière d'accès aux soins, à l'eau et à
l'alimentation saine, aux conditions de vie décentes, et aboutit par
conséquent à des indicateurs de santé peu satisfaisants.
La croissance économique qui ne tient pas compte des droits
fondamentaux, prive la population de nourriture et d'eau, oriente les
ressources vers les secteurs rentables au détriment des secteurs sociaux
et détruit l'environnement.
Un exemple frappant est celui de l'Irlande qui a connu des
avancées économiques remarquables, avec des hauts niveaux
d'exportations et l'attraction sur son sol de nombreuses sociétés
transnationales. Le revenu moyen de la population Irlandaise a doublé
entre 1989 et 2002, le taux de chômage a sensiblement diminué. Ces
résultats économiques satisfaisants contrastent avec la
détérioration de la qualité de vie. Les gens sont plus
stressés, boivent plus d'alcool, travaillent plus, voient moins souvent
leurs familles et leurs amis. Le salaire moyen a doublé ce qui a
réduit le nombre de personnes vivant dans les conditions de privation.
En revanche, la pauvreté relative a augmenté. On considère
que des personnes vivent dans la pauvreté relative quand leurs revenus
les empêchent d'avoir un niveau de vie considéré comme la
norme de la société. La pauvreté relative est
passée de 6% (en 1994) à 12.9% (en 2001). Elle indique que tout
le monde n'a pas tiré profit de la croissance économique. Les
indicateurs de santé en Irlande ne sont pas au niveau de ceux des autres
pays occidentaux. En 2001, l'espérance de vie est la plus basse de toute
l'union Européenne. Les taux de mortalité par maladie sont plus
élevés que la moyenne Européenne. L'Irlande a opté
pour la réduction des impôts afin de maintenir le taux de
croissance économique. Cette politique réduit les dépenses
de l'état en particulier pour les services sociaux, augmentant par
conséquent le nombre de personnes condamnés à l'exclusion
sociale, et ceux vivant avec une mauvaise qualité de vie (8).
Le Chili affiche des taux de croissance jugés dignes de
ceux des "tigres" asiatiques, et a même cessé ses demandes de
nouveaux crédits à la Banque interaméricaine de
développement. Mais les performances économiques de ce pays
qualifiés de "miracle" chilien ne parviennent pas à
améliorer l'accès aux soins à toute la population. Au
contraire, même si le budget de la santé publique a doublé,
et si les indicateurs de santé en particulier la mortalité
infantile sont nettement meilleurs que ceux des autres pays de la
région, le fossé des inégalités en matière
d'accès aux services de santé demeure discriminatoire pour les
pauvres. L'Etat se désengage du secteur de la santé notamment
avec le projet d'hôpitaux publics autonomes mettant en avant
l'autofinancement. Une nouvelle culture dans le milieu de santé voit le
jour et s'accompagne d'un mercantilisme effréné qu'illustrent les
choix de la profession médicale. Sur 16 400 médecins que compte
le pays, près de 45 % exercent exclusivement dans le secteur
privé. (GUILLOU BENOÎT, Une croissance sans dividendes sociaux. Le
Chili malade de la santé Le monde diplomatique Mars 1997, page 18)
Les Etats Unis pays développé et riche, bien
qu'il affiche des indicateurs de santé globaux convenables, est un pays
où les disparités en matière de santé sont les plus
flagrantes. Certaines couches de la population, ne disposant d'aucune
couverture sociale, sont délaissés par un système de soins
qui s'occupe uniquement des personnes riches ou disposant d'assurance
santé. La frange de population défavorisée présente
un état de santé voisin de celui des populations des pays en
développement. A titre d'exemple, le taux de mortalité infantile
aux états unis est de 9%o naissances vivantes, alors que ce taux est
à 5 pour le Japon et la Suisse.
Le cas de la Russie est également éloquent,
malgré une croissance économique, les indicateurs de santé
ont connu une régression notable, sur toutes les franges de la
population. La politique de cet état qui favorise le retrait des
services publics du secteur de la santé en est une des causes
évidentes.
C-La méconnaissance du droit à la
santé dans les politiques de développement explique les mauvais
résultats sanitaires
En analysant les raisons à l'origine des mauvaises
performances de santé, on retrouve des politiques de
développement tournées essentiellement vers la croissance
économique et méconnaissant le droit à la santé, le
droit à l'environnement sain, à l'alimentation, au logement, au
travail et à l'éducation. Une croissance économique
effrénée qui n'est pas soucieuse de la protection de
l'environnement entraîne des conséquences néfastes sur
la santé. On assiste ainsi dans les pays en voie de développement
à l'émergence de maladies engendrées par les modifications
de l'environnement (cancers, asthme...). Les politiques basées sur la
croissance économique seule créent des inégalités
entre les groupes sociaux et une destruction de la cohésion sociale. Les
inégalités sociales se répercutent directement sur
l'état de santé. L'espérance de vie diffère de 10
ans entre la classe dominante et celle des ouvriers en Union Européenne
(9). Les pays ayant des syndicats puissants (Suède par exemple) et ayant
mis en oeuvre des politiques de redistribution visant à réduire
les inégalités, ont de meilleurs indicateurs de santé. La
raison en est que la cohésion sociale est plus forte, le sens du pouvoir
et de la participation est plus élevé et le sentiment de distance
sociale est plus réduit. (9).
