Afin d'atténuer les conséquences pratiques
susceptibles de porter atteinte aux intérêts du contribuable en
cas de changement de sa doctrine, l'administration fiscale française -
plus précisément l'administration des contributions indirectes et
de l'enregistrement - avait émis, dans un premier temps, une instruction
en date du 31 janvier 1928, dans laquelle elle avait prévu que : «
dans le cas de changement de la jurisprudence, ou de modification de la
doctrine administrative, les suppléments d'imposition que pourraient
justifier les nouvelles règles ne doivent pas être
réclamés et ces règles ne doivent être
appliquées que pour l'avenir»108. Cette instruction
a été suivie, en matière d'impôt sur le chiffre
d'affaires, par une note interne de l'administration diffusée
auprès de ses agents sous le n° 442, le 28 mars 1928 qui a
prévu à son tour qu'« Il est des cas où la bonne
foi du contribuable est tellement évidente qu'il apparaît injuste
de réclamer l'impôt rétroactivement. Il en sera ainsi
lorsqu'il y a eu de la part des tribunaux un changement de doctrine, ou lorsque
le redevable a fait l'objet d'une vérification antérieure du
service sans observation de la part de ce dernier, de telle sorte que ce
redevable a pu croire procéder régulièrement et n'est plus
à même de récupérer l'impôt sur ses clients.
Dans ces trois cas, le redevable, instruit de ses nouvelles obligations, sera
invité à s'y conformer à l'avenir et à acquitter
dorénavant les droits mais aucun rappel d'impôt ne sera
effectué pour la période antérieure à cette
invitation »109.
Toutefois, eu égard aux liens étroits qui
existaient sous le protectorat, entre les administrations fiscales
française et tunisienne, il est probable que les circulaires de
l'administration française du 31 janvier et du 28 mars 1928 avaient
reçu application en Tunisie. Il est vrai qu'aucune prise de position
officielle de l'administration tunisienne n'est venue confirmer ou infirmer
cette doctrine après l'indépendance ; mais tout porte à
croire qu'elle est encore en vigueur110.
Néanmoins, « l'hypothèse même du
maintien de cette doctrine après l'indépendance ne donne pas de
garanties suffisantes au contribuable parce que l'on sait d'une part, que
l'administration peut toujours revenir sur sa doctrine et que d'autre part, le
juge saisi ne censurera pas ce revirement si ce dernier s'avère conforme
à la loi fiscale»111.
108 Citée par AYADI (Habib) : « Droit
fiscal », Op.Cit., p. 223.
109 Citée par BOUCHARD (Jean -Claude) : « La
note 442 du 28 mars 1928, un retour vers le futur? », article
précité, p.10.
110 BESBES (Slim) : « Le principe de la
légalité de l'impôt en droit tunisien »,
thèse précitée, p.436.
111 AYADI (Habib) : « Droit fiscal », Op.
Cit., p.224.
C'est d'ailleurs pour tenir compte de l'insuffisance de cette
protection administrative - dans le pays où elle a d'abord
été consacrée - que le législateur français
est intervenu à travers les articles L.80 A et L.80 B du L.P.F.
L'article L.80 A prévoit qu' «Il ne sera
procédé à aucun rehaussement d'impositions
antérieures si la cause du rehaussement poursuivie par l'administration
est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne
foi du texte fiscal et s'il est démontré que
l'interprétation sur laquelle est fondée la première
décision a été, à l'époque, formellement
admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte
fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait
connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle
n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause,
elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une
interprétation différente.» Cet article institue une
garantie contre les changements de la doctrine administrative, laquelle
n'interdit pas à l'administration de changer son interprétation
pour l'avenir. Elle lui interdit, seulement, de procéder à des
rehaussements d'impositions en soutenant une interprétation
différente de celle existante à l'époque du fait
générateur de l'impôt et appliquée par le
contribuable. Cette garantie constitue, de la sorte, une limite au droit de
reprise.
Le législateur français a étendu
l'application de l'opposabilité de la doctrine de l'administration aux
prises de position sur une situation de fait, et non plus sur la seule
interprétation du droit112. Cette disposition est
codifiée à l'article L. 80 B 1er du L.P.F. qui
prévoit : « La garantie prévue au premier alinéa
de l'article L. 80 A est applicable :
1- Lorsque l'administration a formellement pris position sur
l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal
(...). »
Dans quelques arrêts, le tribunal administratif
tunisien a accepté de faire prévaloir la doctrine administrative
sur la loi. Un des arrêts les plus explicites dans ce sens est
l'arrêt du 30 octobre 2000 opposant la direction générale
du contrôle fiscal à la société
Agriculteur113.
