Dans l'administration de la preuve, le contribuable,
fût il de bonne foi, se trouve dans l'obligation de préserver les
documents comptables et autres, pour des périodes assez longues.
A priori, le problème n'est qu'apparent,
puisque le contribuable est soumis à une obligation de conservation des
documents comptables et autres, dont le délai coïncide avec le
délai de la prescription. Ainsi, et à côté de
l'article 25 de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996, relative au
système comptable des entreprises qui prévoit que : «
Les états financiers relatifs à un exercice comptable ainsi
que les documents, les livres, les balances et les pièces justificatives
y afférentes sont conservés pendant dix ans au moins »,
l'article 62 § IV du C.I.R.P.P. et de l'I.S. dispose que : « Les
livres de commerce et autres documents comptables, et d'une façon
générale, tous documents dont la tenue et la production sont
prescrites en exécution du présent code doivent être
conservés pendant dix ans »317.
314 ABIDA (Salma) : « L'application du Code des Droits
et Procédures Fiscaux par le juge fiscal II : L'interprétation
systématique de l'article 38 alinéa 1er », Infos
Juridiques, n° 52/53, septembre 2008, p. 25.
La cour d'appel de Tunis a également affirmé
qu'une comptabilité non rejetée n'empêchait pas le
vérificateur fiscal de recourir à des éléments
extra- comptables.
- Cour d'appel de Tunis, 1 juin 2006, requête n°
36023, Infos juridiques, janvier 2007, n° 16117, p. 24
- Cour d'appel de Tunis, 26 janvier 2006, requête
n°25628/ 28407. Voir annexe 3, p.206 et spécialement
p.211.
315 CHOYAKH (Faez) : « L'article 38 du CDPF et la
possibilité de recours simultané aux éléments
extra- comptables dans le cas d'une comptabilité
régulière », R.C.F., n° 71, hiver 2006, p. 49.
316 ABIDA (Salma) : « L'application du Code des Droits
et Procédures Fiscaux par le juge fiscal I : L'interprétation de
l'article 38 alinéa 1er », Infos Juridiques, n° 50/51,
juillet- août 2008, p. 38.
317 Cet article est applicable également en
matière de T.V.A., et ce, en vertu de l'article 18 du code de la
T.V.A.
Or, l'écoulement du temps pour une période
assez longue peut entraîner le dépérissement des preuves.
Par conséquent, « cette lenteur rompt l'égalité
des armes entre l'administration et le contribuable au détriment de ce
dernier »318. De surcroît, les délais de
reprise peuvent être encore plus longs du fait de la combinaison des
règles relatives aux délais avec celles relatives aux actes
interruptifs de prescription. Ceci résulte de l'article 27 du
C.D.P.F.319 qui a retenu comme actes interruptifs de prescription
selon le cas : la notification des résultats de la vérification,
la reconnaissance de la dette due par le contribuable et la notification de
l'arrêté de taxation d'office320.
En outre, le fisc ne répugne pas à envoyer les
redressements au contribuable au dernier moment, à la limite de la
prescription, celle-ci étant « le délai à
l`expiration duquel l'administration perd le droit de réclamer à
un contribuable une dette fiscale, elle est aussi le délai à
l'expiration duquel, le contribuable se libère d'une dette fiscale qui
ne lui a pas été réclamée par l'administration
pendant ce délai »321. Ces relances ont pour effet
d'interrompre la prescription. Ainsi, de nouveaux délais commencent
à courir. Cette prorogation du délai de prescription donne un
délai supplémentaire aux agents du fisc pour qu'ils passent au
peigne fin le dossier du contribuable. Ceci est loin de sécuriser le
contribuable.
Cependant, ces propos doivent être nuancés ; la
longévité des délais n'est pas à sens unique. Tant
que les délais courent, le contribuable bénéficie du droit
de réparer ses erreurs, inexactitudes et omissions en matière de
déclarations. En effet, en matière fiscale, les délais de
reprise permettent non seulement à l'administration fiscale mais
également au contribuable, de procéder à des
rectifications.
318 FOUQUET (Olivier) : « Le temps fiscal »,
la Revue Administrative, 53e année, 2000, P.U.F,
numéro spécial 1 : Journées d'études du 23 novembre
1999 : « Le temps administratif», p.49.
319 L'article 27 fait partie des rares articles à avoir
subi deux modifications depuis la promulgation du C.D.P.F.
320 Toutefois, en cas de défaut de déclaration,
l'article 27 du C.D.P.F. a retenu la notification de la mise en demeure ou
l'arrêté de taxation d'office ainsi que la notification de l'avis
de la vérification approfondie. Ceci s'explique par le fait que
l'opération de vérification approfondie est limitée dans
le temps et sa réitération est moins envisageable dans le temps.
Par contre, la mise en demeure est, elle, beaucoup plus envisageable. De plus,
en cas défaut de déclaration, la vérification
préliminaire n'est pas interruptive de prescription. Ceci paraît
compréhensible dans la mesure où le contribuable n'est pas
censé avoir pris connaissance de la date du commencement de
l'opération de vérification préliminaire.
321 ABOUDA (Abdelmajid) : « Code des droits et
procédures fiscaux: contrôle, contentieux et sanctions
», Tunis, Publications de l'imprimerie officielle de la République
Tunisienne, 2001, p.67.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Les limites inhérentes à la protection du
contribuable sont telles que ce dernier ne pourra espérer faire
prévaloir sa bonne foi que difficilement.
A la neutralité de la bonne foi devant
l'administration s'ajoutent des difficultés quant à la preuve de
la bonne foi. Ainsi, il est permis de déduire que le contribuable de
bonne foi souffre, en toute légalité dans un système qui
demeure « teinté de l'idée de puissance publique
»322 et on a même pu dire que le système fiscal
tunisien est, « un système cohérent, destiné
à faciliter la tâche de l'administration
»323.
Il n'en demeure pas moins que le juge se doit de
réserver un traitement préférentiel au contribuable
soucieux de respecter ses obligations comptables et fiscales, le rôle de
la justice étant d'assurer un équilibre de chances entre les
plaideurs afin de leur permettre de défendre leurs droits sans
égard à l'identité ou à la nature de ces
plaideurs324.
En définitive, toutes ces limites poussent à
conclure que si la réforme fiscale entreprise depuis les années
1980 a, non sans peine, franchi le cap, c'est davantage en raison des
inconvénients d'un système ancien devenu insupportable et
intolérable325, plutôt qu'en raison de ses propres
avantages qui, il faut le reconnaître, sont assez timides et en tous cas
en deçà des espérances.
322 AYADI (Habib) : « Droit fiscal »,
Op.Cit., p.208.
323 BEN ACHOUR (Yadh) : « Le système de la
preuve en droit fiscal tunisien, au regard de la théorie
générale de la preuve », Revue tunisienne de
fiscalité, n°3, 2005, p.42.
324 CHAABANE (Neila) : « Les garanties du contribuable
devant le juge fiscal », (Inédit), p.1.
325 En effet, « l'ancien système encourageait
la fraude puisque le taux marginal de l'impôt sur le revenu des personnes
physiques pouvait dépasser 68 % du revenu », BACCOUCHE
(Néji) : «Regards sur le code d'incitations aux investissements
de 1993 et ses prolongements», Etudes Juridiques, n°9, 2002,
p.37, N.B.P. n° 10.