Le développement économique et la croissance du
revenu sont certainement des facteurs qui contribuent à expliquer les
remarquables améliorations de la santé au 20ème
siècle, mais pris comme unique paramètre, la croissance du revenu
ne peut pas expliquer les améliorations spectaculaires
enregistrées dans le domaine de la santé au cours du
siècle dernier. En effet, les expériences réalisées
à Cuba et au Sri Lanka démontrent que des améliorations
spectaculaires peuvent survenir dans le domaine de la santé sans que le
revenu ne soit élevé en croissance rapide. En 1991, les citoyens
du Sri Lanka ont une espérance de vie de 71 ans, soit la même que
celle de pays à revenu plus élevé. Les citoyens de la
Chine ont une espérance de vie à la naissance à 71 ans,
plus élevée que celle des pays à faible revenu. Ceci
traduit que les ressources d'un état ne représentent pas l'unique
facteur qui agit sur l'amélioration du niveau de santé.
Les choix et les stratégies politiques de
développement d'un pays ont une influence directe sur le niveau de
santé de sa population. Un état qui impose des politiques
d'austérité économique à sa population, en
réduisant les dépenses publiques, en renchérissant les
produits alimentaires, en baissant les salaires, crée toutes les
conditions qui entravent l'exercice du droit à la santé. les
états qui optent pour des politiques de développement qui
réduisent les budgets des services de santé, qui privatisent les
services de santé, qui entravent les droits des citoyens à
l'élaboration des stratégies de santé, affectent
négativement les services de santé et par là le droit des
citoyens à l'accès aux soins. Les pays en voie de
développement qui ont fait le choix des politiques
néolibérales, ne respectent plus les droits sociaux des
travailleurs, ne portent pas de considération pour leur santé et
leur sécurité au travail. Ces politiques sont soucieuses
uniquement de faire le maximum de chiffres, et ne s'inquiètent
guère de la dégradation de la santé de la population, la
dégradation de l'environnement et ses conséquences. La croissance
du revenu ne doit pas servir de stratégie unique pour accomplir des
progrès en matière de santé.
1- Le droit de l'accès aux soins et les
politiques de développement économique
Comme précisé sur l'observation
générale N°14, le droit à la santé s'entend
comme le droit d'accès à un système de protection de la
santé qui garantit à chacun sur un pied d'égalité
la possibilité de jouir du meilleur état de santé
possible. Le système de protection de la santé comprend les
installations, les biens et les services, ainsi que les programmes en
matières de santé publique et de soins de santé. Ce
système de soins doit être disponible, accessible sans
discrimination, acceptable culturellement et de qualité.
Or, les réductions des dépenses publiques de
santé dans les pays en développement, aggravent la situation du
secteur de santé. Le secteur de la santé dans ces pays est devenu
déficient en matière d'équipements et de ressources
humaines. Les installations sont par ailleurs inégalement
réparties. Certaines populations vivent à plus de 30
kilomètres du premier dispensaire de soins. Les hôpitaux sont
vétustes, leurs équipements anciens et souvent hors d'usage. Le
personnel de santé, sous payé est démotivé.
Beaucoup d'entre eux émigrent vers les pays occidentaux où les
conditions de travail et de salaire sont plus alléchantes. Cette
situation se répercute sur l'état de santé de la
population et en particulier les personnes vulnérables. Les femmes n'ont
pas accès aux soins de santé génésiques, elles ne
contrôlent pas leurs grossesses, et la mortalité dans les suites
d'un accouchement est souvent élevée. Les enfants souffrent de
malnutrition, la mortalité infantile est élevée du fait de
maladies infectieuses. Alors que cette mortalité est évitable par
des mesures simples. Mais faute d'informations, faute de personnel
formé disponibles, les enfants paient un lourd tribut.
Le retrait de l'état des services publics de soins
favorise une privatisation rapide de ce secteur. Mais, les services de soins
privés se concentrent dans les grandes métropoles et
délaissent les zones rurales, éloignées et
enclavées. Ce service privé est rarement à la
portée de tous les citoyens. Les populations nanties y ont accès
avec une durée d'attente réduite, un accueil correct, des
équipements en bon état et parfois relevant des dernières
innovations techniques. Malheureusement, la plus grande partie de la population
n'a pas accès à ces soins, et doit se contenter des modestes
prestations du secteur public. Cette médecine à deux vitesse
traduit une véritable discrimination envers les couches pauvres et
défavorisées.
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