« Rien ne paraît plus arbitraire que le
rehaussement d'imposition qui est mis à la charge d'un contribuable
suite au changement de l'interprétation du texte fiscal sur laquelle
était fondée l'imposition primitive, soit en violation de
l'accord qui était intervenu entre ce contribuable et son inspecteur. La
loyauté que l'on exige des contribuables dans le système de la
déclaration (même contrôlée) s'accorde mal avec le
fait du prince ou le reniement de la parole donnée ; la moralité
fiscale ne devrait pas emporter moins d'obligations pour l'administration que
pour le contribuable»84.
La loyauté se définit comme étant, la
fidélité à tenir ses engagements, à obéir
aux lois de l'honneur, de la probité, de la droiture85. En
outre, sur un plan éthique, il serait injuste que
l'administration, ayant remis en cause sa propre interprétation d'une
disposition fiscale, puisse faire subir aux contribuables les
conséquences de ce changement d'interprétation. Par
conséquent, la sécurité du contribuable serait gravement
affectée si ceux-ci n'étaient pas assurés d'être
traités conformément à la doctrine en vigueur à la
date des opérations qu'ils concluent86.
Il paraît ainsi légitime de se demander dans quelle
mesure le droit fiscal protège le contribuable contre la
déloyauté de l'administration fiscale ?
Sans nul doute, la confiance que doit avoir le contribuable
dans l'administration fiscale fonde l'exigence d'un devoir de loyauté
imposé à l'administration. Cette dernière, dans l'exercice
de sa fonction d'interprétation de la loi fiscale, ne doit donc pas
compromettre volontairement cette confiance. Car, d'une part, «
l'interprétation administrative constitue un acte volontaire de la
part de l'administration fiscale qui choisit une seule signification pour la
considérer comme l'interprétation officielle de la norme
fiscale »87.
D'autre part, « l'interprétation
administrative ne lie pas à titre définitif l'administration qui
est toujours libre de modifier sa doctrine. Ainsi, il est fréquent que,
pour un même texte législatif, l'administration change
l'interprétation qu'elle en donne »88.
Le devoir de loyauté peut dès lors être
fondé sur le principe de la légalité.
84 MARTINEZ (Jean-Claude) : « Le statut du
contribuable », L.G.D.J., 1980, p.137
85
www.larousse.fr, V°
loyauté et V° loyal.
86 BOUVIER (Michel) : « Introduction au droit fiscal
général et à la théorie de l'impôt
», Paris, L.G.D.J, 5e édition, 2003 p. 182.
87 BESBES (Slim) : « Le principe de la
légalité de l'impôt en droit tunisien »,
thèse précitée, p.329.
88 BESBES (Slim) : « Le principe de la
légalité de l'impôt en droit tunisien »,
thèse précitée, p.330.
Ce dernier constitue dans son acception la plus
générale, « une règle de conduite qui gouverne le
processus de création des normes juridiques. Il est
généralement annoncé comme une garantie fondamentale
contre l'arbitraire des pouvoirs politiques et l'abus des autorités
administratives »89.
La doctrine attribue à ce principe plusieurs
fonctions. Il résume et garantit à la fois la subordination de
l'administration aux organes élus, la conformité de l'action
administrative à la volonté de la nation souveraine et la
protection des individus contre l'arbitraire90.
Il importe de préciser que l'arbitraire ne
résulte pas de l'exercice, par l'administration fiscale de sa fonction
interprétative. Cette fonction, en tant que telle, n'est pas
incompatible avec le principe de la légalité de l'impôt
entendu dans le sens de la compétence du législateur en
matière fiscale91. Elle en constitue un complément
indispensable en raison des incidences financières immédiates de
l'interprétation adoptée et de la complexité de la
matière fiscale92. Toutefois, cette mission offre
matière à critique et laisse ouvertes les portes de l'arbitraire,
dès lors qu'elle prend, comme c'est le cas en Tunisie, une ampleur
démesurée. D'autant plus que l'administration ne répugne
pas à remettre en cause sa doctrine favorable au contribuable. Or,
« il est choquant de voir un contribuable qui a organisé sa
situation financière et fiscale en fonction d'une interprétation
donnée d'un texte par l'administration, imposé plus
sévèrement selon une nouvelle interprétation
émanant de la même administration » 93. Cette
attitude de la part de l'administration fiscale dénote visiblement
l'absence d'intention bienveillante ; la nouvelle interprétation
émanant de la même administration constitue indéniablement
un élément perturbateur de la sécurité juridique du
contribuable de bonne foi.