112 Par la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 dite AICARDI
modifiant les procédures fiscales et douanières, J.O.R.F. du 9
juillet 1987, p.7470, qui a introduit le rescrit à l'article L. 64B du
L.P.F.
113 T.A., 30 octobre 2000, requête n° 32394, Recueil
des arrêts du tribunal administratif 2000.
~ ~ j~.*i W~E û< W, #V ~ ~~" ~~~ XX ~~~ WJ~Z i ûJ
~f~~~< ~s#8~~ ~~~ aG~ O !~~~ XX ~~~ WJsZ i L~N~~~~ ~~~~ g~>SO
û< d~= J Y
Y #~l~~ `K~O ~ ~~~< ,~= !\ ~[~~~- ~ `K~O ~ q~A~ ,~ I~~~O
Dans cette affaire, il y avait deux notes de
l'administration, et le contribuable s'était référé
à un seul de ces documents. Le juge a considéré que la
doctrine était seulement opposable à l'administration et non aux
tiers, parmi lesquels le contribuable. Cette solution, qui tend à
protéger le contribuable et à assurer la sécurité
juridique, devrait être confirmée pour valoir comme
jurisprudence.
Dans une autre affaire plus récente, et malgré
le fait que le contribuable ait appliqué la doctrine publiée par
l'administration, le juge a refusé d'en tenir compte114.
Selon ce dernier la doctrine administrative a pour rôle
d'interpréter les lois fiscales en clarifiant les termes obscurs et en
tirant les conséquences de son interprétation. Les circulaires,
instructions et notes qui dépassent le cadre de l'interprétation
pour poser des règles contraires sont inapplicables. Le juge sanctionne
la doctrine réglementaire en la déclarant illégale et
inapplicable.
Dans une troisième affaire encore plus récente,
portée devant le tribunal de première instance de Tunis, le
contribuable a soulevé le revirement de la doctrine administrative que
le juge a qualifié en français de « doctrine
administrative de fait », « &iI.~I J..a~ ~~~~~
»115.
Dans cette affaire, le contribuable a considéré
que le revirement de la doctrine constituait une violation aux principes de
sécurité juridique et de l'égalité de fait
dans l'application de la loi par l'administration et il a même fait
référence à l'article L.80 A du L.P.F.
114 T.A., cassation, 11 février 2002, n° 32786,
Tunis air contre la Direction du contrôle fiscal, Recueil des
arrêts du tribunal administratif, 2002, pp. 215- 222 et
spécialement p. 219.
115 Tribunal de première instance de Tunis, 18
novembre 2004, requête n° 819. (Inédit) Voir annexe 3 p.200
et spécialement p.204. En l'espèce, le requérant a fait
prévaloir une doctrine administrative de fait qui consistait en
l'exonération des cafetiers de la T.V.A.
~~$t>~i~ ~~'~#*E ~~~~ ù L.80 AJA.i~ /t;
j!~~#.i~ ~~~tJi~ rtG=< 3i4 L~t~~"~ I>~S~ ~V#~L i~
L.$t~ jj~ d~=j 6 ![tJ i~ e~ * ~~~~i~
6 W~E P~ji~i tJ>@ !$t>~i~ L)~i~ 'L~wi eVtQi~
g>@ t ~r4 ~>~#bi~ !\ e~\#~i~ ~~t>~i~ W~E n~~~ ~ I~~ 3 L)~~
jZi~ ~ts '~~" j~E IJ.i~ t\ ~ !~~~~i~ ~~~tJi~ !\ pD~< 4~ij
Jt8 i~ L) ~~i Jet ~ L)~ r~~~~~~ 4\tVjj V# ~~ i~ F$t~ I c
O t i tiD; d~=j ~t~#* j< t~~J\ !\ W~E H* t< ~ '~~wi eVtQi~ j<
~~~#8i~ <~> i ~ ~~ i~ !VtJi~ pt~O t~~~Ki4 t t@ Ii
~~i P ~ ~t~#* ~t@4 !\ j< t~G n~~~ ~it-i~ pZ[ !.\ B~~Ji~ LX i~ ù
~zmt~i~ LJJ i~ L~b~ ~ bJ~fi ~~~~i~ LX i~ Jt~t~ ~r4 t ~ij< ù~~it=
ù~~ K~ ~ i I~~~ I~t\ t~~ ~ H~*#i~ 'ir -Ai t#~8~I~t\ B~~Ji~ '-X i~
ù~ ~zmt~i~ LJJ-i~ ù~L~b~ bJ~fi ~~~~i~ LXJ i~ ~t~ t~ ~r4 t< j
t#m j< ~~X j< t ~j~ H~*#i~
6 ~~$t>~i~ W~t i~ !\ 4~**#i~ r~~W~~tX r~#~=~e~
Wjt~ i~ <~ >~ r~#~=~ n~~~ ~ I~t\ t~.X~~ ù Lr?t. i~ t~~~*~
~t~>~"~j LJJ i~ L~~ Lt~~~ J~J>~i W~E J ~ ~t~J* 3 kV#~L i~ L$t~