89 BESBES (Slim) : « Le principe de la
légalité de l'impôt en droit tunisien »,
thèse précitée, p.15.
90 LOSCHAK (Danièle) : « Le principe de
légalité : Mythe et mystifications », A.J.D.A., 1981,
n° 9, 20 septembre 1981, p. 387.
91 Le principe de légalité de l'impôt
« trouve son fondement dans l'article 34 de la Constitution, mais
même s 'il dénote l'importance du rôle du
législateur, il ne lui reconnaît pas le monopole dans ce
domaine », CHAABANE (Neila) : « Le contrôle des lois
fiscales par le Conseil constitutionnel tunisien », in
Mélanges en l'honneur du Doyen Yadh BEN ACHOUR, Tunis, C.P.U., 2008,
p.744.
92 BACCOUCHE (Néji) : « Droit fiscal
», Tunis, E.N.A.- C.R.E.A., 1993, tome I, p.72.
93 AYADI (Habib) : « Droit fiscal »,
Op.Cit., p. 222.
Or, le principe de légalité exige la protection
du contribuable contre toute insécurité, notamment celle qui
résulte du changement de la doctrine administrative, et ce,
essentiellement quand elle remplace une doctrine bienveillante par une doctrine
beaucoup plus sévère. Surtout que ce phénomène est,
dans la pratique, assez courant94.
Ainsi il paraît légitime de fonder sur le
principe de la légalité, une obligation générale de
loyauté, pesant sur l'administration. Une telle obligation permet, du
moins théoriquement, de protéger le contribuable de bonne foi
contre l'abus des autorités administratives. Car, si la bonne foi du
contribuable fait défaut il encourt des sanctions. L'administration
devrait subir le même sort ou presque !
D'autant plus que, les changements de doctrine administrative
constituent un problème préoccupant non seulement pour le
contribuable de bonne foi mais également pour le Trésor public,
puisqu'ils peuvent nuire au rendement du système fiscal. En effet,
« comment une entreprise pourrait-elle engager un programme
d'investissement, comment un particulier admettrait-il de s'endetter pour
réaliser une opération si la fiscalité, qui
l'intéresse directement lui semble fluctuante, susceptible de
changements brusques ? »95.
Ainsi, la prise en compte du principe de légalité
peut contribuer à renforcer la protection du contribuable de bonne
foi.
Face à la difficulté de sanctionner
efficacement la fraude96, l'absence d'une telle protection
décourage les contribuables de bonne foi d'adopter un comportement
honnête. Plus grave encore ; il résulte de cette absence de
protection une indéniable insécurité, car le contribuable,
fût -il de bonne foi, ne pourra jamais tracer la ligne où
s'arrêtent les pouvoirs du fisc.
Dans cette perspective, il semble nécessaire
d'établir un cadre juridique pour la protection du contribuable de bonne
foi contre les abus de l'administration fiscale.
94 Voir des exemples tirés de l'expérience
tunisienne tenant au sort fiscal des amortissements non comptabilisés et
à la soumission de la promotion immobilière à la T.V.A,
développés par BESBES (Slim) : « Le principe de la
légalité de l'impôt en droit tunisien »,
thèse précitée, pp. 423 à 428.
95 SCHMIDT (Jean) : « L'impôt ; politique et
technique », Dalloz, 1995, p. 82.
96 Faute de publication des résultats des chiffres
officiels pouvant servir à l'appréciation de la réticence
des contribuables à l'égard du devoir de paiement de
l'impôt, on peut se contenter des chiffres publiés en 1997. Voir
annexe 1, p.105.