~~~"~ ùzi j d~= j ~jAJ i~ ~< d~= j ~ (jJJ-Ji tz8~A t~J~I
JJJ~ ~~~ 'j J ,i ~t~#* ~< t it@ J i ût~#»
3ii ~~t~~"~ ~~t>~i~ W~4 pt~O F~~G i~ (j-it9 c i W#~;~~ pZA < k
~ .jAJ i~j 4~t9.i~ Wji~4 rt-< Wjt~ i~ j< «
égalité de fait» ~~~'ii~ Wjt~ i~ ![ V# i~ F$t~ t~~ c O ,ii
Wjt~ it9
Y
6 6 6 ~ ~J~#Si~ ~.~~ ~~~~~tJi~ ~~~V~i~ ~.~~ ù~~~ ~ i~
ç~wi ù~~ VtQi~ JAt~i ~< t~~~~
Le juge a considéré que la doctrine
administrative, qu'elle soit écrite ou de fait, est inopposable au
contribuable ainsi qu'au juge, en l'absence, en droit tunisien, d'un
équivalent de l'article L.80 A du L.P.F. français. Le juge a
ajouté qu'en cas de revirement de cette doctrine, il faut distinguer
selon qu'elle porte atteinte ou non aux droits du contribuable. Le cas
échéant, la nouvelle doctrine ne peut s'appliquer que pour le
futur. Autrement dit, le juge a posé le respect du principe de
l'égalité et le respect de la règle de non
rétroactivité en matière fiscale, comme conditions de
validité du changement de la doctrine défavorable au
contribuable.
La constante donc pour le juge de l'impôt, «
censeur de la légalité administrative
»116, est qu'il applique toujours la loi.
Il paraît ainsi légitime de se demander si le
principe de la légalité chasse, ipso facto, la
protection, ou bien s'il pourrait exister un rapport de forces entre le
contribuable et l'administration, qui nécessiterait l'intervention du
droit pour protéger la partie la plus faible - objectif que vise
ouvertement le droit ?
« Nul doute que le principe de
légalité se veut protecteur. Pourtant, il est des situations
où, appliqué dans toute sa rigueur, notamment en matière
fiscale, il peut conduire à mettre en danger l'activité
économique sous-jacente, alors que le contribuable de bonne foi a pu
croire, compte tenu du comportement de l'administration à son
égard, avoir agi dans le bon droit »117.
D'autant plus que « la sécurité
juridique n'est toutefois pas le seul ni même le principal
impératif que le juge administratif prend en considération dans
l'exercice de son office. Sa première mission est en effet de veiller au
respect du principe de légalité par les autorités
administratives. Par ailleurs, il doit tenir compte de la
nécessité, pour l'État et les différentes
collectivités publiques, d'adapter leur action en fonction des
contraintes économiques et sociales et donc de faire évoluer la
réglementation applicable. La conciliation de ces différents
objectifs, parfois contradictoires, peut conduire à des solutions peu
respectueuses de la sécurité juridique des
particuliers»118.
116 KAMMOUN (Slim) :« Le procès fiscal
», thèse de doctorat en droit public, F.S.J.P.S.T., 2006, p.4.
117 BOUCHARD (Jean -Claude) : « La note 442 du 28 mars
1928, un retour vers le futur? », article précité,
p.10.
118 BOIS SARD (Sophie) : « Comment garantir la
stabilité des situations juridiques individuelles sans priver
l'autorité administrative de tous moyens d'action et sans transiger sur
le respect du principe de légalité? Le difficile dilemme du juge
administratif », Etudes et doctrine : « Le principe de
sécurité juridique », Cahiers du Conseil
constitutionnel n° 11,
http://www.conseil
constitutionnel.fr/cahiers/ccc11/ccc11somm.htm,
visité le 9/4/2008.
Dans l'attente d'une intervention législative,
l'existence même d'un contrôle juridictionnel encadrant
l'activité de l'autorité administrative permet d'espérer
une meilleure protection du contribuable de bonne foi.